[Grand Raid] « C’est comme être en apesanteur »

LE LIBRE PARCOURS DE JEAN FAUCONNET (DOSSARD 183)

47 heures, 29 minutes et 20 secondes. Jean Fauconnet, qui prend soin de nos coulisses numériques, a mis son corps et son esprit à rude épreuve sur le Grand Raid. Avec une semaine de recul, il revient sur son parcours, ses hauts et ses bas… jusqu’à l’euphorie de l’arrivée. Récit…

Tu as terminé le Grand Raid en moins de 48 heures, bravo. À quoi as-tu pensé en franchissant la ligne d’arrivée ?

Franchir cette ligne m’a fait un effet indescriptible. Bien sûr une grande joie de me dire « ça y est, c’est terminé, je l’ai fait ! ». Le bonheur de partager ce moment avec mon épouse, mes amis qui étaient présents. Une espèce d’euphorie qui efface les douleurs, la fatigue, tout ce qui pourrait être négatif. C’est un peu comme être en apesanteur, un pur et délicieux moment hors du temps.

Peux-tu nous raconter ta course ? Les moments de doute, les moments d’euphorie…

Je suis parti dans la quatrième vague, trente minutes après les premiers. Je savais qu’il y avait un risque de bouchon au Domaine Vidot car on passe de la route au sentier et cela pouvait bloquer au niveau des marches.

Je suis donc parti assez vite pour remonter les vagues précédentes. J’ai rattrapé la troisième vague et la fin de la deuxième vague juste avant le Domaine Vidot.

Il n’y a pas eu de bouchon au niveau des marches mais quelques petits kilomètres plus loin, on s’est retrouvé à l’arrêt. Seulement trois cents mètres de fait en cinquante minutes. En pleine nature, avec de l’humidité et un petit vent… j’étais totalement congelé ! Grosses crises de tremblements, crampes abdominales, j’étais pas loin de l’hypothermie.

Lorsque l’on a enfin avancé, j’avais les jambes dures et il m’a fallu presque quatre heures pour retrouver des sensations correctes.

A partir de là, j’ai fait à mon rythme. Dans la montée du coteau Kerveguen, j’ai vraiment souffert et j’ai commencé à trouver le temps long pour arriver au gîte. Premiers doutes sur ma capacité à finir la course.

« Je me suis allongé sur le côté, dans le sentier, pendant une quinzaine de minutes. »

A Cilaos, le ravito « perso » avec mon épouse m’a permis de souffler un peu, de charger mon équipement et de bien m’alimenter. Je suis reparti motivé.

Dans le sentier de la cascade du Bois Rouge, j’étais collé au sentier, jambes très lourdes et sentier interminable avant d’arriver au pied du Taïbit.

Cette montée du Taïbit me convient bien et je me suis refait une santé dedans. J’ai repris du plaisir et le passage à Marla puis la remontée vers la Plaine des merles s’est bien passée.

Psychologiquement, c’est la deuxième nuit qui commence. J’ai commencé à réfléchir sur le fait de dormir ou non, et où… J’ai senti le sommeil me titiller dans la descente du sentier scout. Je me suis allongé sur le côté, dans le sentier, pendant une quinzaine de minutes. Je suis ensuite reparti en décidant de dormir à Grand Place.

Après trente minutes sous la tente, au chaud, j’étais prêt à repartir pour aller au sommet de la Roche Ancrée. La descente assez dangereuse m’a fait douter car mes appuis n’étaient pas top. Ce qui a été très dur, c’est la remontée vers Roche Plate. Je n’ai jamais autant souffert ! Mais je savais que de toute façon, abandonner à Roche Plate n’était pas une option puisqu’il aurait fallu rentrer à pied de toute façon.

Quand le soleil s’est levé dans la descente vers les Orangers, la forme était là et j’ai assuré jusqu’à Deux Bras. J’ai pris une bonne pause, bien mangé pour enchaîner avec Dos d’Âne.

A ce moment, j’avais vraiment confiance pour bien terminer la course. Et puis il y a eu Kalla, chaleur et humidité. J’ai été assommé !

Impossible d’avoir du souffle pendant de nombreux kilomètres malgré un autre ravito perso à La Possession. A l’attaque de Chemin des Anglais, j’ai eu le plaisir de voir Jéromine avec son appareil photo. Les petits instants d’échanges ensemble m’ont fait souffler un peu.

