ENLUMINURES CRÉOLES
Enlumineresse est un métier qui, pour Amanda Montserrat, permet d’allier goût pour les dorures et passion pour le Moyen Âge.
La Belle au Bois Dormant : son premier choc littéraire. Shrek : son film culte. « J’étais fascinée par les décorations du grimoire qui ouvre le générique », souligne Amanda Montserrat. A presque 30 ans, elle a fait des enluminures son métier. « Enlumineresse », indique-t-elle. « On peut aussi dire enluminatrice, mais enlumineresse, c’est le terme employé au Moyen Âge », précise celle qui est restée passionnée du temps des chevaliers et des châteaux forts.
« Mon côté malbar »
Drôle de rêve d’enfant. « Je pensais que ce n’était pas le cas, mais à la reflexion j’ai toujours aimé dessiner, et ma mère calligraphe m’a peut-être transmis quelque chose », estime Amanda Montserrat. Elle entreprend des études d’histoire de l’art, obtient un diplôme en muséologie à l’école du Louvre, et puis, après avoir vu des oeuvres enluminées, décide que sera là sa vocation. « Ces couleurs, ces dorures… Peut-être mon côté malbar », rigole-t-elle.
La formation, comme celle des Compagnons du Devoir, est validée par un chef-d’oeuvre. « Sans le tour de France », précise l’artiste, pas tout à fait sûre que le métier s’exerce partout dans l’Hexagone. Au contraire, « c’est un métier qui se pratique en solitaire, qui demande concentration, patience et isolement ».
Toutes les techniques et matières premières datent du Moyen Âge, sauf certains pigments qui sont aujourd’hui d’origine synthétique. Le support est fait de parchemin (elle a le même fournisseur que la cour d’Angleterre), une peau de chèvre ou de veau le plus souvent, ou de papier de grande qualité. Les peintures sont faites d’un mélange de pigments, d’oeuf, de miel et de gomme arabique. « On peut également utiliser des bois, des tissus et même de l’os comme support », indique la jeune femme. Et, surtout, la feuille d’or qui brille de mille feux.
Motifs vikings
Historiquement, ce sont les Bibles qui sont enluminées. Le travail, on se souvient de nos cours d’histoire, où des moines dans les abbayes recopient le Livre sans relâche. Mais l’invention de l’imprimerie sonnera le glas de cette activité et ouvrira la voie de l’enluminure au profane. Dès l’époque carolingienne, des singes, rhinocéros, fleurs exotiques peuplent les enluminures, signe d’une influence indo-perse arrivée en Europe par les routes de la soie. L’une des figures de la cour de Charlemagne s’appelait Raba le Maure, qui comme son nom l’indique, venait de par delà la Méditerranée. On retrouve également des styles plus nordiques, comme le style insulaire qui date des VIe au IXe siècle, originaire d’Irlande et d’Ecosse et fortement inspirés de motifs vikings.
Cet art, on l’a dit, demande temps, minutie et patience. Pour la plus simple des oeuvres, Amanda Montserrat passe au moins une dizaine d’heures. Pour son chef-d’oeuvre, intitulé Matrimoine créole, kat’ fanm La Réunion c’était une année entière. Les trente pages du livre reliées à la main avec la technique traditionnelle du Moyen Âge, qui a donné à son autrice le titre de « Enlumineur de France », représentent quatre femmes inspirantes. « Quatre femmes qui ont façonné ce que je suis », résume Amanda Montserrat. A chacune d’elles, des illustrations sont associées. Une recette de sorcellerie pour Grand Mère Kal, une recette de cuisine pour Yvonne Lakshmi, l’arrière grand-mère de l’artiste, un poème pour la Vierge noire, et une prière pour la déesse Lakshimi. La sorcière est plutôt une tisaneuse avec ses plantes qui peuvent soigner ou tuer, la Vierge noire est illustrée de l’esclave Mario. « Pour cette illustration, j’ai amené le Moyen Âge à La Réunion avec des roses de porcelaine et des oiseaux de paradis. » « A mon arrière grand-mère, j’ai voulu lui apporter l’or et la maison qu’elle n’a pas eu, et pour la déesse, j’ai mis tout l’or possible, malbar à 300 %, elle m’apportait la sérénité quand mon île me manquait », explique la jeune femme. Une île et sa culture indienne vers qui son inspiration se tournent résolument.
Philippe Nanpon