CULTURE
Le feu éclaire les visages souriant, les vibrations du roulèr du groupe de Ti’Fock clôturent deux jours intenses. Un festival d’un nouveau genre s’est tenu samedi 4 et dimanche 5 juin : à taille humaine et avec « les moyens du bord », de la cuisine traditionnelle, de la bonne musique. A la croisée des générations, le Kabar Zarboutan, pour sa première édition s’est déroulé sur le terrain de Franswa Tibère, l’organisateur principal, chemin Feoga n2 dans les hauts de Saint-Paul.
La mer s’étend aux pieds des amoureux de la nature et de la simplicité. En un mois, le terrain du tisaneur Franswa Tibère, où s’était déjà déroulé Zerbaz en fèt, a pris un nouveau visage. Un gros travail solidaire de défrichage, constructions, décoration a été réalisé. Une cinquantaine de bénévoles ont mis la main pour monter la scène, tresser le coco, installer une rampe pour les toilettes, cuisiner, construire des abris pour les différents ateliers et conférences prévus.
La transmission du savoir, de la culture, larmontraz, est une sorte de fil rouge, de ligne de vie qui guide les organisateurs. On passe d’un batay kok, à un atelier de tressage de vétiver. On observe en détail un alambic ou une presse à huile… « A travers ces tentes ont été présentés un tas de savoirs », souligne Franswa Tibère. « On a connu ça pendant des siècles à travers nos origines, soit l’Asie, l’Afrique, l’Europe. La modernité nous amène vers une certaine perdition. Que ce soit notre lien avec la nature, la consommation à tout va. »
« Nos zarboutans sont des bibliothèques vivantes »
Firmin Viry, Kafmaron, Eno Zangoun, Gramoune Sello, Mokap, Kreolokoz, Ti’Fock, Jad’… se sont succédés sur la scène pendant ces deux jours. Du maloya mais pas seulement. « On a commencé avec l’orchestre carrousel pour nous ramener un peu dans le passé avec les cuivres. »
Le tisaneur, Franswa Tibère, veut mettre en lumière les connaissances des anciens, leur redonner toute leur place. « Ils ont un rôle important à jouer dans la transmission du savoir faire, des us et coutumes. Qui prend soin de nos zarboutans si ce n’est pas nous enfants ou proches? Nos zarboutans passent leur vie et finissent comme si de rien n’était alors qu’ils ont beaucoup de choses à nous apprendre. On a besoin d’eux, nous devons faire avec eux, prendre ce qu’ils ont à nous transmettre. L’immatériel, le matériel et tout ce dont on a besoin pour notre équilibre. Beaucoup de nos zarboutans sont dans l’ombre, alors que ce sont des bibliothèques vivantes qui sont encore là. »
Les organisateurs annoncent dores et déjà la mise en place d’une seconde édition du Kabar zarboutan l’année prochaine. « Car la demande est là », remarque Franswa Tibère. « L’Université zarboutan s’est créée en même temps que le kabar. Ce sera un relai pour amener les gens à concrétiser des projets à travers des ateliers, bambous, vétiver, la transformation de produits, les tisanes, la transformation du curcuma, du gingembre, l’utilisation des plantes médicinales… »
« Cette résistance se vit dans la joie »
« La formule ‘par nous-même avec nous-même’ c’est toutes ces personnes qui se sentent responsables pour l’ile. On a besoin d’être soudés, solidaires, de sortir d’un système de tourner en rond, d’assistance qui nous pousse à être très peu acteur, juste consommateur. On a grandi depuis l’esclavage, l’heure est arrivée pour se prendre en main. Si ce n’est pas nous qui faisons, personne ne le fera. La société a besoin de reconnaissance, de renaissance avec les bouleversements mondiaux d’aujourd’hui. »
Dans cette reprise de pouvoir individuelle et collective, le savoir traditionnel des anciens apparaît tantôt comme un phare pour nous éclairer, tantôt comme une ancre pour nous empêcher de dériver. « La culture mondiale est là mais la seule chose qu’on peut faire c’est tenir debout avec ce qui a aidé nos ancêtres, ici même, à vivre alors qu’il y avait très peu de moyens. C’est important de ne pas zapper cette culture, c’est ça qui fait qu’on s’enracine. On a été complètement déraciné, on nous a démounisé, on n’était plus des hommes, on nous a amené au stade d’animaux. On a failli effacer notre maloya, les tisanes, nous effacer nous-même. »
« Aujourd’hui, cette résistance se vit dans la joie. On apprend à nous décharger de ces poids passés. Alice Pélerin par exemple (conférence « joroterapia: se soigner en soignant son histoire », ndlr) a fait un travail sur comment sortir de l’enfer de ce passé avec le sourire. C’est important de savoir d’où l’on vient pour savoir ou l’on va. »
Jéromine Santo-Gammaire
A voir également les reportages de François Orré de kroizé de chemin (K2C).