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Procès aux prud'hommes LM distribution contre Olivier Lebon, ici avec Me Vanessa Rodriguez et sa femme Vanessa Lebon

[Justice] Comment LM exploite l’agriculteur…

CONSEIL DES PRUD’HOMMES DE SAINT-PIERRE

Reconnu comme salarié par la cour de cassation, Olivier Lebon a réclamé ce mardi 8 octobre devant le conseil des prud’hommes de Saint-Pierre plus de 500 000 € au groupe LM Distribution. Une somme à la hauteur du préjudice que la famille de ce petit planteur a subi dans sa relation toxique avec le géant réunionnais des fruits et légumes.

« Que faut-il pour que LM arrête d’exploiter de pauvres planteurs ? Faut-il d’autres cadavres?. Le suicide de Yannick Trovalet (*) n’a pas suffi ? » Les mots sont durs, ils viennent après les larmes d’Olivier Lebon dans la salle d’audience du conseil des prud’hommes de Saint-Pierre. Ils concluent la plaidoirie de Me Vanessa Rodriguez dans l’affaire qui oppose son client au premier négociant de fruits et légumes de La Réunion (plus de 50 millions de chiffre d’affaires et 250 salariés).

Cela fait quatre ans que ça dure. En 2018, le maraîcher tamponnais s’est laissé séduire par la promesse de LM de développer à ses côtés une société civile d’exploitation agricole sur une quinzaine d’hectares au lieu des 2 ha qu’il exploitait en son nom propre. En fait cette SCEA du Bras-de-la-Plaine s’est transformée en enfer pour le jeune père de famille. Il en était soi-disant le gérant et détenait 51% des parts mais, dans les faits, il était sous les ordres du groupe LM qui tenait la comptabilité et décidait de tout.

Quand la SCEA a été liquidée le 9 juin 2020, après des mois de rapports toxiques entre la direction de LM et l’agriculteur, LM Distribution se retourne contre Olivier Lebon en l’assommant de présumées créances. Il devra vendre ses biens pour faire face. Notamment la petite case à 30 000 € de sa grand-mère à laquelle il était sentimentalement attaché.

15 procès en 4 ans

Il est démuni face à une procédure qui le dépasse ; et ce sont son épouse Vanessa et son avocate qui se battent pour que justice soit rendue dans cette nouvelle version du « pot de terre contre le pot de fer ».

Elle affrontent une société qui ne lésine pas sur les moyens pour les épuiser. « Il y aura 15 procès en quatre ans. Ils déclenchent des procédures bâillons inutiles pour asphyxier les Lebon et leur avocate », s’exclame Me Rodriguez devant les conseillers prudhommaux qu’elle salue pour avoir « restitué son honneur et son véritable statut à Olivier Lebon ».

En effet les Prud’hommes en 2021, puis la Cour d’appel en 2022, puis la cour de cassation en 2024 ont reconnu qu’Olivier Lebon n’était qu’un gérant de paille et devait être considéré comme le salarié de LM distribution. De nombreux emails et textos ont démontré le lien de subordination évident entre les donneurs d’ordre de LM et le petit planteur. Reconnus compétents, les conseillers prudhommaux ont enfin pu entendre l’affaire sur le fond ce mardi.

Une enquête européenne

La longueur de la procédure a au moins permis de faire la lumière sur le système agricole. « On a compris qui tire les ficelles dans le monde agricole, qui fixe les prix des fruits et légumes. C’est le groupe LM, qui n’est pas guidé par le bien-être des planteurs ou la santé des consommateurs mais par son intérêt exclusif, par ses seuls profits », assène Me Rodriguez.

Procès aux prud'hommes LM distribution contre Olivier Lebon, ici avec Me Vanessa Rodriguez et sa femme Vanessa Lebon
Me Vanessa Rodriguez soutient Vanessa et Olivier Lebon depuis plus de quatre ans.

Le planteur était pressé d’arracher des bringelles pour planter des ananas au seul motif que cette culture captait davantage de subventions européennes. D’ailleurs l’épluchage des différentes pièces comptables — que LM s’emploie à garder confidentielles autant que possible — soulève des doutes quant à la régularité des procédures. Suffisamment de doutes pour que le parquet de Saint-Pierre, relayé par le parquet européen, a ouvert une enquête sur les arrangements du leader des fruits et légumes. Cette enquête porte sur des soupçons de fraude fiscale, fraude aux subventions européennes, abus de biens sociaux et travail dissimulé. Les gendarmes ont déjà perquisitionné les bureaux de LM et de la Sica TR, la coopérative qui lui est associée.

