Femmes et sport : « Parce que j’étais une fille, j’ai attendu trois mois ma dérogation pour jouer au hockey sur glace », confie Charlotte Girard-Fabre.

La féminisation des compétitions sportives dans l’océan Indien : voici le thème de la conférence organisée par Chancegal , au Vert tu Oses à La Saline-les-Bains, mercredi 17 septembre. En présence de cinq sportives de haut niveau, le débat a navigué entre stéréotypes de genre, rôle de la famille et freins à la pratique pour les jeunes filles. Parallèle Sud vous emmène dans le récap de cette table ronde engagée.

Ce mercredi 17 septembre, la salle du Vert tu Oses est pleine, et après un jeu de chaises musicales, tout le monde réussit finalement à s’asseoir. Une cinquantaine de personnes est venue assister à la conférence sur les femmes et les compétitions sportives dans l’océan Indien. La parole est exclusivement féminine : cinq sportives de haut niveau partagent leur témoignage, tandis que l’animation revient à Charlotte Girard-Fabre, la présidente de l’AFCAM (Association française du corps arbitral multisports). Les réflexions sont lancées, en interaction avec la salle, sur le devenir de l’égalité femmes-hommes dans le sport à La Réunion.

L’audience se compose d’une majorité de femmes, remarque Charlotte Girard-Fabre. Bien sûr, la féminisation du sport a sans nul doute éveillé l’intérêt de celles qui ont fait le déplacement, mais aussi des hommes présents, puisque cette thématique est sociétale et nous concerne toutes et tous. Et pour nourrir la réflexion, cinq sportives de haut niveau réunionnaises ont été invitées à témoigner sur leur expérience, par l’association organisatrice de l’événement, Chancegal. Depuis sa création il y a vingt ans, la structure intervient auprès de différents publics pour déconstruire entre autres, les stéréotypes de genre.

Les intervenantes, figures de la réussite dans le sport à La Réunion, sont Margareth Gustave, Delphine Imoberdorf, Aurélie Rajaonarison, Anitha Grapinet et Gaëlle Mouniama.

Conférence « Les femmes dans les compétitions sportives dans l’océan Indien », La Saline-les-Bains

La rencontre avec le sport : à chacune son histoire

Parmi les grandes questions abordées, on commence celle-ci: comment favoriser le sport féminin dès le plus jeune âge ? Margareth Gustave, handballeuse, explique : « Il faut aller avec les jeunes filles, leur donner envie de découvrir le sport, leur prendre la main dès le plus jeune âge, aller courir avec elles. » Le sport de Delphine, c’est le football. Selon elle : « Il ne faut pas partir dans la compétition tout de suite, il faut créer des moments simples. Moi, quand je voyais une jeune fille faire du jonglage dans la rue avec un ballon, j’étais émerveillée. »

Pour Aurélie, judokate, l’amour du sport est arrivé par hasard : « Moi, je suis originaire de Saint-Louis, d’un quartier difficile. Grâce au sport, j’ai pu me construire. Le fait d’avoir un plateau accessible, développé par la mairie, comme à la Palissade, d’où je viens, a favorisé ma pratique. Moi je voulais faire du karaté à la base, et je suis arrivée avec mon kimono. On m’a dit : “Tu salues le tapis et tu y vas.” Donc je n’ai pas tout de suite compris, mais j’y suis allée, et j’ai adoré. C’est comme ça que tout a commencé. »

Anitha, tombée en amour pour le handball raconte « Tout a commencé avec de l’initiation scolaire et une convention sportive des clubs de la région. » Enfin, Gaëlle raconte comment sa pratique du football a commencé avec les « sports vacances » : « À l’époque, on n’avait pas tant d’exemples au niveau du football. Quand il y a une médiatisation des femmes, ça aide aussi. »

