LIBRE EXPRESSION : LE JOURNAL DE PAUL HOARAU
Sans entrer dans les considérations qui le justifieraient ou non, le spectacle le plus visible du monde aujourd’hui, le spectacle des guerres, est horrible. En Ukraine et à Gaza, des hommes, des femmes et des enfants innocents perdent la vie sous les bombes. Les victimes se comptent par centaines de milliers. Et nous ne savons pas, parce que les médias n’en parlent pas, ce qui se passe dans les pays en crise en Afrique, en Amérique du Sud et ailleurs. Ces pertes humaines sont la conséquence des actions militaires contre les villes, dans les campagnes, en mer et dans les airs. Des milliards sont dépensés à détruire.
Les images que nous montrent les télévisions de ces massacres, donnent le frisson, nous conduisent à la limite de la honte et du dégoût. Pourtant, l’humanité insouciante, jouisseuse continue de vivre de ses loisirs, de ses bonheurs tant que le mal ne les frappe pas directement, tantôt les uns, tantôt les autres. C’est que la guerre est une vieille connaissance, ausssi vieiille que les hommes. L’Histoire du monde, c’est l’Histoire des guerres. Il y a comme une habitude.
Un coup de folie d’un Docteur Folamour peut faire sauter la planète et mettre fin à l’humanité. Compte tenu de l’ampleur des ravages que peuvent causer des guerres modernes, une notion relativemenet nouvelle, la notion de « crime contre l’Humanité », peut entraîner des poursuites pour les fauteurs de guerre. La guerre n’est plus « l’argument ultime de la diplomatie », mais devient un « crime contre l’Humanité ».
« Plus jamais la guerre » disait Paul VI à l’assemblée générale des Nations Unies.
Mais un agresseur sans scrupule force l’ennemi qu’il agresse à se défendre, le force à la guerre. Il faudrait une force internationale suffisamment puissante pour arrêter les fauteurs de guerre. L’organisation politique du monde étant ce qu’elle est, cette force internationale n’est pas encore née. Aujourd’hui, seules les solidarités des nations peuvent riposter aux agressions. A quel prix ? au prix de quelles guerres, ces solidarités ont fini par gagner en 1918 et en 1945.
La guerre dans le monde nous touche, mais la guerre chez nous, est de notre responsabilité. Ce qui se passe dans le monde ne doit pas nous faire oublier ce qui se passe chez nous, ici, à La Réunion, l’absence de guerre ne veut pas dire la paix. Les causes de la guerre sont comme le magma dans sa caldera. Il suffit que la pression monte, qu’une fissure dans la croûte terrestre apparaîsse, pour que le volcan explose, que la lave se déverse tuant tout sur son passage.
Les causes de la guerre ou les causes du désordre intérieur qui y ressemble, comme en Haïti, existent ici. J’ai bien aimé la figure qui a couru à une époque pour décrire notre situation : « nous dansons sur un volcan. » Je ne veux pas être catastrophiste, tout ce que je fais démontre le contraire. Je dis que nous avons tout pour être un hâvre de prospérité véritable, de prospérité juste, donc de paix. Mais il vrai que dans la situation actuelle, les causes de désordre pour demain sont réelles.
La première cause de désordre qui nous menace, c’est le déni de notre existence collective comme peuple. Cette cause est vieille comme le parti de la Révolution qui a fini par dominer et qui a voulu supprimer les familles, les organisations professionnelles, les associations, les peuples, les corps intermédiaires, pour ne reconnaître que le citoyen seul vis-à-vis de la nation. Cette uniformité de la nation est tellement contre-nature que, un à un, les corps intermédiaires sont revenus : les organisations patronales en 1864 ; les syndicats ouvriers en 1884 ; les associations en 1901. Toute l’évolution de la législation sociale a ramené au premier plan les familles. Aujourd’hui, c’est au tour des peuples de revenir.
L’uniformité est cause de guerre et de désordre parce qu’elle dépossède les peuples locaux de leurs responsabilités d’acteurs de leur développement. Leurs intellectuels sont marginalisés. Ils exécutent des commandes de recherche qui sont sans suite, ils participent à des colloques qui sont sans lendemain, ils accomplissent des missions qui n’ont aucune espèce d’influence sur l’évolution locale, parce que les intellectuels parisiens qui gèrent l’uniformité nationale ont fait le travail.
Quand les agriculteurs de France réagissent comme en ce moment, on sent bien le déchirement des dirigeants politiques nationaux entre, d’une parts, les gages qu’ils ont donnés aux puissants de l’uniformité mondialiste qui veulent devenir les maîtres du monde,, et, d’autre part, les producteurs français qui veulent nourrir leurs peuples avec leur savoir-faire, au juste prix. Le choix n’est pas fait. J’ai assisté, médusé, au réquisitoire d’un journaliste de l’émission « C’est dans l’air » qui expliquait que les agriculteurs français étaient à côté de la plaque parce que l’organisation économique mondiale était, de façon irrésistible, au libre-échange de la poignée de financiers qui veulent monopoliser les ventes de ce qui est le moins cher au monde pour plus de bénéfice à leur profit.
