Action d'XR contre la prolifération de la publicité à Saint-Denis, septembre 2023.

[Interview] « La publicité est représentative du système toxique dans lequel on évolue »

Depuis 2020, plusieurs associations militent contre les panneaux de publicité illégaux et l’invasion de la communication des multinationales dans l’espace public. Une nouvelle action se prépare d’ailleurs pour le 19 novembre. Parallèle Sud a voulu creuser le sujet avec deux d’entre elles parmi les plus impliquées : Paysages de France sur les volets administratif et juridique et Extinction Rébellion sur le militantisme. Interviews croisées.

Comment avez vous décidé de vous concentrer sur ce sujet de la prolifération de la publicité dans l’espace public ?

Association Paysages de France, Vincent Chausserie-Lapré :

Ca m’était devenu insupportable de voir ces publicités partout, et surtout des publicités qui incitent à la consommation de produits de mauvaise qualité avec des impacts néfastes pour l’environnement. Notamment l’alcool, les fast-food, les voitures… Voir comment lutter contre la communication massive des multinationales qui sont celles qui s’affichent à 80% sur ces grands formats.

« Identifier les infractions »

Ca fait très longtemps que l’association est sur le sujet en métropole et il n’y avait pas d’antenne à La Réunion. Je me suis rapproché de l’association parce que j’ai appris qu’en tant que simple citoyen, on ne peut pas faire de réclamation. Je voulais trouver un levier d’action, pour concrètement faire en sorte que ces panneaux disparaissent. L’objectif, c’était de comprendre comment identifier les infractions publicitaires, sachant que c’est le code de l’environnement qui régit la publicité.

Extinction Rébellion, Marielle Binsinger :

L’objectif d’Extinction Rébellion est d’alerter sur l’urgence climatique et lutter contre l’effondrement climatique. La pub pousse à la surconsommation et à la surproduction. Cela implique l’utilisation de l’eau pour la production du textile, l’utilisation des ressources, le transport de marchandises, la construction de hangars pour le commerce, on artificialise les sols pour faire ça… Tous ces éléments, entre autres, contribuent au réchauffement climatique.

« L’Etat cautionne cette illégalité »

Avec les infos qu’on a eues de la part de Paysages de France qui a fait le recensement des panneaux, on s’est rendu compte qu’il y avait 50% des panneaux à La Réunion qui sont illégaux. Donc il y avait déjà le problème de surconsommation et là, en plus, il y a celui de l’illégalité. Et c’est l’Etat qui cautionne cette illégalité car c’est la Préfecture qui est censée faire respecter la législation et elle ne le fait pas.

En janvier 2024, la responsabilité va basculer de la Préfecture aux communes. Avec cette actu on s’est dit que c’était l’occasion d’agir. On voulait que les élus se positionnent sur le sujet et mettent en place un RLP, un règlement local de publicité. St Denis et St Pierre en ont déjà mais ne le font pas respecter par manque de moyens humains.

  • Croix rouge posée par Extinction Rebellion sur les panneaux illégaux
  • Croix rouge posée par Extinction Rebellion sur les panneaux illégaux
  • Croix rouge posée par Extinction Rebellion sur les panneaux illégaux
  • Croix rouge posée par Extinction Rebellion sur les panneaux illégaux

C’est quoi le problème avec ces panneaux ?

Extinction Rébellion :

Ils sont une pollution visuelle et nous sont imposés. Il y a un martellement des messages, ça envahit le paysage et nos cerveaux. Quand on a vu 18 fois le même message, on a forcément retenu la marque de l’entreprise.

« Messages contradictoires »

La pub donne une image déformée de la réalité, on essaie de nous faire croire que le bonheur réside dans la possession de certains produits. Elle suscite l’envie de produits inutiles mais aussi la frustration de ne pas pouvoir les acheter. Elle accentue le différentiel entre riches et pauvres avant même l’achat.

La publicité façonne un modèle de société où on a des messages très contradictoires. Les gouvernements appellent les personnes à la sobriété énergétique et, en même temps, on nous incite à consommer, à acheter de grosses voitures, alors qu’on doit arrêter les énergies fossiles. On nous vend des burgers avec une inscription pour nous dire de manger cinq fruits et légumes par jour. Des bouteilles d’alcool avec l’indication que sa consommation est mauvaise pour la santé. La publicité favorise le développement des fast foods qui poussent à vitesse grand V sur notre île ces dernières années, alors qu’on connait les problèmes de santé, le fort taux d’obésité et de diabète. Ca pousse au développement de zones commerciales et entraîne une mort du centre ville qui est pourtant plus convivial.

La pub est bien représentative du système toxique dans lequel on évolue. C’est aberrant parce que c’est complètement contradictoire.

