La flamme de l’amitié franco-allemande vacille à La Réunion

ÉTUDES

L’amitié franco-allemande fête cette année ses 62 ans. Hélas cette union semble s’effriter dans le temps quand on constate que le Master d’allemand vient de disparaître des filières post-bac à La Réunion alors que la maîtrise de cette langue présente de belles perspectives professionnelles.

« J’ai été déçu en arrivant ici et en voyant qu’ils étaient si peu nombreux en licence d’allemand. C’est dommage, car on n’a pas tous la possibilité de faire des tandems[1] par manque d’étudiants réunionnais germanophones », ce témoignage, est celui de Luisa Hellstern, une étudiante allemande venue en Erasmus à La Réunion en août dernier.

Les étudiants allemands, venant en Erasmus sur l’île, sont de plus en plus nombreux, tandis que le nombre d’étudiants réunionnais, se lançant en allemand, diminue : « En licence, on était 8 au début, maintenant on est 6, dont 3 élèves en parcours franco-allemand. On n’est pas beaucoup, ce n’est pas motivant et puis les informations concernant la venue de correspondants allemands en février prochain sont assez floues. J’ai même pensé à quitter La Réunion pour la métropole », confie Alicia Agama étudiante en L1 franco-allemand à l’Université de La Réunion.

 

Deux classes franco-allemande dans nos lycées réunionnais…

Des étudiants motivés et passionnés par l’allemand qui se font rares, mais qui existent toujours sur notre île. « On a bien sûr vu la baisse de l’effectif en allemand, suite à des réformes malencontreuses […]. Mais en tout cas, notre enthousiasme ainsi que celui des élèves, est toujours là, puisqu’on a toujours plus de demandes que de classe Abibac[2]. On a parfois même, bien plus de demandes que de place. Parfois deux, trois demandes de plus, ou dix de plus, mais nous, on y trouve notre compte puisque l’idée ce n’est pas d’avoir des élèves qui sont excellents en arrivant en section Abibac mais des élèves qui sont volontaires et motivés », affirme Anne Brun-Riehm, enseignante d’allemand au lycée Roland Garros au Tampon.

La section Abibac est un cursus binational riche, qui offre des opportunités de mobilité aux jeunes : « Cette année on a 25 élèves en Abibac et 19 d’entre eux partent faire un échange Sauzay (3 mois) au cours de l’année. Il y en a donc encore beaucoup qui sont intéressés par ce genre d’échange, subventionné par l’OFAJ (Office franco-allemand pour la jeunesse) », explique Anne Brun-Riehm.

A l’issue de ces formations, certains élèves se dirigent vers le cursus franco-allemand de l’Université de La Réunion comme Alicia Agama : « Je suis intéressée par l’enseignement, donc après mon Abibac, j’ai décidé de m’orienter vers le cursus UFA (Université franco-allemande) de l’Université de La Réunion, mais pour l’instant, je ne sais pas encore comment je poursuivrai ma licence, vu que j’ai entendu dire qu’il n’y a plus de Master, les profs me conseillent pour l’instant de ne pas trop me projeter ». D’autres décident de quitter le nid familial et de s’envoler vers l’hexagone : « Suite aux conseils de mes professeurs et puis à ma volonté de me rapprocher de l’Allemagne, j’ai décidé d’intégrer une licence franco-allemande à Strasbourg en métropole. Aujourd’hui je suis toujours en Master binational à Trêves et cela me plaît toujours autant. […] L’allemand m’a permis de découvrir de nouveaux horizons et m’a donné le goût d’apprendre d’autres langues », confie Audrey Li-Thiao-Té, ancienne élève Abibac au lycée Roland Garros.

L’allemand à La Réunion, une impasse ou une voie d’avenir ?

