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Le film Furcy né libre appelle au devoir de mémoire

EDITO

Mercredi 3 décembre dernier est sorti le nouveau long-métrage d’Abd Al Malik : Furcy, né libre. Est retracée l’histoire de Furcy, esclave né d’une mère affranchie, qui fait de sa liberté le combat de sa vie. Derrière la biographie d’un homme, le film replace sur le devant de la scène une période historique qu’il est nécessaire de regarder en face, et sur grand écran, par devoir de mémoire.

La bataille juridique d’un esclave né libre

L’histoire débute en 1817. Furcy découvre, à la suite du décès de sa mère Madeleine, l’acte d’affranchissement dont elle fait l’objet, la libérant officiellement de son statut d’esclave. Ce papier est le point de départ d’un combat : celui pour sa liberté et celle de sa descendance, en tant que fils d’une mère affranchie. Né libre, il attaque en justice son maître Joseph Lory qui le maintient illégalement en servitude depuis sa naissance. La bataille juridique débute alors. Défendu par un procureur ayant fait de l’abolition de l’esclavage le combat d’une vie, le sort de Furcy peine à faire le poids face à l’écrasant système esclavagiste de l’époque. Pendant 25 ans, cet homme survit à l’atrocité d’une institution réduisant des milliers d’hommes et de femmes au rang de marchandises, et fait de sa lutte juridique son « unique raison de vivre ».

Pour incarner l’histoire et honorer le poids de sa représentation au cinéma, Makita Samba joue le rôle de Furcy, Romain Duris celui du procureur puis de son avocat, Vincent Macaigne celui de son maître et Ana Girardot la compagne de Furcy. L’ancrage local du film réside dans le casting, avec 15 comédiens réunionnais, plusieurs centaines de figurants et environ 80 techniciens locaux, ayant majoritairement tourné à La Réunion.

Regarder les parties les plus dures de notre histoire

Les scènes de violence ne sont pas raccourcies par gêne, par volonté de ne pas choquer, de ne pas heurter la sensibilité des spectateurs. Par devoir de mémoire, montrer des images aussi véridiques que la réalité de l’époque, empreinte de toute sa violence et de sa cruauté, est une évidence. Les coups de chabouk retentissent, sur les pieds, sur les dos, sur les visages des esclaves considérés comme « meubles ». La scène choque lorsque les mots sortent de la bouche de l’avocat du maître de Furcy lors du premier procès. L’horreur du système de pensée et de son application est dépeinte par des dialogues et des images qui suffisent à eux-mêmes. La domination des esclavagistes, la rage des esclaves dont celle de Furcy, tout comme la soumission qu’ils doivent adopter face à leurs maîtres sont montrées telles qu’elles.

Et c’est là que l’on comprend l’importance de ce film : lorsque l’on ferme les yeux par réflexe ou par surprise face à la violence d’une scène de torture. Montrer la violence, relater les faits au plus près de leur véracité est une ode au devoir de mémoire.

Abd Al Malik décide d’adapter le film lorsqu’il découvre le récit dans le livre L’Affaire de l’esclave Furcy de Mohammed Aïssaoui. Sur le plateau de Réunion La 1ère, il confie : « Je ressens aussi que le vivre-ensemble est menacé et c’est aussi la fonction de ce film. De dire au peuple réunionnais qu’ils doivent conserver leur singularité, leur identité. C’est être capable de regarder notre histoire collective droit dans les yeux, et de se demander comment ensemble on va faire peuple, on va faire France, tous ensemble, et surtout dans une démarche d’empathie. Que l’on n’aura pas peur de regarder les parties les plus dures de notre histoire, et notamment l’histoire de l’esclavage […]. »

Affiche du film  » Furcy, né Libre » Abd Al Malik

Un écho dans nos sociétés contemporaines ?

Ce film agit aussi comme une piqûre de rappel. Un rappel de cette période sombre de l’Histoire et d’une nécessité urgente à la regarder en face, et sur grand écran. Car lorsque le temps passe, l’art et la culture laissent une trace, marquent les esprits des petits et des grands, des générations entières qui se doivent de ne surtout pas oublier. Le 7ᵉ art joue son rôle en produisant des images, aux côtés d’une nécessaire transmission pédagogique qui doit se jouer aussi sur les bancs de l’école. Transmettre pour ne pas oublier, pour ne pas minimiser, pour ne plus jamais reproduire.

Se souvenir de ce que des sociétés humaines, des systèmes solidement ficelés ou des pensées habilement manipulées ont pu faire résonne aussi avec une période contemporaine marquée par la montée de l’extrême droite. Dans un monde où la couleur de peau, la religion ou l’origine ethnique sont encore sources de discriminations, ce film est le moyen de se rappeler les dérives dont l’humain peut être à la fois l’auteur et la cible. Ces temps où l’enfer vient des autres. Où la lumière humaine est réduite à néant, au profit du vice, de la cupidité et de l’avidité de pouvoir.

Derrière le combat juridique de Furcy se cache en réalité le combat pour un idéal : celui de la liberté des Hommes et de leur égalité. Et pour le toucher du doigt, Furcy n’a que le droit pour espérer l’atteindre. En 1843, la Cour royale de Paris tranche enfin lors d’un dernier procès et déclare que « Furcy est né en état de liberté ». En 1848, cinq ans plus tard, l’esclavage dans toutes les colonies françaises est aboli.

Au-delà du destin de Furcy, c’est la période de l’esclavage qui est mise en lumière avec ce film qui se veut faire du bien, par un devoir de mémoire. L’écho à notre société contemporaine apparaît, sous-jacent, dans cette histoire dans laquelle l’alignement à des valeurs profondes, le courage et la croyance en un idéal aboutissent à des avancées historiques, pour le bien de l’humanité. Au-delà d’un simple questionnement manichéen, est aussi soulevée la question de la représentation des notions de liberté, d’égalité et de fraternité dans nos sociétés contemporaines. La place donnée à la mémoire, à la reconnaissance de l’atrocité du passé et à la lutte pour son absence dans le futur semble également impulser les applaudissements d’une salle entière lorsque le générique défile. Ce film est définitivement à voir.

Sarah Cortier

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A propos de l'auteur

Sarah Cortier

Journaliste issue d’une formation de sciences politiques appliquées à la transition écologique, Sarah est persuadée que le journalisme est un moyen de créer de nouveaux récits. Elle a rejoint l'équipe de Parallèle Sud pour participer à ce travail journalistique engagé et porter de nouveaux regards sur le monde.

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