Charlotte Girard-Fabre raconte ses débuts « Je suis née dans une famille matriarcale, élevée par ma mère et ma grand-mère. C’était plutôt la culture qui prévalait au sport, mais j’étais hyperactive. Donc j’ai été accompagnée à bouger, et il y avait une patinoire dans mon village donc j’ai commencé le hockey sur glace. J’ai quand même dû me battre contre les préjugés, car j’ai dû attendre trois mois pour avoir une dérogation et pouvoir jouer au hockey sur glace, parce que j’étais une fille. »

Charlotte Girard Fabre, Présidente de l’AFCAM ( Association Française du Corps Arbitral Multisports )

La famille, les institutions et les médias doivent jouer un rôle

Féminiser le sport, c’est donc le rôle des familles, des institutions publiques mais aussi des médias. « En tant que parents ou grands-parents, tout est dans vos mains. Ça n’est pas juste “je dépose mon enfant au sport et je reviens après”. C’est à la maison, c’est courir dans le jardin plutôt que de faire un jeu vidéo, c’est aussi donner la possibilité aux petites filles de rêver et accepter qu’elles puissent faire du foot ou du hockey. » Sur ce point, les médias ont un rôle évident. Charlotte demande à la salle de citer trois femmes de l’équipe de rugby… C’est compliqué. Alors que pour le XV de France masculin, les noms fusent plus vite. L’exemple est criant: nous avons besoin d’exemples féminins pour nous faire dire que c’est possible, aussi, en tant que femme de faire du sport, et qui plus est à haut niveau.

Les institutions aussi doivent rendre les infrastructures inclusives. Concrètement, cela passe par le fait de proposer des vestiaires féminins. Mais encore faut-il avoir une équipe féminine. La présidente de l’AFCAM rappelle qu’en milieu rural, ça n’est pas encore acquis partout.

« On joue toujours en mixité, puis à 14 ans, il n’y a plus de solution. Il y a une solution pour les garçons parce qu’ils sont nombreux, et puis pour les filles il n’y a plus de solution et là c’est la famille qui doit intervenir. Soit en faisant des aller-retours beaucoup plus loin en ville. Moi, ma mère devait m’emmener dans une équipe féminine qui était à 1 h 30 de trajet. Donc autant vous dire que j’ai dû batailler fort et avoir plutôt de bonnes notes à l’école pour obtenir le droit de faire quelques aller-retours. »

Soutien financier mais stéréotypes de genre

Pourtant, l’animatrice tient à rappeler qu’on est peut-être pas si mal loti·es en France, avec un accès financièrement abordable au sport. » Tout n’est pas parfait, mais on a la chance d’avoir un sport sponsorisé par nos impôts, il faut le dire. On donne accès à n’importe quel enfant à une pratique de foot, de judo, à partir de 100, 150 euros par an. »

Mais les barrières financières ne sont pas les seules à devoir être levées. Les stéréotypes et les inégalités de genre au sein du foyer persistent et doivent être questionnés. Charlotte Girard- Fabre interpelle la salle : « Je vois des femmes qui sont en âge d’avoir des enfants, qui ont peut-être eu des enfants. À quel moment vous êtes-vous interdites de reprendre le sport en vous disant : “Bah tiens, j’ai le bain à donner ou les devoirs à faire, cette fameuse charge mentale”, pendant que monsieur allait courir ? » Elle précise : ce n’est pas une attaque envers les hommes de l’audience, c’est un questionnement que tout le monde doit avoir, peu importe le genre, si l’on tend collectivement vers une réduction des inégalités.

Pour l’instant, les femmes présentes derrière le micro doivent peut-être leurs médailles à leur talent et à leurs sacrifices, couplés à une grande force de caractère. Reste à espérer qu’à l’avenir, les deux premiers suffiront et que la société favorisera aussi la percée des femmes dans le sport de haut niveau.

Crédit photo @MahmurMarganti

Sarah Cortier

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A propos de l'auteur

Sarah Cortier

Journaliste, issue d’une formation de sciences politiques appliquées à la transition écologique et persuadée que le journalisme est un moyen de créer de nouveaux récits, Sarah a rejoint l'équipe de Parallèle Sud. Elle souhaite participer à ce travail journalistique engagé, et apporter de nouveaux regards sur le monde.

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