LIBRE EXPRESSION
Oui, j’aime l’histoire car, bien la connaître, bien connaître le passé et ce qui s’est réellement passé, permet de comprendre beaucoup de choses. Et quand on comprend, on aime. Mais c’est vrai aussi que l’histoire, elle-même, est politique. Elle a subi de tout temps les vicissitudes du miroir déformant qui entache trop souvent la vérité. Pour ne citer que des exemples récents, les Français et les Allemands, les Japonais et les Américains, les Algériens et les Français, les Cubains et les Américains, etc. ne racontent pas l’histoire de la même manière.
L’histoire universelle des humains sur Terre est encore à écrire. Tout cela, nous le savons tous. Il y a cependant bien d’autres raisons pour déboulonner les approximations, les imperfections et les mensonges de l’histoire. Il s’agit principalement de cette timide tendance récente à tenter de réhumaniser l’humain, l’humanité. Cela semble pourtant la moindre des choses. Et, pour cela, il est nécessaire d’appuyer là où ça fait mal. Bien sûr, on comprend ceux qui souhaitent lourdement insister sur le génie humain et les hauts faits d’armes de certains. N’oublions pas cependant que l’enfer est pavé de bonnes intentions.
Et, trop souvent, l’histoire a tendance à masquer les histoires honteuses de l’histoire. Et, malheureusement, ce n’est pas cette propension à mettre la poussière sous le tapis qui fait avancer le respect que l’homme se doit à lui-même. On voit bien, aujourd’hui, où cela nous mène. L’hégémonie occidentale a usé un peu trop de ce stratagème qui consiste à masquer des crimes par de supposés bons sentiments. On ne parle pas de guerre mais de maintien de la paix. On a même mis en place des organisations internationales chargées d’empêcher de nouvelles guerres. Il n’y en a jamais eu autant.
Le ver est dans le fruit et, c’est ce ver qu’il faut déboulonner. Dans un article récent de la presse réunionnaise, certains historiens tentent de dédouaner La Bourdonnais en disant, je cite « Dans son rôle de gouverneur, La Bourdonnais n’est pas responsable d’une logique économique qui nécessitait l’augmentation rapide du nombre d’esclaves […] C’était un gestionnaire qui défendait les intérêts de l’État […] C’est le code noir qui a transformé des êtres humains en meubles, etc. » Responsable mais pas coupable ! On connaît. Eh bien non, il semble que certains Réunionnais (et beaucoup d’humains dans le monde) ne sont pas d’accord avec cette formulation de l’histoire, avec cette dissimulation des responsabilités. Il ne faut tout de même pas oublier les évolutions récentes du droit en la matière :
1 – Arrêté du Conseil d’État du 1O novembre 1944 et Article L121-10 du code de la fonction publique ( 24 novembre 2021) : « L’agent public doit se conformer aux instructions de son supérieur hiérarchique, sauf dans le cas où l’ordre donné est manifestement illégal et de nature à compromettre gravement un intérêt public. »
2 – Et, même chez les militaires : « Le subordonné ne doit pas exécuter un ordre prescrivant d’accomplir un acte manifestement illégal ou contraire aux règles du droit international applicables dans les conflits armés et aux conventions internationales régulièrement ratifiées ou approuvées. » (Décret n°75-675 du 28 juillet 1975).
Bien sûr, La Bourdonnais n’était pas soumis à ces lois. Mais ces lois ont changé, comme doit changer l’emplacement de certaines statues.
Enfin, pour conclure et étendre le sujet à l’humanité tout entière dont nous faisons tous partie, je dirais que cette phrase de l’historien : « La Bourdonnais n’est pas responsable d’une logique économique… », résume parfaitement la problématique de la pagaille actuelle du monde. En effet, si même l’ONU, dont c’est la charge, est aujourd’hui incapable de calmer le jeu des belligérants dans le monde, si le monde est aujourd’hui divisé en deux blocs qui risquent de s’affronter dangereusement, ne serait-ce pas justement parce que l’ONU n’est pas responsable d’une logique économique délétère qui est en train de détruire le monde et son humanité ?
François-Michel Maugis