À noter que, au milieu de toutes les actions en justice, la Sica TR a été condamnée pour avoir exclu abusivement Olivier Lebon de ses adhérents. Cette victoire juridique ne lui permet cependant pas de réintégrer la grosse coopérative, ce qui limite aujourd’hui fortement les débouchés pour sa production. Signe que les méthodes d’intimidation vis-à-vis des agriculteurs contestataires ont toujours cours.

500 000 € de préjudice face à l’agri-business

Olivier Lebon n’avait pas non plus la main sur le rythme de ses cultures. Lorsque ses gingembres étaient mûrs pour la récolte, LM spéculait et lui demandait d’attendre que les prix montent. Peu importe si les racines risquaient de pourrir. « On est sur de l’agri-business et non pas sur de l’agriculture », explique l’avocate.

Pendant son « association » avec LM, la qualité d’agriculteur d’Olivier Lebon a permis d’obtenir des baux d’exploitation et de débloquer des subventions européennes. Mais à aucun moment il ne s’est enrichi. Il y avait zéro actifs dans la SCEA au moment de sa liquidation. Tout était au nom de LM qui en est le principal créancier.

Au début de la procédure civile devant le tribunal judiciaire, LM et ses filiales demandaient plus de 400 000 € de créances. Celles-ci ont été ramenées à 200 000 € tant les pièces comptables sont manquantes. Mais cette épée de Damoclès de 200 000 € sur la famille Lebon s’apparente à une condamnation sur plusieurs générations, argumente Me Rodriguez pour évaluer le préjudice moral dû à son client à 200 000 €.

En ajoutant les salaires jusqu’à 2024, les heures supplémentaires, les congés, l’indemnité de licenciement et le préjudice financier, les demandes de l’agriculteur ruiné dépassent les 500 000 €. Selon son avocate, l’intention à retenir de la part de l’employeur indélicat accusé de « travail dissimulé » tient dans « le système LM qui ne retient d’une exploitation agricole que le mot exploitation ».

Décision le 21 janvier 2025

Me Victor Marjerin, pour le compte du groupe LM, s’est employé à sortir du « procès du capitalisme » pour s’en tenir à une lecture stricte du droit. Alors que sa consoeur qualifiait de « fictive » la SCEA du Bras-de-la-Plaine, il la désigne comme l’employeur d’Olivier Lebon qui serait donc à la fois le gérant et l’ouvrier agricole. Il en appelle à la jurisprudence pour reconnaître l’existence de la SCEA dès la signature du contrat d’associés.

« Olivier Lebon travaillait sur le terrain de la SCEA et pour le compte de la SCEA, insiste-t-il. Il n’est pas le salarié de LM. » Et ce serait à la SCEA liquidée de verser les salaires et indemnités dus à Olivier Lebon. Le montant retenu par l’avocat de LM est alors inférieur à 10 000 € auxquels il demande de soustraire 3 000 € pour procédure abusive.

Selon lui rien ne caractérise l’intention du groupe LM d’avoir recours à du travail dissimulé et les prud’hommes ne peuvent admettre un préjudice moral de 200 000 € qui relèverait alors d’une « class action » de la famille sans preuves. Il questionne les conseillers prudhommaux « 200 000 € pour une prescription d’anxiolytiques »?

« Olivier Lebon avait perdu sa vocation d’agriculteur. Il avait perdu son envie de vivre. Ma plus grande victoire, c’est qu’il soit vivant devant vous », s’exclame Me Rodriguez face aux conseillers qui rendront leur décision le 21 janvier prochain. Un verdict qui peut changer beaucoup de chose dans la relation entre les agriculteurs et les grosses structures qui régissent leur métier.

Franck Cellier

(*) Yannick Trovalet était bazardier associé à LM Distribution. 

A propos de l'auteur

Franck Cellier | Journaliste

Journaliste d’investigation, Franck Cellier a passé trente ans de sa carrière au Quotidien de la Réunion après un court passage au journal Témoignages à ses débuts. Ses reportages l’ont amené dans l’ensemble des îles de l’océan Indien ainsi que dans tous les recoins de La Réunion. Il porte un regard critique et pointu sur la politique et la société réunionnaise. Très attaché à la liberté d’expression et à l’indépendance, il entend défendre avec force ces valeurs au sein d’un média engagé et solidaire, Parallèle Sud.

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