[Histoire] Un moulin à vent découvert à Saint-Pierre

ARCHÉOLOGIE PRÉVENTIVE AVANT LA CONSTRUCTION D’UNE CITÉ ADMINISTRATIVE

La mairie de Saint-Pierre veut construire une nouvelle cité administrative. Avant de creuser des parkings souterrains et tout chambouler, les archéologues décapent, ratissent et tamisent 6 400 mètres carrés de terrain. Ils ont déjà exhumé la base d’un ancien moulin à vent.

Extrait d’un plan de l’île Bourbon de 1823.

Un moulin en dessous de la mairie de Saint-Pierre ! Quelques semaines après le début des fouilles, c’est déjà une belle découverte archéologique même si ça ne surprend pas Pascal Laude, le responsable du pôle « patrimoine » de la ville. Incollable sur l’histoire de la capitale du Sud, il dispose d’un plan de 1773 « levé par le Chevalier de Tromelin » où ce petit moulin apparaît. C’est donc avec une certaine émotion qu’il voit exhumer les fondations de l’édifice.

Les fouilles préventives, qui vont durer jusqu’au mois de juillet, servent certes à valider ce que les historiens ont pu décrire au cours des siècles passés. Mais pas seulement, Les sept archéologues engagés par l’Inrap (Institut national de recherches archéologiques préventives) récoltent de nombreux vestiges qui, eux, peuvent raconter l’histoire non écrite de La Réunion. 

Par exemple, que pouvait-on bien moudre dans ce moulin ? Du blé ? Olivier Royer-Perez, l’adjoint de la conservatrice régionale de l’archéologie, acquiesce : « C’est tout à fait envisageable, des témoignages évoquent la culture du blé au XVIIIe siècle et les archéologues sont compétents pour repérer des graines qui auraient résisté au temps et identifier les variétés cultivées ici. »

Le mystère de l’os taillé

Hélène Silhouette, chef des opérations, conserve dans un sachet de plastique un os taillé trouvé sur le site. Il est parsemé de petits trous. Virginie Motte, la conservatrice régionale, fait le lien avec une découverte semblable lors de précédentes fouilles sur le site du petit marché de Saint-Denis et émet l’hypothèse qu’un artisan y ait creusé des boutons. Quand Hélène Silhouette évoque plutôt des perles ou la fabrication d’un jouet.

  • fouilles archéologiques préventives à Saint-Pierre Hélène Silhouette responsable d'opération de l'Inrap

Nous voilà plongés 200 ans en arrière, était-ce un mercier ou un bijoutier qui a taillé le bout d’os saint-pierrois ? « A Saint-Denis, nous avons découvert des vestiges d’artisanat qui ne correspondaient à aucun plan de l’époque. L’archéologie peut nous surprendre par rapport à ce que l’on croit savoir et apporter des éléments nouveaux », prévient Virginie Motte.

Elle rassure cependant les promoteurs de la cité administrative qui sera construite sur le terrain, une fois les fouilles terminées. Il n’y a pas de risque qu’une découverte exceptionnelle empêche la libération du terrain pour les travaux.

Pour l’heure, les enquêteurs amassent les indices : pipes en terre, fragments de verre, porcelaines, cendres d’une ancienne charpente, etc. De la pelleteuse au tamis en passant par la pioche, les archéologues ratissent tout ce que nos ancêtres ont pu laisser. « Nous creusons aussi sous les couches anthropiques (occupées par l’homme) pour comprendre comment les bâtiments ont été construits », explique Manuelle Prié, archéologue réunionnaise engagée sur ces fouilles.

fouilles archéologiques préventives à Saint-Pierre Manuelle Prié, archéologue réunionnaise
Manuelle Prié examine les fondations du moulin pour comprendre le mode de construction.

S’ils parviennent à faire parler les « couches » du XVIIIe siècle, ils retrouvent évidemment les traces plus récentes des bâtiments qui ont successivement occupé ce cœur saint-pierrois. Quand Pascal Laude se souvient du gymnase et de l’ancienne MJC qu’il a connus enfant, la responsable des fouilles lui montre l’endroit exact où se trouvaient les sanitaires.