Depuis La Possession, j’ai été accompagné par un camarade, Paul, jusqu’à la Redoute. Il m’a bien motivé dans les moments durs, surtout la remontée sur les pavés après la Grande Chaloupe.

Lorsque le soleil a commencé à descendre, la fraîcheur m’a fait revivre. J’en ai profité pour accélérer et finir les dix derniers kilomètres deux fois plus vite que les vingt précédents.

Et enfin, la délivrance sur le stade !

Donc une course faite de hauts, de bas, de confiance, d’angoisse… un peu tous les sentiments.

As-tu été affecté par des problèmes d’organisation, par exemple les embouteillages sur les sentiers ?

En fait, je ne sais pas à quoi les embouteillages étaient dus. Peut-être l’organisation, ou encore des coureurs blessés, alors je ne veux incriminer personne.

Par contre, j’ai trouvé que les ravitos ne manquaient de rien, que le balisage était bon, bref pour moi, l’organisation a été bonne dans l’ensemble.

Quel était ton point fort ?

Je pense que c’est mentalement, quand j’ai dépassé mon kilométrage record et qu’il restait encore cinquante bornes. A ce moment je ne savais pas si mon entraînement serait suffisant, si je n’allais pas avoir de blessures. J’ai fait confiance à mon corps et je suis mentalement resté focus sur l’objectif.

Quel a été ton point faible ?

Les descentes en général. Je n’ai pas osé prendre un minimum de risque pour ne pas chuter ou me blesser. Forcément, cela fait perdre du temps et n’est pas économe en énergie.

« A partir de la fin du sentier scout, j’ai eu la compagnie d’un chien qui m’a accompagné plusieurs kilomètres. C’était génial car je me suis concentré sur lui, je lui ai parlé et je ne pensais plus à la course. »

Peux-tu nous raconter un de tes moments d’émotion de cette grande traversée ?

Ma plus grande émotion a été le départ avec cette foule incroyable, les mains tendues, les groupes de musique… sur dix kilomètres. Cela donne un élan, une force de folie. J’en ai eu les larmes aux yeux tellement c’était puissant.

Une rencontre exceptionnelle ?

Un chien ! Sérieusement. A partir de la fin du sentier scout, j’ai eu la compagnie d’un chien qui m’a accompagné plusieurs kilomètres. C’était génial car je me suis concentré sur lui, je lui ai parlé et je ne pensais plus à la course. A une intersection, il est parti de l’autre côté et je me suis senti seul d’un coup. Depuis des années que je m’entraîne et fais des courses dans Mafate, ça ne m’était jamais arrivé. Merci à ce chien !

Avec le recul d’une semaine tu penses t’être fait du bien ? Ou du mal ?

Les deux ! Bien sûr que l’impact physique est réel et cela se ressent (fatigue, pieds endoloris). Mais dans la tête, cela fait un bien fou. Deux jours dans la nature, parfois en groupe, parfois seul, des paysages magnifiques, une ambiance de folie (départ mémorable), des bénévoles aux petits soins. Ce sont des souvenirs à vie et une satisfaction profonde !

Reviendras-tu sur le Grand Raid ? Quel est ton prochain objectif de fou ?

C’est un peu tôt pour le dire. Ce qui est sûr, c’est que d’une façon ou d’une autre je participerai à d’autres aventures sur le Grand Raid.

Mon prochain objectif de fou ? Ce fameux record de distance à vélo sur home-trainer, ce serait super.

En tout cas, ce type de défi force à rester humble et à respecter aussi bien la nature (plus forte que nous) que les autres, car chacun de nous a ses propres limites et les dépasser est toujours un exploit sans considération d’un classement ou d’un chrono.

Entretien : Franck Cellier

A propos de l'auteur

Franck Cellier | Journaliste

Journaliste d’investigation, Franck Cellier a passé trente ans de sa carrière au Quotidien de la Réunion après un court passage au journal Témoignages à ses débuts. Ses reportages l’ont amené dans l’ensemble des îles de l’océan Indien ainsi que dans tous les recoins de La Réunion. Il porte un regard critique et pointu sur la politique et la société réunionnaise. Très attaché à la liberté d’expression et à l’indépendance, il entend défendre avec force ces valeurs au sein d’un média engagé et solidaire, Parallèle Sud.