LIBRE EXPRESSION
A l’occasion des 120 ans de la création de la Ligue des Droits de l’Homme à la Réunion, notre Île a reçu la visite la semaine dernière de la présidente nationale de la LDH, Madame Nathalie Tehio. Nul doute que cette visite a pu renforcer localement la conviction de nombre de citoyens, notamment des responsables associatifs, engagés localement pour la promotion des droits et libertés.
Il n’est pas inutile cependant, pour accompagner cet élan, de se remémorer l’historique de la LDH à la Réunion. Or donc, c’est en 1905, l’affaire Dreyfus n’était pas terminée, le capitaine ne sera réhabilité qu’en 1906, que fut créée dans notre Île, une section de la Ligue française de défense des droites de l’Homme et du citoyen, avec ce rappel des statuts « La ligue fait appel à tous les Républicains pour combattre l’illégalité, l’arbitraire et l’intolérance ».
Dès 1875, le Conseil général de la Réunion avait voté une motion demandant que notre Île devienne un département français. Mais il faut savoir que dans les années 1880, Shoecher devait encore répondre, par voie de presse, à des polémistes locaux qui ne craignaient pas de regretter l’abolition de l’esclavage, accusée d’avoir ruiné la colonie. Aussi bien, lors de la grande révolution française, certaines « élites » locales se disant révolutionnaires et attachés à la Déclaration des Droits, avaient refusé le nouveau nom d’Île de la Réunion (1794), au motif que les produits « péi » étaient connus sous l’appellation d’origine Bourbon, comme ils avaient refusé la 1ère abolition de l’esclavage.
C’est dans ce contexte historique, que quelques citoyens éclairés et progressistes implantèrent la LDH à la Réunion, en vue d’y promouvoir les droits humains et une espérance d’émancipation démocratique. Leurs premiers efforts à ce titre portèrent sur la constitution de syndicats locaux et sur la formation de syndicalistes.
Mais c’est dans les années 30, avec 3 sections dans l’Île, que la LDH à la Réunion devient un acteur central de notre histoire réunionnaise pour l’égalité des droits, en étant le principal porteur de la revendication visant à faire de la Réunion un département français et de sortir ainsi du régime colonial, dénoncé comme apartheid institutionnel et social.
Cependant arrive la Guerre de 1940. Le régime de Vichy interdit la LDH et saisit ses archives locales. Cela n’empêche pas les ligueurs, au sortir de la guerre, de relancer un Comité Républicain d’action démocratique et sociale (le CRADS) et de gagner des batailles électorales aux législatives puis aux municipales. C’est ainsi que le 19 mars 1946, la Réunion devient un département français.
Au titre de la Loi de 1946, les « vieilles colonies » sont « érigées », est-il écrit, en départements français. Mais après avoir promis que les lois en vigueur en France métropolitaine seraient étendues aux nouveaux départements par des décrets spéciaux avant le 1er janvier 1947, la loi prévoyait, dans son article 3, que pour l’avenir les lois de la République ne s’appliqueraient chez nous que sur « mention expresse ». De fait, la nécessité d’adaptation législative aux contextes locaux était ressentie et comprise.
Pour autant, la promesse d’égalité, assortie d’adaptation positives, fut loin de se trouvée immédiatement concrétisée par les politiques publiques. Aussi bien, en raison de cette problématique, les progressistes qui s’étaient réunis dans le CRADS, commencèrent, dans les années 50, à se diviser. Les uns prônaient l’autonomie démocratique et populaire, avec la création du PCR en 1959, tandis que les autres restaient attachés à l’espérance « départementaliste ». C’est sans doute la raison principale pour laquelle, la LDH à la Réunion cessa alors de fonctionner comme organisation locale.
Ce n’est qu’après les lois de décentralisation de 1982, que le débat « statutaire », longtemps porteurs de divisions, allait s’apaiser et permettre à nouveau un dialogue fructueux. Et c’est sans doute ce qui permis à la Ligue à la Réunion de reprendre force et vigueur au tournant des années 90.
Cependant, la question se pose depuis 1905 : que faire pour l’égalité des droits et les libertés dans notre Île ? Malgré des progrès réels depuis 1946, malgré la loi Taubira de 2001 reconnaissant la traite négrière comme un crime contre l’humanité, malgré la loi pour l’Egalité Réelle outre-mer de 2017, force est de constater que la situation des départements et territoires français dits d’outre-mer, dans leur diversité, se caractérise d’abord, pour les citoyens, par des difficultés spéciales d’accès aux droits sociaux fondamentaux; que du fait de handicaps structurels reconnus, de forts taux de chômage et de pauvreté affectent les droits au travail, à l’éducation, au logement, à la santé, ainsi que les droits culturels, le tout entrainant une maltraitance institutionnelle et sociale à l’égard de nos concitoyens les plus fragiles, notamment les femmes et les enfants victimes de violences.
N’est-il pas temps de retrouver un nouvel élan, de s’engager dans une démarche collective visant à répondre aux attentes, et pour mieux dire, aux besoins réels de nos concitoyens, et pour permettre, ici et maintenant, un accès plus effectif aux droits sociaux fondamentaux ?
Dominique Rivière
NB. Pour ne pas alourdir le message, j’ai volontairement omis de citer quelques-uns des grands noms de la Ligue avant-guerre. Ils sont connus. (Par exemple, de mémoire, Jules Auber, Henri Vavasseur, Paul Caubet, Alix Esparon, Emmanuel Oyapoury, Augustin Mondon, Léonce Salez, Eugène Dutremblay, André et Benjamin Hoareau, Evenor et Simon Lucas, Raymond Vergès, Léon de Lepervanche, Jean Hinglo, le Prince Vinh San)…
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