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Jean-Marc Montez Ewen Montez accident gendarmes suicide

[Gendarmerie] Quand un banal accrochage mène au suicide

INJUSTICE

Ewen s’est pendu. Le jeune homme de 19 ans, quelques mois auparavant, avait eu un banal accident de la route. Pour son père, c’est le traitement de cet accrochage par les gendarmes puis la justice qui l’a fait passer à l’acte.

Jean-Marc Montez Ewen Montez accident gendarmes suicide
Ewen Montez s’est donné la mort le 1er février dernier.

Une moto de sport, un gros cube, bien dans sa file à 80 km/heures sur la voie de droite de la quatre-voies… qui peut croire à ça ? Personne ? Eh bien si. Contre toute attente, les gendarmes du Tampon, et la police à leur suite, eux, pensent que le scénario est crédible. Le 12 juillet 2023, une voiture et une moto sont entrées en collision entre Pierrefond et Saint-Louis. L’automobiliste, sept mois plus tard, a mis fin à ses jours, « ne supportant pas l’injustice », dénonce Jean-Marc Montez, le père du jeune conducteur.

Pourtant, les indices sont édifiants. D’après l’ancien militaire, les gendarmes ont voulu couvrir un copain, au mépris de la loi et de la déontologie. « Il était 16h38 quand mon fils m’a appelé. J’ai pris ma moto et me suis rendu sur les lieux de l’accident en dix minutes. Sur place, il y avait, en plus de mon fils, le motard et deux agents de la direction des routes. J’entend le motard dire à mon fils ‘tu as failli me tuer’. ‘Vous alliez trop vite’, répondait Ewen. ‘Je suis gendarme’, assurait le motard en tentant de l’impressionner. C’est évident que la cause de l’accident est la vitesse », raconte Jean-Marc Montez. 

La portière avant droite porte des traces de rayures, le rétroviseur est cassé et le pare-chocs de la Nissan NV 200, une petite camionnette tôlée, est plié vers l’avant. « La moto, une Ducati, présente le sélecteur de vitesses plié vers l’arrière, tout comme son crash bar ». Pour Jean-Marc Montez, les circonstances ne font aucun doute : « La moto, ce modèle est une bombe, est arrivée comme une fusée par la droite, a tapé la voiture sans tomber grâce à sa vitesse, alors que mon fils allait se rabattre sur la voie de droite après un dépassement ».

Jean-Marc Montez Ewen Montez accident gendarmes suicide
Les dégâts occasionnés par l’accrochage laissent peu de doute quand à la vitesse de la moto.

« Le motard était au téléphone ; je l’entends demander à son interlocuteur de venir », poursuit le père de famille. Arrivent alors trois gendarmes. « Ça a été un sketch », estime Jean-Marc Montez. « J’ai demandé à ce qu’un test d’alcoolémie soit réalisé ; un gendarme s’énerve, me prend à partie et me demande à plusieurs reprises si j’ai l’intention de lui apprendre son métier ». « J’entends le motard déclarer – au moins l’un des agents de la direction des route a forcément entendu lui aussi – ‘je sors du resto, j’ai un peu bu’ ». Là, l’un des gendarmes fait souffler dans l’éthylotest de façon pas du tout règlementaire, trop rapidement et pas vraiment dans l’embouchure. 0,17 grammes, montre l’appareil. Mon fils, lui, a soufflé longuement jusqu’au bip ; il avait zéro », se souvient l’ancien militaire, qui remarque la bienveillance des pandores à l’encontre du motard, une bienveillance qui tranche avec le ton employé avec son fils et lui. 

Jean-Marc Montez a porté l’uniforme pendant vint-huit ans. Son fils Ewen, croyait dans la probité à l’armée et voulait s’engager dans la marine nationale. A l’âge de un an, il avait perdu sa grande soeur, écrasée sous une grue dans la cour de son école. La faute est restée impunie. « Il était très sensible, peut-être à cause de cet accident », évoque le quinquagénaire. 

Affaire rapidement classée

Alors que les trois gendarmes demandent aux protagonistes de rejoindre le prochain rond-point pour établir le constat, le motard remonte sur son véhicule et poursuit sa route. C’est pour cette raison que le père et le fils vont le lendemain porter plainte au commissariat de police de Saint-Louis. « Après deux heures et demie d’attente, on nous dit qu’on ne pourra pas prendre notre plainte. J’ai donc écris au procureur », explique le père d’Ewan, qui estime que la procédure est viciée. Son fils ayant reconnu avoir commencé à se rabattre alors que le motard prétendait rouler tranquillement sur la voie de droite quand on lui a coupé la route, l’automobiliste était en tord aux yeux de l’assurance. 