Des cursus franco-allemands dans le 1er et 2nd degré[3] solides mais des poursuites d’étude post-bac compliquées à La Réunion, faute de moyens et d’effectif : « Je rêve d’être prof d’allemand, mais aujourd’hui j’ai été obligé de stopper ma formation suite à la suppression du master MEEF 2nd degré allemand, raconte une étudiante fraîchement diplômée de sa licence d’allemand, je suis déçue, parce qu’on ne peut pas continuer dans ce qu’on voulait, il n’y a pas de continuité, on s’attend à un Master et puis finalement il n’y a rien du tout. Je comprends qu’il n’y a pas de moyen et qu’on n’est pas nombreux, mais là, c’est important, c’est notre avenir ».

Une offre de formation qui semble faillir, mais une demande de germanophones qualifiés qui ne cesse de s’accroître : « L’allemand c’est une belle langue, qui est riche en opportunités surtout si on veut faire du tourisme à La Réunion. On recherche des germanophones dans tout le secteur touristique. […] Lorsque des bateaux de croisière arrivent comme durant la période actuelle, le nombre de guides est insuffisant, il y a alors du personnel hôtelier, des professeurs ou même parfois des étudiants qui viennent en renfort. […] Il faut arrêter de dire que les Allemands parlent anglais, l’anglais n’est pas suffisant pour créer du lien, tout le monde parle anglais. Et puis, ils sont contents, voire même touchés, lorsque l’on parle leurs langues. », ces mots sont ceux de Catherine Clain guide indépendante germanophone à La Réunion.

Les allemands sont, selon Catherine Clain « la deuxième masse de touristes après les français d’hexagone. […] C’est une communauté qui a les moyens et qui voyage beaucoup. ». Ces derniers sont attirés par la randonnée ainsi que le tourisme vert. Elle explique : « J’accueille chaque année, sans compter les croisières, 1 groupe par mois qui reste entre 5 à 6 jours. Ce sont surtout des touristes âgés entre 50 à 60 ans, originaire de l’Allemagne de l’Est. Ils ne parlent donc pas, voire très peu anglais, car la langue étrangère qui y été apprise était le russe. […] Un jour me rapporte entre 250 à 300€, les Allemands aujourd’hui, c’est mon fonds de commerce ».

Les secteurs du tourisme et les commerces sont également impactés par ce flux grandissant de touristes allemands.  Prolanne Fontaine, ancienne élève en allemand et actuelle employée dans un commerce témoigne : « Aujourd’hui j’ai tout oublié et je regrette un peu. Il m’arrive d’accueillir des clients allemands, surtout en fin d’année, et je ne suis plus capable d’échanger avec eux en allemand. Je parle anglais oui, mais je trouve ça dommage, car on n’a pas la même relation avec le client lorsqu’on ne parle pas leur langue ».

De vraies opportunités qui sont très peu exploitées par les Réunionnais. Catherine Clain dit connaître seulement trois guides d’origine réunionnaise qui parlent allemand. Cela serait dû, selon elle, par un manque de formation et d’intérêt pour cette langue sur l’île.

Son conseil aux jeunes Réunionnais en quête d’avenir est : « De foncer et d’apprendre l’allemand ! C’est une belle langue riche en opportunités ». Anne Brun-Riehm la soutient dans cette optique, en soulignant l’importance de cette amitié franco-allemande célébrée en ce jour : « Ce traité nous est cher pour faire tous nos projets[4], d’être soutenu, de se savoir dans un réseau, parce qu’il est vrai, les élèves ont plus d’appétence pour l’espagnol que pour l’allemand pour des raisons X […] et c’est fort dommage, vu qu’il y a tant de chouettes projets possibles notamment avec l’OFAJ ».

Urvashi Véléchy


[1] Travail collaboratif en binôme

[2] La section Abibac est un cursus binational qui propose aux lycéens d’obtenir un baccalauréat français et allemand. Seul deux classes de ce genre existent sur l’île, l’une au Tampon et l’autre à Saint-Denis.

[3] Niveau primaire (écoles maternelles et élémentaires) et secondaire (collèges, lycées)

[4] Projets de voyages d’échanges, de collaboration avec des lycées allemands, etc…

A propos de l'auteur

Urvashi Véléchy | Étudiante en Journalisme

Étudiante en Master Information, Communication à l'Université de La Réunion

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