Violences racistes et sexistes dans les médias français, à travers le prisme de la misogynoir. Les micro-agressions subies par deux candidates noires de la saison 13 de Secret Strory amènent à réfléchir sur un phénomène plus global et systémique : la manière dont les femmes noires sont représentées ou réduites dans l’audiovisuel français.
Photo mise en avant : Image de Arrêt Sur Image, Clara Barge, 07 juillet 2025
Une nouvelle saison de Secret Story au cœur de la polémique. La saison 13 de Secret Story a été diffusée le 10 juin 2025 sur TF1. Très rapidement, l’émission a été confrontée à une vive controverse. Depuis quelques jours, les internautes dénoncent sur les réseaux sociaux le harcèlement et les micro-agressions dont sont victimes deux candidates noires, Anita et Romy. Des voix s’élèvent pour dénoncer des clichés racistes tels que celui de la « femme noire bruyante ou agressive » perpétrés par certains candidats dont Marianne, Constance et Pimprenelle. Face à cette explosion de critiques jusqu’à des appels au boycott et des signalements à l’Arcom, le régulateur de l’audiovisuel, la production a finalement réagi.
Rappel à l’ordre… trop tardif ?
Le samedi 28 juin, la productrice Valérie Jaunard est intervenue dans le confessionnal pour adresser un message solennel aux candidats. Elle a dénoncé « certains comportements récents » et rappelé que la Maison des Secrets devait rester « un espace de respect, de bienveillance et de sécurité ». Elle a évoqué d’éventuelles sanctions disciplinaires, voire des exclusions.
Mais pour beaucoup de téléspectateurs, cet avertissement est arrivé trop tard et reste largement insuffisant. « Les mots ne sont pas assez forts pour leur faire comprendre la gravité de leurs attitudes », écrit une internaute. « C’est fou de devoir rappeler ce type de règles à des adultes… », commente un autre.
La polémique a rapidement gagné l’espace public et politique. Le député LFI Antoine Léaument a exprimé son soutien à Romy et Anita, saluant la mobilisation en ligne et annonçant qu’il saisit l’Arcom pour signaler les violences racistes subies dans l’émission et dit sur son compte TikTok, le 1er Juillet 2025, «Ce qu’il y a de bien, c’est qu’aujourd’hui on se mobilise sur ce sujet là et qu’on ne laisse rien passer des violences racistes qui sont subies dans la société.»
D’anciennes figures de la télé-réalité ont également pris la parole. Frédérique Brugiroux, révélée dans Koh-Lanta en 2010, s’est indignée sur TikTok : « C’est quoi ce racisme décomplexé, cette violence ? ». Un comportement largement identifié par les téléspectateurs, les politiques et d’autres personnalités publiques… mais que la production ne semble reconnaître qu’une fois les plaintes déposées et la tempête médiatique lancée.
Un problème plus vaste : la misogynoir, de la télé-réalité à la réalité réunionnaise
La stigmatisation d’Anita et Romy dans Secret Story n’est pas un cas isolé. Elle s’inscrit dans un phénomène plus large, connu sous le nom de misogynoir, une forme spécifique de discrimination à l’intersection du racisme et du sexisme, qui cible particulièrement les femmes noires.
Le terme, théorisé par la chercheuse afro-américaine Moya Bailey en 2008, permet de nommer ce que vivent tant de femmes noires dans l’espace public, médiatique ou professionnel : une présomption d’agressivité, d’hypersexualisation, ou au contraire d’invisibilité.
Début 2025, Ebony Cham, finaliste de la Star Academy, en a été victime de manière frontale. Insultée, comparée à un singe, frappée d’un flot de commentaires racistes et sexistes, elle est devenue la cible d’une haine décomplexée sur les réseaux sociaux. Endemol et des associations antiracistes ont été contraints de porter plainte. Miss France 2025, Angélique Angarni-Filopon, originaire de la Guadeloupe, a elle aussi raconté les torrents de messages haineux reçus après son élection, centrés sur sa couleur de peau. Preuve que la visibilité des femmes noires dérange encore profondément, surtout lorsqu’elle s’accompagne de succès ou de confiance en soi.
“Il faut juste nous laisser parler” : enquêter sur la misogynoir à La Réunion
Depuis La Réunion, les récits de misogynoir en métropole trouvent un écho douloureux. Moqueries sur l’accent, exotisation, infantilisation dans les milieux professionnels, invisibilisation médiatique : les femmes noires et métisses de l’île connaissent ces violences, même lorsqu’elles évoluent à des milliers de kilomètres.