Pour justifier cet avis, il souligne que les gendarmes viennent du Tampon, là où habite le motard. « C’est un peu loin pour un accident près de l’usine du Gol. » Et puis que le motard n’a pas composé le 17 mais un numéro de portable, qu’il prétendra avoir ‘trouvé sur internet’. « Les horaires non plus ne correspondent pas, ils ont confondu deux appels pour se justifier », dénonce Jean-Marc Montez. 

Mais, sur la foi d’une enquête de police qui ne prend en compte que le rapport des gendarmes, l’affaire est rapidement classée (*), dès le mois de septembre. Sans que Jean-Marc ou Ewen Montez ne soient informés ; ils ne le découvriront qu’en avril de l’année suivante, en lisant l’article que le JIR avait consacré à l’histoire. « Il était alors trop tard pour faire valoir que les dégâts étaient incohérents avec les déclarations », s’indigne le militaire à la retraite. « On aurait pu savoir au restaurant où il avait mangé s’il avait bu, on aurait aussi pu interroger les agents de la DDE. Il n’y a pas eu d’enquête », remarque-t-il encore. 

Jean-Marc Montez Ewen Montez accident gendarmes suicide
Jean-Marc Montez demande que justice soit faite.

Mais le jeune conducteur, jour après jour, déprime. « Je suis un fléau », disait-il à ses parents qui, inquiets, l’avaient fait suivre par un thérapeute. « Le 1er février, je l’ai décroché, il s’était pendu », assène le père. Et si la réaction paraît disproportionnée, de nombreux signes avant courreurs s’étaient manifestés. L’un des amis d’Ewen a même témoigné de son soutien en disant que, en effet, le garçon était très affecté par cette histoire qui le minait. 

Depuis, Jean-Marc Montez a de nouveau déposé plainte (**) en août dernier, cette fois pour non assistance à personne en danger. Il a aussi écrit à toutes les autorités possibles (ministre de l’Intérieur, l’IGGN, le général, au préfet…). « J’attends pas un centime, je veux que justice soit faite », nous dit-il. Le procureur Olivier Clémençon, contacté, nous confirme que « l’affaire est à l’instruction ». Et nous renvoie vers l’article du JIR pour les détails. La gendarmerie y indique notamment que, à propos du contrôle d’alcoolémie, « ce type d’éthylotest n’affiche aucun résultat si on ne souffle pas suffisamment longtemps ».

Faut-il le rappeler, le faux en écritures publiques (ce n’est pas ce que Jean-Marc Montez reproche aux services de l’Etat) est passible des assises. Qui a jamais entendu parler d’un seul cas d’un membre des forces de l’ordre condamné pour ce crime ? Peut-être, dans le cas contraire, Ewen serait-il encore de ce monde. 

Philippe Nanpon

(*) Plainte pour fausse déclaration à l’assurance et abus d’autorité sur autrui.

Plainte contre les trois gendarmes de la patrouille pour non respect des protocoles, non assistance à personne en danger (le motard est reparti au guidon de sa moto avec un pied cassé) et surtout du code de déontologie dû à l’uniforme.

(**) Plainte avec constitution de partie civile pour non assistance à personne en danger (Jean-Marc Montez avait averti un gradé de l’état de détresse de son fils). Mais, Pour Jean-Marc Montez, il s’agit aussi de « mise en danger volontaire ayant entraîné la mort sans intention de la donner par personne dépositaire de l’autorité dans l’exercice de ses fonctions ». Il évoque également une « association de malfaiteurs »

A propos de l'auteur

Philippe Nanpon | Journaliste

Déménageur, béqueur d'clé dans le bâtiment, chauffeur de presse, pompiste, clown publicitaire à roller, après avoir suivi des études d’agriculture, puis journaliste depuis un tiers de siècle, Philippe Nanpon est également épris de culture, d’écologie et de bonne humeur. Il a rejoint l’équipe de Parallèle Sud pour partager à la fois son regard sur La Réunion et son engagement pour une société plus juste et équitable.