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[Chanson] Les mille et une vies de Jacqueline Farreyrol

ARTISTE ET FEMME POLITIQUE

La vie bien remplie – entre enseignante, animatrice de télévision, chanteuse, femme politique – de Jacqueline Farreyrol n’est faite que de surprises, d’opportunités et de talent. A 84 ans, la chanteuse la plus connue de La Réunion s’est livrée sans fausse pudeur.

Jacqueline Farreyrol
Jacqueline Farreyrol. (Photo PhN)

On ne demande pas son âge à une dame. Mais quand il s’agit d’une célébrité, on peut consulter internet pour avoir l’information. C’est ainsi que j’ai appris avec surprise que Jacqueline Farreyrol affiche 84 ans. Elle en paraît vingt ou trente de moins.

En effet, la chanteuse préférée des écoles maternelles n’a rien perdu de sa vivacité ni de son dynamisme. Le regard d’un bleu profond et le sourire avenant, elle pétille toujours comme une bonne bouteille de champagne. C’est sans doute ce dernier trait de caractère qui a lancé sa carrière télévisuelle. Et, de là, une carrière artistique et une autre politique. 

« Quand je suis rentrée à La Réunion en 1971, prof d’anglais mutée à Saint-Benoît, j’ai voulu faire une surprise et aller voir mon amie Michou Folio qui travaillait à l’ORTF * au Barachois. J’ai demandé à voir Mlle Folio, on m’a orientée vers le premier étage. Là, je passe devant une quinzaine de jeunes filles assises sur des chaises.  Le directeur de l’époque, Jean Vincent-Dolor, m’appelle et me dit « comme ça vous voulez devenir speakerine** ?»

Speakerine par hasard

Pour Jacqueline Farreyrol c’est une surprise. Il y avait une autre demoiselle Folio, chargée pour sa part du casting des speakerines. JVD, c’est comme ça qu’on appelait le directeur, insiste et réussit à convaincre la jeune prof d’anglais de tenter l’expérience, « juste une semaine pour dépanner le temps que je choisisse quelqu’un ». Elle a dit oui. 

« J’ai alors présenté une émission pour enfants. Je me demandais pourquoi on parle de neige et de sapins à Noël aux enfants réunionnais,  et c’est là que j’ai commencé à écrire des chansons pour que ça colle », explique-t-elle. 

Jacqueline Farreyrol, née Fontaine à Saint-Louis en 1939, a grandi à Saint-Denis. « Je suis issue d’une famille réunionnaise de longue souche ; j’ai une grand-mère née à Mafate. Après Juliette-Dodu, je suis partie pour faire des études supérieures en métropole. J’y suis restée quatorze ans, devenue enseignante à Montpellier, je m’y suis mariée avec Pierre Farreyrol avant que l’on soit mutés à Saint-Benoît.» 

La politique ? Une surprise

Adieu la carrière de professeure. Son mari et elle sont « happés » par l’audiovisuel, sont embauchés par le père de Hubert Hess à la jeunesse et sports et c’est au cours d’une permanence qu’ils se lancent un défis de poésie et qu’elle écrit Mon Île. « Je me sentais tellement enracinée que c’est sorti du coeur. On a enregistré à Paris, obtenu le prix Charles-Cros que je ne connaissais pas, puis la vie d’aventures a débuté », sourit-elle.

Devenue speakerine puis animatrice d’émissions pour enfants, chanteuse à succès et comédienne, elle répond à l’appel de René-Paul Victoria qui cherche une suppléante connues pour se présenter aux législatives. « Comment je suis arrivée en politique ? Moi aussi j’aimerais bien le savoir »,  rigole la chanteuse. « Ça a été une surprise, je n’étais pas branchée politique du tout, mais j’étais d’accord avec ses idées, ça n’engageait pas à grand chose, j’ai accepté et je n’en ai plus jamais entendu parler. » 

Quelques années plus tard, en 2008, c’est au tour de Didier Robert de profiter de la notoriété de Jacqueline Farreyrol. Il était maire du Tampon à la suite des déboires judiciaires d’André Thien-Ah-Koon et présentait une liste qui plaçait l’interprète de Ça sent la banane… en troisième position. « Je ne connaissais Didier Robert que pour l’avoir rencontré à quelques reprises. J’appréciais ses idées pour La Réunion et pour la jeunesse. Une fois élue (Ndlr: chargée de l’animation culturelle, du tourisme et des grands kiosques), j’ai découvert à quel point un maire est très utile, on a créé des actions pour les femmes en difficulté ; je suis hyper sensible aux enfants en souffrance, l’aide que j’ai pu apporter m’a intéressée mais je n’ai pas de prétention politique et je savais que je ne ferais pas ça toute ma vie », souligne-t-elle. « J’ai apprécié le côté social, pas la politique partisane ; pour moi la gauche ou la droite ce n’est pas important. »

