[Justice] Mais où est le point d’accès au droit à La Réunion ?

UN COMBAT D’ANNE-CLAIRE ROUXEL-MAILLET ET DU COLLECTIF POUR LA RÉPARATION DES INJUSTICES

L’ancienne secrétaire précaire affectée au Conseil départemental de l’accès au droit raconte comment cette structure, censée servir gratuitement tous les justiciables réunionnais, serait restée à l’état de coquille vide.

Anne-Claire Rouxel-Maillet et son compagnon sont menacés d’expulsion de leur maison de Sainte-Marie. Pour résumer, ils estiment que leur logement est indigne, leur propriétaire leur reproche de ne pas payer leur loyer. Qui a raison, qui a tort ? Des cas comme le leur, il y en a beaucoup. Alors que dans les autres départements de l’Hexagone, les citoyens peuvent s’adresser à un point d’accès au droit mis en oeuvre par un CDAD (Conseil départemental de l’accès au droit), à La Réunion cette structure gratuite semble inaccessible.

Le 6 mai dernier, une vingtaine de sympathisants du Collectif pour la réparation des injustices (CRI du 974) ont accompagné Anne-Claire dans le hall du Palais de justice de Saint-Denis qui est censé abriter le CDAD de La Réunion. Un par un, ils se sont rendus à l’accueil, ont demandé à être reçu au CDAD. Les agents présents leur ont répondu qu’ils ne savaient pas de quoi il s’agissait et leur ont tamponné un bout de papier attestant de leur démarche infructueuse.

Ils ont ainsi manifesté toute la journée devant le tribunal. La présidente et la vice-présidente du CDAD, en l’occurrence Emmanuelle Wacongne, présidente du tribunal judiciaire, et Véronique Denizot, procureure de la République, sont descendues à leur rencontre. Mais l’échange fut stérile. « J’ai été traitée de folle et conseillée d’aller à l’hôpital psychiatrique », relate Anne-Claire Rouxel-Maillet. Six policiers et un agents du renseignement ont encadré le rassemblement qui s’est dispersé vers 16h30.

Est-ce que cette action a eu une quelconque influence dans le fait que l’expulsion n’a pas (encore) été exécutée ? Peut-être.

Formée pour devenir secrétaire du CDAD

Surtout, au-delà de son problème de logement personnel, Anne-Claire Rouxel-Maillet apporte un témoignage de l’intérieur des problèmes d’accès au droit à La Réunion. Elle a en effet été la secrétaire de ce fameux CDAD fantôme. Elle avait comme adresse email un identifiant se terminant par @justice.fr. Elle connaît la maison pour y avoir travaillé en 2019, 2020 et début 2021.

Anne-Claire Rouxel-Maillet et son compagnon estiment qu’un vrai CDAD aurait pu faire intervenir la Fondation Abbé Pierre pour expertiser l’état de leur maison. (Photo : Georges Ah-Tiane)

Elle était alors en emploi précaire, payée 489 € pour 60 heures de travail par mois. Sous la responsabilité de l’ancien président, Bruno Karl. Au début de son contrat, elle était censée se former pour occuper le premier poste de secrétaire général du CDAD. « M. Karl était intéressé par mon profil atypique, diplômée en histoire, géographie et droit public. Il voulait avoir un bac +5 pour ce poste. J’ai interprété cela comme un probable recrutement », rapporte-t-elle.

La Cour d’appel a financé pour elle une formation à Paris en novembre 2019 intitulée « nouveaux arrivants CDAD » au sein du Service de l’accès au droit et à la justice et à l’aide aux victimes (Sadjav). Ce qui lui permet d’affirmer être « la seule personne formée sur le département sur le fonctionnement du groupement d’intérêt public qu’est le CDAD ».

A son retour de Paris elle s’est sentie investie de la mission de constituer un CDAD réunionnais selon les standards de gestion administrative et financière du « guide repère » présenté à la formation. Dans les faits, elle préparait les assemblées générales et conseils d’administration du CDAD et assurait les tâches administratives de cette structure. 

Comparaison avec les autres CDAD de France

Ça ne s’est pas très bien passé puisqu’en 2020, après la période de confinement, le président du tribunal lui a reproché des « insuffisances professionnelles » qu’elle conteste. En tout cas elle a été « mise au placard » jusqu’à échéance de son contrat qui n’a pas été renouvelé. Entre temps, elle avait postulé, en vain, au poste de secrétaire générale du CDAD.

Le Cri du 974 dénonce l’inaction du Conseil départemental d’accès au droit de La Réunion. (Photo : Georges Ah-Tiane)

Jugée « insuffisante », elle rétorque en pointant les « insuffisances » de la structure réunionnaise. Il est en tout cas flagrant que, comparé à d’autres CDAD de l’Hexagone (notamment le CDAD de Hautre-Garonne), celui de La Réunion fait grise mine. En plus de ne pas être clairement identifié par les agents de l’accueil du tribunal, il semble ne pas disposer (*) d’un site internet, d’une adresse email ou d’un numéro de téléphone. Nous avons essayé en vain cette semaine de téléphoner au numéro du tribunal 0262 40 23 45. Pas de réponse, signe du manque d’effectif dans les services publics en général.

