parking mairie Saint-Pierre archéologie

[Saint-Pierre] Les archéologues s’emparent des parkings

CONSTRUCTION D’UNE NOUVELLE CITÉ ADMINISTRATIVE

Depuis le 15 février, le centre-ville de Saint-Pierre a perdu 223 places de parkings. Sur le site, les archéologues entreprennent cinq à six mois de fouilles préventives avant la construction d’une cité administrative.

On nous cache tout, on ne nous dit rien. Voilà que, pendant que tout le monde s’affairait à préparer le passage d’un cyclone Freddy, qui a épargné notre île, la mairie de Saint-Pierre a interdit l’accès aux 4 parkings en contrebas de la mairie. Et pourquoi et comment ?

Des usagers se sont émus de cette « cachoterie », évoquant même une « pseudo-démocratie »… Pourtant rien n’était caché sauf que l’information n’est pas passée. Il y a même eu une enquête publique qui s’est tenue du 1er au 15 juin derniers avec avis dans les pages d’annonces classées des journaux et placardage de l’arrêté municipal sur quelques panneaux publics Qui y est allé ? Personne ou presque, signe qu’il reste une bonne marge de progression pour mieux informer la population.

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Il s’agit d’un vieux projet qui refait surface et les automobilistes ne sont pas près à revoir surgir les 223 places de parkings qui viennent de leur être confisquées. A la place s’érigera une « cité administrative » déjà dessinée par le bureau d’architectes Richez Associés. Elle s’inscrit dans le vaste programme de la ZAC Mail qui s’étire du marché couvert à la rivière d’Abord. Le coût de ce bâtiment sur trois étages est évalué à 24 M€. Le délai de construction de ce regroupement des services administratifs de la ville est encore incertain.

  • esquisse de la future cité administrative réalisée par les architectes de Richez Associés
  • esquisse de la future cité administrative réalisée par les architectes de Richez Associés

Six mois de fouilles préventives

La première incertitude plane sur les trésors archéologiques que pourrait receler une esplanade riche d’histoire. L’Etat a demandé l’ouverture de fouilles archéologiques préventives et confié le marché à l’Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap) qui est déjà intervenu à de nombreuses reprises sur le territoire. Le chantier est programmé du 15 février au 31 juillet.

Ce n’est qu’après avoir terminé leurs recherches sur le terrain que les archéologues délivreront « une attestation de libération ». Qu’y a-t-il à trouver sur ce terrain ? Le seul indice visible d’une occupation ancienne tient dans l’apparition d’un encadrement de porte en pierres taillées dans l’un des murs de soutènement… Coquetterie des maçons ou indice historique ?

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Un encadrement de porte dans un mur de soutènement…

Les images aériennes du site géoportail (IGN) de la section « remonter le temps », montrent que le terrain était quasiment vide. On y distingue un bâti modeste dans les années 1950 et c’est tout. Il se trouve qu’il y a eu beaucoup plus que cela dans les années 1980 comme l’explique l’historien saint-pierrois Loran Hoarau. « Il y avait là la grande Maison des jeunes et de la culture (MJC), un gymnase et un terrain de handball. Je fréquentais l’endroit. C’était un pôle de culture, de sport et d’animation très fort pour les jeunes. C’est également sur cet espace qu’était érigé le podium de la foire commercial. » 

De 1950 à aujourd’hui.

Une lithographie et une aquarelle

Et avant ? Une lithographie du 12 novembre 1847 de Louis-Antoine Roussin, repérée dans la banque de l’Iconothèque, dévoile une place d’armes devant la gendarmerie. A la même époque (1861), une aquarelle Hippolyte Charles Napoléon Mortier, marquis de Trévis, regarde Saint-Pierre, vu de la mer, alors que le Port n’a pas encore été creusé. Là encore, on devine un pavillon, des maisons et des bâtiments sur deux étages.

  • Souvenir de l’Ile Bourbon, N°38. Hôtel de la Gendarmerie (Saint Pierre) / Dessiné d’après nature et lithographié par A. Roussin. – Saint-Denis (Bourbon), rue du Barachois n° 47 : [Imp.] lithogr. A. Roussin et Dureau, 12 novembre 1847. - 1 est. : lithogr., en noir ; 15 x 20,5 cm (im.), 23,5 x 32,5 cm (f.).
  • Saint Pierre - Vue prise du bout de la jetée de l'Est. Juillet 1861 / Hippolyte Charles Napoléon Mortier de Trévise del. - 1861. - 1 dess. : aquarelle, en coul. ; 20,6 x 29 cm.

Selon Loran Hoarau, ce lieu est depuis longtemps central dans la cité saint-pierroise, pôle à la fois commercial, administratif et culturel. C’est là que la compagnie des Indes entreposait les marchandises. L’actuel préfecture des Terres australes antarctiques (Taaf) et la salle de spectacle du Kerveguen en ont hérité.

C’est désormais aux archéologues de relire cette histoire pendant quelques mois et d’en exhumer de nouveaux témoignages. 

Pédibus, vélo et trotinette

Une deuxième incertitude, qui touche les défenseurs des arbres, pèse sur le banian qui permettait d’identifier, entre autres, le snack-bar qui s’étalait sous son ombrage. A priori, l’arbre sera préservé, puisqu’il apparaît sur les esquisses du cabinet d’architecte qui prévoit davantage d’espace végétal qu’aujourd’hui.

Quant au snack-bar lui même, il pourrait trouver un nouvel emplacement sur une parcelle voisine du jardin de la mairie. Le conditionnel s’impose car ce déménagement fait actuellement l’objet d’une contestation.

La seule personne ayant répondu à l’enquête publique a émis « un avis favorable » au motif que l’éradication des parkings permet, selon elle, d’embellir le site, promouvoir un pôle d’attraction culturel et socio-économique et développer les modes de circulation durable. Elle s’est cependant inquiétée de la raréfaction des places de parking.

La mairie lui a répondu qu’elle encourage « la marche à pied, le vélo, la moto et la trottinette » notamment à travers la proposition des vélos électriques Altervélo. La réponse cite également l’extension du périmètre de stationnement, et deux parkings relais à l’ouest (50 places) et à l’est (600 places en cours de conception). Une fois construite, la Cité administrative proposera 180 places de parking, soit un déficit de 43 places. Cela a suscité une réserve du commissaire enquêteur qui a, néanmoins émis un avis favorable.

Franck Cellier

A propos de l'auteur

Franck Cellier | Journaliste

Journaliste d’investigation, Franck Cellier a passé trente ans de sa carrière au Quotidien de la Réunion après un court passage au journal Témoignages à ses débuts. Ses reportages l’ont amené dans l’ensemble des îles de l’océan Indien ainsi que dans tous les recoins de La Réunion. Il porte un regard critique et pointu sur la politique et la société réunionnaise. Très attaché à la liberté d’expression et à l’indépendance, il entend défendre avec force ces valeurs au sein d’un média engagé et solidaire, Parallèle Sud.