Les peuples reviennent. La détermination de certains d’entre aux est venue à bout de la répression, puis de la guerre que leur ont menées la France puis les Etats-Unis. L’uniformité apparaît à travers le slogan « La Réunion c’est la France ». François Mitterrand a dit la même chose de l’Algérie, nous avons vu ce que qu’il en est edvenu. La nostalgie de l’Empire se retrouve dans « les confettis de l’Empire » d’un ancien président de la République. Quant au rôle de ces confettis, il demeure ce qu’il a été aux temps bénis des colonies, « la chance de la France », nous a dit la dernière première ministre. Les esprits ne voient plus, dans cettec citation, la distinction, la différence entre les Outre-mer et la France qui est en contradiction avec « la Réunion c’est la France ». Sinon la première ministre aurait dit : « les Outre-mer, c’est notre chance. »
Il faut en finir avec « la France et les Outre-mer » qui est la suite de « la France et l’empire », de « la France et les colonies ». Il faut instaurer la République des peuples français d’Amérique, d’Europe, de l’Indianocéanie et du Pacifique, des peuples unis autour des trois couleurs bleu, blanc, rouge, autour de la devise « Liberté, Egalité, Fraternité », autour de La Marseillaise ; des peuples unis par les solidarités économiques et sociales nationales ; mais aussi des peuples identifiés, reconnus et acteurs responsables de leurs développements particuliers. C’est au nom de notre Liberté, de notre Egalité, de notre Fraternité françaises que nous posons ce postulat. Ce n’est plus aux Français des bords de Seine de donner le la. Nous sommes aussi Français qu’eux, nous sommes même des Francais plus anciens que les Français de Nice, de la Savoie et de la Corse. Que notre identité et nos responsabilités de peuple soient un jour reconnues dans la République, ce jour-là le colonialisme français aura vécu.
Mais la balle est dans notre camp. Si nous voulons que l’on croit à notre peuple, il faut qu’il apparaisse, qu’il apparaisse uni et responsable C’est le but de La Conférence des Mille pour dire kisa noulé, sénou kifé ; c’est le but des Etats Généraux pour dire kosa nouvé, le cap, le cadre, l’éthique ; c’est le but du référendum local pour valider les conclusions de la Conférence des Mille et les propositions des Etats Généraux, pour donner mission à une délégation réunionnaise pour négocier avec le Gouvernement.
Le peuple, ce sont les hommes de foi, religieux ou non ; ce sont les intellectuels, universitaires, chercheurs, experts ; ce sont les artistes ; le peuple, ce sont les politiques, les professionnels, les associatifs ; le peuple, ce sont les agriculteurs, les artisans, les commerçants, les employés, les fonctionnaires, les industriels, les chômeurs. C’est tout cela qui doit être visible aux réunions locales, aux réunions préparatoires à la Conférence des mille, aux Etats généraux, au Réferendum local. C’est tout ce peuple qui doit apparaître à la prochaine réunion locale de Saint-André au mois de mai. C’est la seule façon de montrer aux septiques que le peuple est réel, qu’il existe et qu’il a des pouvoirs. N’attendez pas d’invitation personnelle, les moyens manquent pour cela. Venez ! Vous êtes le peuple, votre chaise vous attend. Si vous ne venez pas votre chaise sera vide. Venez dire qui vous êtes, franchement, personne ne vous le reprochera ; lorsque vous aurez dit qui vous êtes, écoutez les autres, tous les autres ; et nous ouvrirons le dialogue entre nous pour trouver notre unité réunionnaise sur les Fondamentaux et sur le cap, le cadre et l’éthique. Cette unité, nous devrons la trouver nous-mêmes, personne d’autre ne nous la dictera. C’est cette unité qui nous fera peuple.
Dans le vécu au quotidien du système, il nous faut bien sûr manifester devant la préfecture, devant la Région, devant le Conseil départemental, etc. pour obtenir des satisfactions immédiates. Mais pour les fondamentaux de notre avenir, il nous faut écouter notre Peuple. Le premier pas est qu’il se voit, qu’il voit ses hommes de foi, ses intellectuels, ses artistes, qu’il voit ses politiques, ses professionnels, ses associatifs ; qu’il voit ses agriculteurs, ses artisans, ses commerçants, etc. Si cela ne se voit pas, les Réunionnais ne seront jamais un peuple identifié, reconnu et acteur de son développement, ils resteront une population anonyme, irresponsable et prise en charge, assistée. Les jeunes générations, quelles que soient leur positionnement dans la société réunionnaise, n’éccepteront plus cela.
La Réunion a des cerveaux formés, une nature généreuse, de l’argent et des bras. Elle a tout pour être un pays développé, prospère, pacifique, heureux. Il manque aujourd’hui, la volonté collective des Réunionnais – la volonté d’un peuple – d’être acteurs de cette Réunion nouvelle. Montrons-la.
Paul Hoarau
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