«On a cette sensation de ne pas être légitime, de ne pas avoir le droit de dire un mot là-dessus», confie une jeune Réunionnaise de 22 ans. Ce sentiment d’illégitimité, selon elle, s’inscrit dans un système plus large où la parole des femmes noires est souvent réduite au silence ou discréditée, comme si elle dérangeait l’ordre établi.
À La Réunion, les mécanismes sont parfois plus insidieux. L’histoire du métissage tend à masquer la persistance des hiérarchies raciales et genrées. Mais «le racisme existe ici aussi », souligne-t-elle, même s’il est « moins frontal qu’en métropole».
Durant son enfance, elle dit n’avoir trouvé aucun modèle féminin noir dans les médias ou la culture populaire. Les figures qu’elle admirait lui semblaient « éloignées, pas vraiment représentatives» de son vécu. Ce manque de représentation l’a longtemps privée de repères.
« Je ne me suis jamais vraiment intéressée à leurs luttes. Je n’avais pas de modèle qui me représentait vraiment », confie-t-elle.
Aujourd’hui, elle affirme avec force sa fierté d’être une femme réunionnaise, façonnée par un métissage qu’elle revendique comme une richesse : « On ne devrait jamais avoir honte d’être Réunionnaise. Notre métissage, c’est notre force. »
Mais cette fierté ne suffit pas à effacer un sentiment de décalage persistant, notamment dans certains espaces sociaux. « Quand je suis dans une salle où il n’y a que des filles blanches, des fois, je ne me sens pas à ma place », admet-elle, pointant un malaise diffus mais tenace.
Le monde professionnel, lui, reste marqué par une forme d’omerta. « Le sexisme et le racisme, on n’en parle pas. Ce n’est pas un sujet », regrette-t-elle. Elle déplore une absence de conséquences pour les comportements misogynes et racistes : « Du coup, on ne dit rien. »
Son récit entre en résonance avec celui de sa mère, aujourd’hui âgée de 53 ans. À 17 ans, lors d’un stage dans une banque, cette dernière s’était vu refuser l’accès à un poste en raison de sa couleur de peau. Une phrase l’avait figée, prononcée avec le calme d’une évidence : « Il n’y a pas de Noire à l’accueil. Et il n’y en aura jamais. »
Trente ans plus tard, les mots circulent toujours. La mère raconte, la fille aussi. Deux voix, deux générations, un même besoin d’être entendues. «Il faut arrêter de dire qu’on se victimise. Il faut juste nous laisser parler.»
La parole est encore fragile, mais elle circule. Et dans cette circulation, elle commence à faire bouger les lignes.
Dans les médias français, les femmes noires sont encore confrontées à une violence qui se déguise en divertissement.
Les témoignages réunionnais évoqués plus haut ne sont pas des cas isolés, mais les échos d’un système médiatique plus vaste. Dans l’audiovisuel français, les femmes noires continuent d’être humiliées, caricaturées ou instrumentalisées, souvent au nom de « l’humour », du « second degré », ou du « buzz ». Se moquer d’une coiffure afro, sexualiser une femme noire, parler d’elle comme d’un fantasme ou d’un corps à part : tout cela a été non seulement toléré, mais applaudi, filmé, rediffusé.
Ce que la société française refuse souvent d’admettre, les plateaux télé l’illustrent avec une clarté brutale : la misogynoir est banalisée. Elle n’est pas seulement une violence sociale ou professionnelle, elle est aussi une violence médiatique, codifiée et ritualisée dans le divertissement.
Rire d’une femme noire à la télévision, c’est souvent lui rappeler qu’elle n’est pas là pour parler, mais pour amuser. C’est ce que dénoncent aujourd’hui de nombreuses voix, en demandant non seulement des représentations plus justes, mais aussi la fin de la façon dont les femmes noires sont transformées en spectacle.
Aya Nakamura, aujourd’hui l’artiste francophone la plus écoutée au monde, a brisé les codes d’une industrie musicale qui ne la voulait ni trop noire, ni trop libre. En imposant sa voix, sa langue, son esthétique, elle a redéfini ce qu’être une femme noire et populaire pouvait signifier dans la culture française.
Christiane Taubira, ancienne garde des Sceaux, a porté à l’Assemblée nationale des combats que beaucoup jugeaient impossibles du mariage pour tous à la reconnaissance de l’esclavage comme crime contre l’humanité.
Et d’autres encore comme l’écrivaine Gisèle Pineau, l’activiste Assa Traoré, la journaliste Rokhaya Diallo, ou la députée Danièle Obono bâtissent chaque jour des espaces de parole, de dignité et de conquête.
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