Polémique autour de la future cité administrative

Ce site de fouilles, présenté comme la « deuxième fouille d’ampleur sur le sol réunionnais », sera ouvert au public le 15 avril, quelques jours avant la fin de la première phase de recherches. Il sera aussi l’une des attractions des journées européennes du patrimoine les 16, 17 et 18 juin.

Les fragments d’histoire disparaîtrons ensuite à tout jamais pour céder la place à des parkings souterrains, la nouvelle cité administrative et ses jardins. Ne resteront que les relevés topographiques et photographiques, quelques vestiges conservés et les rapports exhaustifs des scientifiques.

Cette future cité administrative, en plus d’être le fleuron de « l’action cœur de ville » portée par la municipalité (lire le dossier de presse) est aussi au cœur d’une polémique naissante. Dans une tribune, l’opposant municipal Emmanuel Doulouma reproche au maire de porter un coup dur aux commerçants du centre-ville avec la suppression de l’ancien parking.

fouilles archéologiques préventives à Saint-Pierre
L’adjoint au maire Nazir Valy (à droite) affirme que Saint-Pierre ne manquera pas de parkings.

Interrogé lors de la conférence de presse organisée ce mercredi, Nazir Valy, l’adjoint au maire chargé de l’opération « cœur de ville », affirme qu’en plus des deux sous-sols de parking prévus sous la cité administrative, « la mairie va présenter cette année un plan de stationnement ambitieux qui fera de Saint-Pierre le centre-ville le plus accessible de La Réunion ». Ça ? On demande à voir…

Franck Cellier

Projet d’un Centre de conservation et d’études archéologiques

Le service d’archéologie de La Réunion entre-t-il dans une nouvelle phase de développement ? Le service régional (SRA) n’a été créé qu’en 2010 et Virginie Motte en est la conservatrice depuis 2017. Il ne compte que deux personnes : elle et son adjoint. Pourtant, elle présente l’archéologie comme « une forte demande des Réunionnais ».

fouilles archéologiques préventives à Saint-Pierre Olivier Royer Perez adjoint au SRA et Virginie Motte conservatrice régionale de l'archéologie
La conservatrice, Virginie Motte, accompagnée de son adjoint, Olivier Royer-Perez, annonce la création d’un Centre de conservation et d’études archéologiques.

De fait, l’intérêt pour l’histoire de l’île est vif. Plus particulièrement pour l’histoire non écrite puisque chacun sait que l’histoire est écrite par les vainqueurs, en l’occurrence par la classe dominante. Et seule l’archéologie peut apporter des éléments scientifiques à la transmission orale de ce que fut vraiment l’histoire du peuplement réunionnais.

C’est l’étude archéologique qui permet par exemple d’exhumer les savoir-faire des « forgerons » qui travaillaient dans un « camp de Malgaches » au Baril à Saint-Philippe au XVIIIe siècle. Tout un pan de l’histoire de La Réunion est à documenter, celles des marrons et des esclaves bien sûr mais aussi celle des gens modestes.

Les bilans scientifiques des années 2017 à 2020 ont été édités sur catalogues. Ils sont accessibles sur le net. Ils montrent à quel point le sujet d’études est vaste et la place commence à manquer pour stocker et conserver tous les vestiges retirés des sols réunionnais.

Aussi, Virginie Motte annonce la création d’un « centre de conservation et d’étude (CCE) des données scientifiques de l’archéologie à Saint-Denis ». Un nouveau bâtiment devrait être construit rue Pitel. Il comprendra une bibliothèque, un laboratoire, un lieu de stockage et de conservation ainsi que des salles de conférences pour valoriser et vulgariser les résultats des recherches archéologiques de La Réunion.

F.C.

A propos de l'auteur

Franck Cellier | Journaliste

Journaliste d’investigation, Franck Cellier a passé trente ans de sa carrière au Quotidien de la Réunion après un court passage au journal Témoignages à ses débuts. Ses reportages l’ont amené dans l’ensemble des îles de l’océan Indien ainsi que dans tous les recoins de La Réunion. Il porte un regard critique et pointu sur la politique et la société réunionnaise. Très attaché à la liberté d’expression et à l’indépendance, il entend défendre avec force ces valeurs au sein d’un média engagé et solidaire, Parallèle Sud.

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