Paysages de France :

Le problème, c’est qu’il y a le discours politique et, derrière, une communication des entreprises qui ne correspond pas du tout. Et cela se fait avec une complicité des pouvoirs publics. La publicité, c’est monstrueux en termes d’activité économique : pour 1 euro investi c’est 7 euros qui rentrent. Ca génère du PIB au niveau local.

La responsabilité aux communes en 2024

Quand il n’y a pas de règlement local de la publicité porté par une commune ou une EPCI (établissement public de coopération intercommunale), c’est le préfet qui a le pouvoir politique de faire respecter la loi, du moins jusqu’en 2024. A force de se faire attaquer par l’association Paysages de France, de perdre ses procès au tribunal administratif, l’Etat a décidé de refiler aux collectivités ce pouvoir là. Une bonne centaine de procès ont eu lieu sur le territoire national devant le tribunal administratif.

Il faut savoir que pour chaque pub affichée, la commune touche une taxe, donc elle n’a pas intérêt à tout virer.

En quoi consiste la réglementation justement ?

Paysages de France :

On rencontre plusieurs situations illégales. Beaucoup de panneaux sont trop grands. La surface maximale de l’affiche doit être de 12m2. On constate souvent trop de panneaux sur une même parcelle. Si un propriétaire dispose de moins de 40m de linéaire, il a droit à un panneau. Entre 40 et 80m, il peut en avoir deux, entre 0 et 160m, trois. On a remarqué des panneaux trop proches des voisins ou encore des panneaux situés sur des zones interdites, c’est-à-dire hors agglomération.

Mêmes infractions, mêmes afficheurs

Le particulier n’est pas forcément au courant de la réglementation. L’entreprise qui fait la pub doit être au courant mais ne la respecte pas. Parfois le particulier gagne 500 euros par an par panneau, parfois c’est jusqu’à 2 000 euros mais ça dépend de la circulation. Les entreprises profitent de la misère des gens.

On a les mêmes infractions qu’on retrouve partout parce que ce sont les mêmes afficheurs sur tout le territoire.

Quelles actions avez-vous réalisées ?

Extinction Rébellion :

Au départ en 2020, on faisait de l’affichage de messages anti-pub sur les panneaux grand format, on allait coller nos affiches dans plusieurs communes de suite. Ensuite, il y a eu le recensement des panneaux illégaux par Paysages de France. Nous avons fait de grandes croix rouges en ciblant spécifiquement les panneaux illégaux. De la même manière, on a été dans plusieurs villes, avec à chaque fois un communiqué de presse, des photos. L’objectif est de faire connaître cette cause.

« Ca vous choque ? »

En septembre dernier, on a fait une action à la Plaine des Sables avec Greenpeace où on a tourné un petit film. On a écrit le mot pub avec des lettres de 30m de haut en utilisant des publicités qu’on a posées au sol. L’objectif, c’était de poser la question, est-ce que ça vous choque la pub dans une zone protégée, naturelle? Pourquoi alors on n’est pas choqué que cette pub envahisse nos quartiers, nos villes ? L’objectif était de choquer.

Le 23 septembre 2023, on a déroulé un papier de 150 m de pub dans une rue piétonne de St Denis pendant le dernier jour des soldes, avec le message « piétinons la pub ». Les gens ont participé, raconté des anecdotes. Les commerçants sont directement impactés en centre ville, ils en patissent vraiment.

Paysages de France :

Notre objectif est de lutter contre la communication omniprésente de ces grandes boites et dénoncer l’inaction de l’Etat. On ne dénonce pas l’afficheur, on vise le préfet.

L’association a des membres bénévoles un peu partout sur le territoire, qui remplissent une fiche d’infraction par panneau : une photo par panneau, le nom de l’afficheur, de l’annonceur, la localisation exacte et l’infraction précise au code de l’environnement.

« On vise le préfet »

On fait des dossiers de 30 à 50 infractions par commune ou quartier, on évite de se disperser. Quand le dossier est prêt, il est envoyé à l’asso nationale pour vérification. Elle s’occupe de la partie administrative, de porter le dossier à la Préfecture. En général rien ne se fait, on relance entre trois et six mois. Si au bout d’un an rien n’a été constaté sur le terrain, ça veut dire que la Préfecture n’a rien fait donc l’association saisit le tribunal administratif.

On laisse le temps aux pouvoirs publics de se mobiliser mais malheureusement, bien souvent, tant qu’il n’y a pas de saisie du tribunal administratif, le préfet se contente d’envoyer des courriers de mise en demeure aux entreprises. A ce moment, soit le préfet va plus loin et sanctionne les entreprises avant qu’il y ait une décision du juge ou alors il laisse pourrir avant la décision du tribunal.