Anne-Claire Rouxel-Maillet reproche au CDAD de La Réunion de faillir complètement à sa mission de désengorger des tribunaux en privilégiant la conciliation plutôt que la judiciarisation. Il ne travaille qu’avec l’Arajufa alors qu’il devrait établir des conventions avec d’autres associations comme la fondation Abbé Pierre, ATD Quart Monde ou la Cimade. Il devrait mobiliser les collectivités locales pour établir un « diagnostic territorial ».

En attendant la « secrétaire générale »…

Selon elle, un CDAD « normal » aurait pu éclaircir la procédure d’expulsion qui la concerne, notamment si la Fondation Abbé Pierre avait répondu à ses demandes d’expertise.

Plus largement, Xavier Fontaine du Cri du 974 cite tous les problèmes de tutelle, de foncier, de voisinage, d’agression qui concerne « M. Tout-le-monde » et qui pourrait trouver une solution amiable avec un CDAD qui fonctionne. « Il n’y a pas de volonté de restaurer les Réunionnais dans leurs droits comme ça existe dans tous les départements de France. A qui ça profite ? », demande-t-il.

Du point de vue des responsables institutionnels du CDAD, celui-ci fonctionnerait. « Le CDAD de La Réunion fonctionne avec les organes d’administration, de gestion et de contrôle prévus par les textes, répond la procureure. Les conseils d’administration et assemblées générales ont lieu comme prévu et permettent de rendre compte de son activité laquelle est portée à la connaissance des chefs de cour et de l’administration centrale ». S’agirait-il d’un service public qui n’aurait de comptes à rendre qu’aux services et non pas au public ?

Véronique Denizot précise également qu’il a été rappelé aux manifestants du 6 juin « l’interdiction d’utiliser l’appellation CDAD ». A nos demandes de précision sur cette « interdiction » et l’activité réelle du CDAD, elle nous a répondu avoir saisi la secrétaire générale pour qu’elle nous donne des infos. C’était mercredi à midi. Nous ferons part de ces infos lorsqu’elles nous parviendront. (Lire l’article du 7 juin)

Franck Cellier

(*) Article modifié le samedi 25 mai 2024 suite aux précisions ci-dessous de Xavier Fontaine.

Sur la piste du site internet de CDAD de La Réunion

Vu l’article sur le CDAD. Merci pour cet article qui décrit bien la situation d’une justice indifférente, empreinte de mépris.

Venant de justiciables mécontents comme nous, il sera probablement perçu comme un « coup de massue » sur la magistrature, ou encore une polémique de plus lancée pour salir les institutions?

Dire qu’il n’y a pas de numéro de téléphone dédié, d’adresse e-mail et de site internet n’est pas juste. Mais si on veut modérer nos propos, je vous invite à faire la recherche vous-même et constater que le site n’est pas facilement accessible.

En réalité, il y a bien un site internet, une adresse e-mail et un numéro de téléphone. Pour la présence d’une secrétaire générale et d’un personnel dédié, rien n’est moins sûr! C’est normal qu’Anne-Claire ne l’ait pas trouvé parce que le site n’est référencé presque nulle part, une recherche Google avec les mots clés CDAD et Réunion ne permet pas de le trouver. Pas de coordonnées non plus dans l’annuaire du service public ou sur le portail justice.fr

Aujourd’hui, pour le trouver, il suffit d’utiliser les mots clés CDAD et 974, ou cdad-reunion, mais ça ne coule pas de source. Pour suivre notre cheminement, l’accès au CDAD, même de façon virtuelle n’est pas chose aisée. Peut-être faut il briser cette barrière du numérique (que personne ne peut nier) pour y parvenir, maitriser les codes d’internet, ou pourquoi pas être un professionnel de l’informatique?

 * Dans l’annuaire du service public : https://lannuaire.service-public.fr/la-reunion/la-reunion/0c9d04e4-d2ed-43e0-b030-d4fc5687f1dc

Les seules coordonnées affichées sont le numéro de fixe du Bureau d’aide aux victimes du tribunal judiciaire de St Denis (https://lannuaire.service-public.fr/la-reunion/la-reunion/f6734326-2f7d-4968-b819-3178f7d70417) et une adresse avenue Desbassyns sans préciser le nom de la rue. Pas de téléphone dédié, pas d’adresse e-mail, pas de site internet. On vous proposera de faire une saisine par voie numérique en vous renvoyant sur la page d’accueil du portail justice sans la moindre explication (c’est pareil sur les autres CDAD pour ce dernier point).

 * Dans l’annuaire de justice.fr : http://www.annuaires.justice.gouv.fr/cdad-12163/cdad-de-la-reunion-23042.html

Ce n’est pas mieux… Aucune information. Sélectionner le lien CDAD en bas de page vous fera boucler sur cette même page après avoir trouvé et sélectionner le CDAD de la Réunion dans la liste.

