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La coopération agricole : du dévouement à la cause agricole au dévoiement des agriculteurs

LIBRE EXPRESSION

La coopération agricole française est un ensemble complexe regroupant trois agriculteurs sur quatre, plus de 2.300 entreprises, 190.000 salariés, une marque alimentaire sur trois et 85 milliards de chiffre d’affaires par an. C’est une composante majeure de l’agroalimentaire français.

Parmi les plus importantes coopératives agricoles française, on pourra citer ; Agrial, InVivo, Sodiaal, Tereos, Terrena, Vivescia, Eureden, Cooperl, Limagrain, Lur Berri. Des noms qui trouvent pour partie leur inspiration dans l’univers quotidien des agriculteurs : « l’agriculture », « le vivant », « la terre », « l’europe », « la coopération », « le grain »…

La coopération croise quotidiennement la vie des consommateurs au travers de marques ou d’enseignes connues : Soignon, Florette, Gamm vert, Jardiland, Candia, Yoplait, Béghin Say, Régilait, Paysan Breton, Francine, Brossard, Labeyrie, entre autres…

On trouve à l’origine de la coopération agricole une belle idée : mettre en œuvre une démarche solidaire présentant un contre-pouvoir face à la jungle libérale. Mais également, grâce à la mutualisation des forces et des moyens, affirmer l’existence des paysans, être, à la fois, l’expression de leur pouvoir et la manifestation de leur dignité. Ainsi, une loi de 1972 définit le rôle des coopératives comme « l’utilisation en commun par les agriculteurs de tous moyens propres à faciliter où à développer leur activité économique, à améliorer ou accroitre les résultats de cette activité »

Selon ce principe de mutualisation, les coopératives ont pu bénéficier, dès l’origine, d’une exemption fiscale leur permettant de ne pas payer d’impôt sur les sociétés afin de garder l’intégralité des profits pour compenser le manque de fonds propres qui caractérise le milieu agricole. En effet, se sont les agriculteurs qui apportent les fonds propres de la coopérative par la souscription de parts.

Avec le temps, cette accumulation de bénéfices leur a permis de passer d’une logique de défense vis-à-vis du marché à une logique de conquête de marché et de modernisation des outils agricoles. Un basculement s’est opéré au fil du temps vers la recherche de productivité à tout va :

Plus de surfaces, plus de produits phytosanitaires, plus de fertilisants, plus de matériels agricoles, plus d’investissements. Tout cela étant, bien entendu, fourni par la Coopérative. Petit à petit, le paysan devient l’employé de la coopérative qui, non seulement lui dicte ce qu’il doit produire, mais en plus lui transfère la charge d’une dette de plus en plus insoutenable. Il devient totalement dépendant de sa coopérative, tant pour les intrants que pour l’écoulement de ses productions. Le paysan voit ainsi son outil lui échapper au profit d’un système coopératif de plus en plus accro à l’économie libérale. C’est la fin du dévouement à la cause agricole. Le petit paysan est condamné.

Les coopératives elles-mêmes n’échappent pas à cette logique du « toujours plus » en se regroupant, en fusionnant (1600 en 20 ans) pour atteindre la taille critique souhaitée par le marché. C’est alors le début du dévoiement des agriculteurs : les coopératives rachètent, à l’aide des fonds accumulées grâce aux exemptions fiscales, des entreprises, voire des groupes entiers d’entreprises ayant, soit une logique avec l’écoulement des produits, soit totalement hors champ coopératif. On voit ainsi se constituer des groupes d’entreprises, contrôlées par une coopérative mère et pouvant réaliser des milliards de chiffre d’affaires, y compris à l’international (sur des marchés concurrençant leurs propres adhérents…), tout en continuant à bénéficier de lucratifs avantages fiscaux. C’est ainsi que moins de 3% des coopératives « mammouth » accaparent 85% de la production.

Les coopératives ont délaissé les principes de la coopération solidaire en se laissant imposer une ingénierie financière directement inspirée du système privé pour être compétitives dans une course chimérique à la mondialisation.

Elles sont devenues les jouets des organisations syndicales agricoles qui placent leurs hommes-clés aux postes de président et des technocrates qui les gèrent comme des entreprises libérales en traitant les agriculteurs-adhérents comme de simples fournisseurs de matière première. A côté de cela, les rémunérations des dirigeants n’ont souvent rien à envier à ceux de certaines grosses multinationales.

Les organisations coopératives sont devenues trop complexes pour être lisibles et comprises par les adhérents de base. Lesquels sont souvent ostracisés lorsqu’ils posent des questions qui dérangent.

En revanche, elles ont su devenir les interlocuteurs privilégiés des institutions syndicales, des administrations nationale et européenne et d’une façon générale des pouvoirs publics. Elles possèdent les fleurons de l’industrie agroalimentaire nationale et permettent aux hommes politiques de mettre en avant les domaines d’excellence français. Elles sont structurées pour faire de la communication et du lobbying, ce que ne peuvent pas faire les producteurs-adhérents.

Elles constituent un outil indispensable au fonctionnement des filières agricoles, à condition de revenir sur leur offre d’origine : la défense des producteurs et l’assistance aux exploitations. Elles se sont dévoyées dans un développement non maitrisé. Il est temps pour elles de se recentrer sur les problématiques de leurs adhérents. A défaut, on ne comprendrait pas qu’un pan entier de l’économie de marché soit soutenu abusivement par des exemptions fiscales qui n’ont plus lieu d’être.

Michel Portolano
Groupe HDG

PS : Synthèse à partir de trois articles parus sur le site indépendant Basta.

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