  • Action d'XR contre la prolifération de la publicité à Saint-Denis, septembre 2023.
  • Action d'XR contre la prolifération de la publicité à Saint-Denis, septembre 2023.

Vous avez l’impression d’avoir fait bouger les lignes ?

Paysages de France :

A la Réunion, on a constaté que sur le premier gros dossier qu’on a porté au tribunal, le préfet a agi. J’ai vu les panneaux tomber au niveau de St Gilles les bains. Ils ont mis la pression sur les afficheurs. Mais il a fallu en passer par la menace du procès. On a dénoncé en septembre 2021 sur St Paul. En septembre 2022 rien n’avait été fait donc on a porté le dossier au tribunal. Le temps que la justice se mette en place, rien ne s’est passé, puis en mai j’ai vu les panneaux tomber. Une vague de panneaux ont été régularisés en quelques semaines. Ca a fait bouger les lignes.

200 à 300 infractions dénoncées sur toute l’île

On a commencé à monter des dossiers sur toute La Réunion. Ils ont envoyé un agent se former pour mettre les choses dans l’ordre. 20% de son temps seulement est dédié à faire respecter la réglementation sur la publicité. Ce n’est pas suffisant, sachant que pour chaque infraction, il faut que l’agent se déplace sur place, constate l’infraction qu’on a dénoncée . Il doit contacter l’entreprise, établir des procès verbaux. Avant qu’on informe la Préfecture, rien n’était fait par rapport au respect du code de l’environnement.

Depuis mai 2021, on a dénoncé 200 à 300 infractions sur toute l’ile. À St Leu, St Paul, Petite-Île, St Pierre, St Louis.

Extinction Rébellion :

On a l’impression d’avoir permis de faire bouger la perception que les élus ont de la pub. Quand on a commencé en 2020, les élus ne se sentaient pas concernés, ils ne connaissaient rien, ils n’avaient pas conscience qu’il y avait tant de panneaux illégaux. Comme le reste de la population d’ailleurs, ils ne faisaient pas forcément le lien entre la pub et le réchauffement climatique.

Impact sur les élus

Les actions ont eu un impact sur les élus notamment. Cinq villes sont en train de mettre en place leur règlement local de publicité (RLP), l’Entre-Deux, le Tampon, Bras Panon, Petite Île, St Paul.

Est-ce que vous êtes contre toute pub ? Quelles sont vos revendications ?

Extinction Rébellion :

Nous, ce qu’on aimerait, c’est l’interdiction de la publicité scellée au sol dans les zones résidentielles et que ce soit reservé aux zones d’activité économique. Que ce soit le cas dans les hauts comme dans les bas. On vise le RLP de St Paul en train d’être élaboré parce que dans le projet de départ, il y avait une fracture territoriale entre les bas et les hauts. Ils proposaient d’enlever toutes les publicités géantes dans les bas et garder celles des mi-pentes, en reduisant juste un peu la taille.

On souhaite l’interdiction totale de l’éclairage des pubs la nuit, pour les questions de sobriété énergétique et parce que ça ne sert à rien, et ça a un impact important sur la biodiversité (oiseaux, chauve-souris…).

« On demande l’interdiction des panneaux numériques »

On demande aussi l’interdiction de toute publicité sur panneaux numériques qui sont en train de beaucoup se développer à La Réunion malheureusement. Pour qu’un panneau numérique soit implanté, il faut une autorisation des élus. Les communes les utilisent également donc il y a peut-être une méconnaissance.

Quel est votre positionnement l’un envers l’autre ? Paysages de France sur les actions d’XR et inversement ?

Paysages de France :

Nous on ne rend pas visibles les infractions, on s’adresse à la Préfecture. Quand XR fait une croix rouge sur un panneau, les gens comprennent qu’il y a un problème sur ce panneau, c’est bien de rendre visible au quotidien les infractions.

Extinction Rébellion :

On s’appuie beaucoup sur les données de recensement de panneaux illégaux de Paysages de France. On n’aurait pas la possibilité de le faire par nous-mêmes. On est complémentaires.

Entretiens : Jéromine Santo-Gammaire

A propos de l'auteur

Jéromine Santo Gammaire | Journaliste

En quête d’un journalisme plus humain et plus inspirant, Jéromine Santo-Gammaire décide en 2020 de créer un média indépendant, Parallèle Sud. Auparavant, elle a travaillé comme journaliste dans différentes publications en ligne puis pendant près de quatre ans au Quotidien de La Réunion. Elle entend désormais mettre en avant les actions de Réunionnais pour un monde résilient, respectueux de tous les écosystèmes. Elle voit le journalisme comme un outil collectif pour aider à construire la société de demain et à trouver des solutions durables.