 * Sur le lien vers la Cour d’Appel de la Réunion (C’est la 4ème proposition affichée dans la recherche Google)… ou alors, pour les connaisseurs, aller sur le site internet de la Cour d’Appel pour trouver le lien qui vous redirigera vers le site internet du CDAD de la Réunion. Malgré tout, ce n’est pas simple, il faut se positionner sur https://www.cours-appel.justice.fr/saint-denis aller dans le menu principal « Vos droits et démarches » et sélectionner le sous-menu « Accès au Droit à La Réunion ». Notez qu’on ne voit pas l’adresse du site.

On est loin de la simplicité d’accès du CDAD de Mayotte qui non seulement affiche les informations dès la recherche Google mais qui démontre un vrai travail d’information sur le site internet de leur CDAD.

A la Réunion, la tendance c’est le ping-pong, nous sommes baladés d’un service à l’autre, attitude qui mène souvent au découragement et à l’abandon de poursuite, à défaut d’avoir pu entamer une approche amiable. Pour cela, il faudra vous rendre dans un point justice directement, sans avoir été aiguillé par le CDAD.

Le 6 mai 2024, lors de notre rassemblement devant le tribunal, on aurait aimé avoir un dialogue avec la Présidente du CDAD. Qu’elle nous donne le nom du Secrétaire Général (ou de la Secrétaire Générale puisqu’il y a une volonté de féminiser la profession), le numéro de téléphone, l’adresse e-mail et le site internet… Puisqu’il était connu de leur service?

Avant de vous demander où sont les ambassadeurs de l’amiable à La Réunion (voir pièce jointe), je vais me permettre paraphraser 

 • Carine DENOIT-BENTEUX, Ambassadrice de l’amiable : « La mission des professionnels de droits que nous sommes est de répondre aux besoins des justiciables. Ils ont besoin d’une justice plus efficace, plus sereine et plus proche d’eux. Il ne s’agit pas de régler un contentieux à un instant t de manière partielle mais de les accompagner vers la construction d’une solution globale, pérenne et sereine. Les instruments de l’amiable sont codifiés et sécurisés. Ils répondent à ses besoins. Les professionnels du droits doivent s’en emparer, passer de la culture de l’affrontement à celle du dialogue. Cette culture du dialogue va bien au-delà du monde du droit, il s’agit d’un enjeu de société. Les acteurs du droit sont acteurs de ce changement. »

Nous sommes assez loin, à La Réunion, de la posture et de l’attitude d’un Chef de Cour voulues par le Ministère de la Justice.

La justice ne devrait pas être la chasse gardée des magistrats, auxiliaires de justice et personnels du tribunal, mais l’affaire de tous, dans une société bienveillante qui privilégierait le rapprochement humain au détriment de cette société pleine d’individualisme et d’incivilité, pour ne pas dire de violence.

Alors même si le site internet existe, il faut avouer qu’il est assez succinct, et ce n’est pas ce qu’on peut trouver, ou pas, dessus qui fait débat… Il n’y a pas le mot du président, comme on peut le voir ailleurs, pas d’organigramme non plus. Il n’y a pas d’actualité, il n’y a pas de rapport annuel d’activité. Vous ne trouverez pas non plus les associations partenaires, ni la charte nationale de l’accès au droit signée le 21 février 2017 par Jean-Jacques URVOAS, Garde des Sceaux de l’époque.

Ce site internet a, semble-t-il, été mis en production à la va-vite par l’agence Double A (https://doublea.io). On aurait aimé qu’il fut hébergé sur le serveur du ministère pour faire cdad-reunion.justice.fr pour être raccord avec l’adresse e-mail. A la base, il devait y avoir des informations très sommaires. Et on a du coller la première vidéo YouTube trouvée avec le mot clé CDAD au lieu d’afficher l’édito du President. La méthode démontre d’elle-même le manque d’implication des représentants du CDAD a le faire exister.

Les métadonnées nous permettent de voir que le site est tout récent. Sur chaque page composant le site, en tapant Ctrl + U, on peut voir quand chacune a été publiée, et modifiée pour la dernière fois.

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La WayBack Machine accessible par le site internet archive.org permet de voir les temps forts de l’adresse cdad-reunion.fr

Première trace le 29 février 2024, probablement la date de déploiement du site offline sur l’Internet et le 20 avril 2024, pour les dernières modifications.

On peut tromper mille personnes une fois, mais on ne peut pas tromper l’Internet. Ceci termine notre démonstration.

Remarque : A part dans le code source, ni l’URL, ni l’adresse e-mail, ni le numéro de téléphone ne vous ont été dévoilés dans le message.

Merci à vous de vous préter au jeu.

Merci d’avoir lu nos compléments d’information.

A bientôt,

Xavier Fontaine pour le CRI du 974

A propos de l'auteur

Franck Cellier | Journaliste

Journaliste d’investigation, Franck Cellier a passé trente ans de sa carrière au Quotidien de la Réunion après un court passage au journal Témoignages à ses débuts. Ses reportages l’ont amené dans l’ensemble des îles de l’océan Indien ainsi que dans tous les recoins de La Réunion. Il porte un regard critique et pointu sur la politique et la société réunionnaise. Très attaché à la liberté d’expression et à l’indépendance, il entend défendre avec force ces valeurs au sein d’un média engagé et solidaire, Parallèle Sud.

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