élections législatives 4ème circonscription David Lorion, Sharif Bemat, Stéphane Albora, Emeline K/Bidi

La lang kréol dann zéléksyon

LIBRE EXPRESSION

Il serait intéressant d’étudier l’usage que font les candidats aux législatives de la langue kréol sur leurs affiches et dans leurs professions de foi.

Par exemple, si l’on considère la 1ère circonscription qui compte le plus grand nombre de candidats (17 paires), on constate que 6 candidats ont fait usage du kréol dans les documents considérés. 6 sur 17, c’est-à-dire 35% ! On pourrait penser qu’il s’agit là d’un pourcentage significatif, indice d’une avancée dans la prise en compte du kréol dans la sphère politique. Las ! Les énoncés que nous avons relevés se réduisent en fait aux fragments suivants, noyés dans une graphorhée française. 

1. Nout voix à l’assemblée nationale !

2. Tienbo, larg pa lo pèp !

3. Nou lé kapab !

4. Si fo lévé, na lévé !

5.a. La Réunion sé nout tout

            Allons batay !

   b. Respect nout traditions !

6. Ansanm zordi kom domin

Des problèmes apparaissent immédiatement à la lecture de ce corpus. Faut-il indexer les énoncés 1 et 5b comme kréol ? Pour le 1, nous y verrons surtout une alternance codique avec une unité minimale en kréol suivie d’un enchaînement de mots français obéissant à la syntaxe de cette langue. Nout fonctionnerait ici comme un mot-alibi. Quant au 5b, il révèle une incohérence au plan de la graphie et de la syntaxe (si c’est du kréol, il ne faut pas mettre de marque de pluriel, par exemple).

Par ailleurs, ce sont des lieux communs qui sont mobilisés dans ces suites de mots, ce qui en atténue la valeur informationnelle, mais ce n’est pas ce qui est recherché. Derrière le 3, on lit le fameux « Yes, we can ».  Le 5a n’a rien d’original ; en outre, en plus de l’incohérence graphique, cet énoncé est d’une grande maladresse syntaxique, qui en obscurcit la signification : que signifie, en effet, « Allons batay » ? Est-ce que l’on nous enjoindrait de nous transformer en bagarreurs ?

Quant au 2, tout le monde aura reconnu le fameux « Tyinbo larg pa », qu’on met à toutes les sauces. On peut noter cependant un usage intéressant de cette expression, dans la mesure où on lui a appliqué un défigement de nature à la revivifier, par l’adjonction d’un complément « lo pèp ».

Il apparaît, en définitive, que le kréol n’est pas massivement présent sur les affiches électorales et dans les professions de foi. Il se réduit à de rares énoncés dont la fonction n’est manifestement pas référentielle. Ceux-ci deviennent la proie d’une parole seconde – ce que Barthes nomme mythe – qui les transforme en langage-objet pour pouvoir leur attribuer une nouvelle signification. Ici, les énoncés relevés ne cherchent nullement à nous signifier leur sens ; ils cherchent fort peu à nous parler de La Réunion, ou de nous, ou de ce que nous devons faire ; leur signification véritable et dernière, c’est de s’imposer à nous comme présence d’une certain attachement à la créolité. Il s’agit, par le biais de cette exhibition mythologique, d’établir une certaine complicité avec « lo pèp », mais la grossièreté de la manœuvre la rend, à mon sens, tout à fait inefficace. 

Jean-Louis Robert

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