Derrière chaque barème de mutation, il y a une vie. Un couple séparé, une famille brisée, une jeunesse sacrifiée. Une professeure réunionnaise vient d’arracher une victoire en justice : et si c’était le début d’un tournant ?
Le 26 juillet dernier, le tribunal administratif de Paris a donné raison à une professeure réunionnaise, suspendant sa mutation imposée en région parisienne. Elle disposait pourtant de deux priorités légales, reconnues par les textes : le rapprochement familial et les Centres d’Intérêts Matériels et Moraux (CIMM). L’administration a préféré attribuer le poste à un autre candidat… avec plus de points, mais sans ces priorités.
C’est le système de mutation de l’Éducation nationale dans toute sa brutalité : un algorithme, des barèmes, et des vies mises en pièces. Chaque année, des dizaines de jeunes Réunionnais, brillants, motivés, profondément ancrés dans leur territoire, sont envoyés loin de chez eux, comme s’ils étaient interchangeables.
Dans ce cas précis, il a fallu saisir la justice pour faire valoir des droits pourtant inscrits dans la loi. Est-ce devenu la seule voie pour être entendu ? Faut-il que chaque jeune enseignant engage une procédure en référé pour pouvoir simplement vivre et travailler dignement dans son propre pays ?
En réalité, cette affaire met en lumière ce que nous dénonçons depuis longtemps. Dès 2022, j’ai proposé une mesure simple, concrète et immédiatement applicable, bénéfique pour l’ensemble des contractuels, qu’ils soient en poste dans l’Hexagone ou dans les Outre-mer : modifier la note de service du ministère pour permettre aux lauréats des concours ayant exercé comme contractuels pendant au moins 18 mois dans une académie d’y effectuer leur stage, puis d’y être titularisés.
Cette mesure reconnaîtrait enfin l’engagement de celles et ceux qui sont déjà investis dans le service public, souvent depuis plusieurs années, et éviterait des ruptures humaines et professionnelles injustifiées.
À moyen terme, une solution de fond existe : le concours national à affectation locale, déjà en place en Guyane et à Mayotte. Pourquoi pas à La Réunion ? Il permettrait de recruter sur des besoins réels, au bénéfice du territoire, tout en offrant aux jeunes ultramarins une vraie perspective de stabilité.
Certains élus ont porté des textes, pris des engagements. Mais sur le terrain, les mutations injustes continuent. Les collectifs comme celui des « Professeurs déchirés » témoignent chaque année de l’ampleur de la souffrance et du sentiment d’abandon. Derrière chaque barème, il y a une famille éclatée, un projet de vie compromis, une injustice ressentie profondément.
Le jugement du tribunal administratif ne crée pas une jurisprudence définitive. Mais il dit une chose claire : les critères humains et légaux doivent primer sur le seul calcul mécanique des points. C’est une brèche. Il faut maintenant l’élargir.
Notre territoire mérite qu’on respecte celles et ceux qui veulent y vivre, y enseigner, y servir. Ce combat n’est pas corporatiste. C’est un combat de justice, de dignité et de cohérence territoriale.
Rémy Bourgogne
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