En 2007, elle se présente comme suppléante aux législatives, cette fois derrière Didier Robert dans la troisième circonscription.  Elle deviendra députée en 2010 quand Didier Robert devenu président de Région doit démissionner pour cause de cumul de mandats. Juste avant d’être élue présidente de l’IRT (Île de La Réunion Tourisme) « Une rumeur de liaison entre ma fille et Didier Robert a couru à l’époque. J’ai deux filles, qui ne l’ont jamais rencontré ni l’une ni l’autre, je ne sais même pas de laquelle il s’agit. Je pense qu’il s’agit d’une confusion entre les prénoms de Karine, ma fille, et Corinne, la compagne de Didier Robert. » 

« A l’assemblée nationale, on me prenait pour une manouche. Et ma collaboratrice, qui portait Chanel et sac Longchamps, pour la députée. Je me suis bagarrée pour permettre aux touristes chinois, indiens et sud-africains de pouvoir venir à La Réunion sans visa. Ça a été dur avec le ministre de l’Intérieur mais j’y suis arrivée. » Pour autant, la députée n’a jamais vraiment été prise de passion pour la politique. «Je préfère  aller chanter en Nouvelle Zélande que de fréquenter l’hémicycle », avoue-t-elle. 

Démission au profit de Didier Robert

Et voilà que Michel Fontaine dirige une liste pour les sénatoriales. « J’étais deuxième de la liste devant Didier Robert. Eligible ou pas je m’en moquais complètement, et je me suis retrouvée sénatrice. J’avais un peu d’expérience mais j’ai toujours voté comme mon coeur – et pas  forcément mon groupe politique, l’UMP à l’époque – me le commandait. » C’est ainsi que, pour la loi contre les bisphénol et parabènes dans les biberons, elle a voté contre une disposition qui aurait permis l’usage de ces produits dangereux aux enfants de plus de six mois. « A la tribune j’ai demandé quelle différence pouvait-il y avoir entre un enfant de cinq mois et demi et le même à six mois et demi. » « A Jean-Claude Gaudin, président du groupe UMP au Sénat, j’ai répondu que je m’intéresse plus aux bébés qu’à la politique. »

A nouveau, pour le vote sur le mariage pour tous, Jacqueline Farreyrol se distingue. Elle vote pour, contre l’avis de son groupe. « Si vous préférez qu’ils se suicident…, avais-je déclaré au micro. C’est une affaire de sentiments, ça ne regarde pas l’Etat. Après ça j’ai reçu des reproches, jusqu’à une lettre de menace de mort avec une croix de Loraine dessinée. A nouveau Jean-Claude Gaudin m’a convoquée pour me dire « je te comprends » mais qu’il fallait « voter comme le groupe ». D’autres ont voté contre mais sont venus me féliciter ; Ça m’a permis de voir clair sur le compte des gens. »

En 2014, Jacqueline Farreyrol donne sa démission du Sénat pour « se consacrer à sa famille et à sa carrière artistique ». C’était la première fois que quelqu’un démissionnait du Sénat. Et ça tombait bien, le troisième de la liste, Didier Robert qui venait de perdre la présidence de la Casud, avait justement besoin de cette indemnité de sénateur pour conserver son pouvoir d’achat.

Jacqueline Farreyrol coule depuis une retraite paisible. Elle a écrit et joué Bilimbi et Girimbelle, un conte musical, et se produit occasionnellement sur scène. Mais la relève est assurée. Avec son fils Eric Fruteau notamment, et son petit-fils Germain Fruteau qui fait un tabac avec une chanson de sa grand-mère traduite en espagnol.

Philippe Nanpon

  • L’ORTF (Office de radiodiffusion-télévision française) a précédé RFO, lui-même suivi par Réunion 1ere.
  • Speakerine : pour les plus jeunes, les speakerines étaient chargées à la télévision de présenter les programmes et certaines émissions.

A propos de l'auteur

Philippe Nanpon | Journaliste

Déménageur, béqueur d'clé dans le bâtiment, chauffeur de presse, pompiste, clown publicitaire à roller, après avoir suivi des études d’agriculture, puis journaliste depuis un tiers de siècle, Philippe Nanpon est également épris de culture, d’écologie et de bonne humeur. Il a rejoint l’équipe de Parallèle Sud pour partager à la fois son regard sur La Réunion et son engagement pour une société plus juste et équitable.