LIBRE EXPRESSION
On n’avait plus de doute sur la propension réunionnaise à appliquer sans scrupule le syndrome de la goyave de France en matière d’embauche des élites économiques et administratives. Mais là, son affectation à la culture musicale créole est une innovation qui fera date.
La nomination d’un expat métro nouveau directeur du PRMA, décidée au travers d’un processus pour le moins suspect, arrangée sous l’influence de réseaux qui ne disent pas leur nom, a déclenché une multitude de réactions dont les vagues ne s’apaiseront pas de sitôt.
Nous sommes au cœur de la culture réunionnaise, au cœur de sa fonction identitaire et sociale, au cœur de sa sauvegarde, au cœur du débat et du combat contre son aliénation. Il est bon de se rappeler que les altérations culturelles ne sont pas générées simplement par l’importation de produits et d’objets extérieurs, mais surtout par l’invasion de logiques étrangères, non intégrées à des pratiques dont la vulnérabilité intrinsèque menace leur survie de façon chronique.
Cet épisode nous apprend à nouveau que l’homme réunionnais est trop fréquemment acculé à vivre son héritage culturel et ses pratiques comme une faiblesse qui le fragilise devant les apports qui viennent d’ailleurs. Leur pseudo « supériorité » technique et intellectuelle l’écrasera sans trop de ménagement, toujours accompagnée, bien entendu, d’une argumentation imparable, administrative, réglementaire ou matérielle. Dans sa confrontation aux cultures exogènes hégémoniques pour la compétition sociale et économique, adossée à l’acquisition des prestigieuses compétences qu’elle suppose, la disqualification de fait jetée sur la culture créole risque bien d’être présentée comme inéluctable.
La culture écrit et décrit l’âme d’un peuple.
Nous croyons pourtant que les acteurs culturels de la Réunion, artistes et artisans de toutes les créations et de toutes les disciplines, sont les témoins vivants et les inventeurs éblouissants de la totalité des formes qu’adopte notre culture. Ils sont les pionniers de nos aspirations les plus élevées, ils restaurent notre confiance en la créativité de l’Homme, ils nous permettent de croire à l’actualité et à l’avenir de notre propre génie. Nous leur devons soutiens structurels et financiers, rigoureux et lucides, comme si nous y étions tenus directement à nous-mêmes et à notre épanouissement.
La culture est la matrice qui modèle nos rapports à nous-mêmes et au monde, à notre façon de vivre, de penser et de construire le quotidien, de nous projeter dans le passé, le futur et l’absolu. Elle détermine nos relations à la société, elle suscite la perception que nous avons de son histoire, de ses structures et de ses liens, elle nous relie au cadre de vie construit, à nos façons d’habiter, à notre environnement, à la conception de l’économie et à sa production, elle fonde et nous confère une identité repérable entre toutes. L’effacement et la désintégration de la culture, s’ils désorganisent certainement les processus identitaires, affectent également l’ensemble de la vie sociale et la conception même de son organisation politique et économique. L’état actuel de nos sociétés l’illustre en abondance.
Pour en revenir à cette nomination discutable et discutée : « … En matière culturelle comme dans tant d’autres domaines, les facteurs exogènes, qui peuvent représenter dans un premier temps une potentialité nouvelle, produisent parfois des conséquences négatives, dont le caractère masqué ou « à effet-retard » ne s’en révèle pas moins pernicieux. Tout dépend du pouvoir des groupes sociaux et des individus de s’approprier la dynamique de cette évolution et ses éléments les plus concrets, les faire leur et ne pas simplement en subir l’emprise… »
En la circonstance, on peut toujours rêver !
Arnold Jaccoud
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