LIBRE EXPRESSION
Cet article ambitionne en toute humilité d’apporter quelques éléments d’information supplémentaires au débat, à propos de cette délicate question de la mort subite du nourrisson et poursuit un hypothétique début d’explication.
Résumé
Nous présentons une hypothèse explicative de la mort subite du nourrisson qui résulterait d’un phénomène de « trop plein de vie » par sommation d’énergie neuronale engendrant un embrasement cérébral ou stress endogène lié au fonctionnement des neurones conjugué à une source de stress exogène engendrée par la peur acquise du bébé de se retrouver dans le noir, isolé dans sa chambre.
Nous étayons notre raisonnement en fonction des travaux de Rodolpho Llinas (USA) et d’une conception tirée d’un connexionisme radical de la mémoire (Francisco Varela et Guy Tiberghien, France). Llinas a découvert, dans le système thalamique par exemple, des neurones qui, en l’absence de toute stimulation extérieure, oscillent par eux-mêmes. Les fréquences sont très précises : 10 ou 40 Hertz. Or ces oscillateurs neuronaux sont capables d’entraîner leurs voisins et développeraient, selon notre thèse, un embrasement neuronal « radical » dès lors que la peur acquise du bébé subissant les secousses de ses rythmes cérébraux exacerbés lors du « sommeil sismique » ne serait pas régulé. La mort surviendrait, mettant fin au stress de ces deux sources désorganisantes : le cerveau est embrasé, la demande alimentaire des neurones accélère le cœur et les poumons, la peau dégage de la sueur du fait de l’excès de température crânienne et la mort peut survenir.
Notons que la définition du stress est proche de cette description : « toutes demandes faites à l’organisme » selon Hans Selyé. Et ces demandes seraient excessives par rapport à l’immaturité physiologique et aux possibilités organico-psychologiques du bébé qui présenterait des difficultés pour y faire face.
Selon notre hypothèse cette capacité d’entraînement des cellules nerveuses (ou des réseaux neuronaux solidaires) serait impliquée dans « l’embrasement » neuronal chaotique. Les notions de chaos, d’ordre et de désordre en biologie seraient sous-jacentes à nos considérations et hypothèses. Celles-ci pourraient inciter les chercheurs à orienter leurs investigations dans cette voie qui postule aucune anomalie a priori.
Les cultures « traditionnelles » africaine, indienne et asiatique qui précèdent et accompagnent l’endormissement du bébé (bercements et promiscuité nocturne entre les parents et le bébé), seraient sous-tendues par des attitudes rassurantes pour le bébé et régulantes du point de vue des rythmes cérébraux et de leur ontogenèse, équivalente à une sorte d’accordage homéostatique bio-culturel entre le bébé et son environnement.
Depuis les années 2002, la mort subite inexpliquée du nourrisson serait liée à une insuffisance respiratoire du fait de la position du bébé couché sur le ventre ; il se trouverait alors sous-ventilé, la peau étant considérée comme un organe de ventilation. De plus, le poids du corps comprimant les poumons, la respiration entravée partiellement, la mort surviendrait du fait de cette insuffisance, d’où la recommandation faite actuellement aux parents de ne pas le coucher ainsi. D’après les observations recueillies, 50 à 75 % des morts subites du nourrisson seraient ainsi évitées (25). La cause de la mort attribuée à une hypoventilation est partiellement explicative car elle ne prend pas en compte les autres 50 à 25 % restants, de plus elle présente un effet et non une cause (3).
Ce sujet nous a mobilisé en tant que psychothérapeute ayant eu à accompagner des parents qui ont perdu subitement un enfant. Voici une quinzaine d’années nous avancions une tentative d’investigation publiée dans un ouvrage (26) datant de 1987 portant sur la santé des enfants qui intégrait la constatation de l’hypo-ventilation pulmonaire en l’articulant à une approche de causes impliquant de multiples facteurs. Cette articulation fut présentée comme une nouvelle hypothèse explicative en 1988, lors d’un colloque européen organisé par la Fédération des associations « Naître et vivre » (association de Parents qui ont perdu un enfant par mort subite (37)). Notre hypothèse s’affranchissait de préjugés qui évoquaient la recherche d’une pathologie a priori.
Notre tentative d’explication de la mort subite du nourrisson pouvait être envisagée suivant la double articulation d’une conjonction de deux origines : endogène et exogène. Nous voulons présenter cette hypothèse aujourd’hui encore : d’une part nous imaginons un phénomène de « trop plein de vie » par sommation d’énergie neuronale ou stress endogène lié au fonctionnement des neurones conjugué à une source de stress exogène engendrée par la peur acquise du bébé de se retrouver dans le noir, isolé dans sa chambre.
1) Source endogène
Il faut tout d’abord dire que le cerveau est extrêmement stimulé intrinsèquement, indépendamment des influences extérieures. Ces stimulations se traduisent en tracés que nous visualisons grâce à l’électroencéphalogramme (EEG), même lorsque le sujet dort. Ses paupières battent et l’on constate des saccades plus ou moins violentes dans les membres. Les énergies de la cellule nerveuse ou neurone de nature pulsative sont à la base de l’action, elles ont des assises bio-physiologiques particulièrement complexes intégrées dans l’organisation émergente du corps. L’ensemble des cellules d’un organisme n’est pas une collection arbitraire, il est organisé par des communications moléculaires, hormones, médiateurs immunitaires…selon une dynamique autopoïétique (c’est-à-dire l’auto-production) selon Francisco Varela. « La vie est révélée si et seulement si la cellule, au sens étymologique du terme, produit des briques pour construire la frontière qui l’enceint.» Jean-Pierre Changeux semble aussi se rallier à cette conception : « C’est peut-être une des propriétés les plus caractéristiques de la matière que de s’organiser de façon spontanée en assemblages à la fois multiples et définis, pour devenir, étape après étape, « une matière pensante » ». (6) p. 58. Cette notion, nous devrions la retrouver lorsque nous posons la question des fonctions des impulsions neuronales articulées aux biorythmes (12) et à l’homéostasie (2).
Avec les technologies de plus en plus sophistiquées et précises d’exploration du cerveau, la présence de l’électricité cérébrale est désormais mieux connue. Ce qui l’est moins, c’est l’ordre et la régularité d’intensité des différentes ondes électriques sélectionnées par l’évolution qu’il a été convenu d’appeler Alpha, Bêta ou Gamma. Avec l’étude de plus en plus précise de la biochimie de la cellule nerveuse, de la production énergétique et de la propagation des ondes électriques, le mystère de l’influx nerveux se dévoile progressivement. Cependant, des questions restent en suspens : si les cellules nerveuses sont capables de produire spontanément des impulsions électriques, on peut s’interroger alors sur leur devenir. La communication dans le réseau nerveux s’effectue sous forme d’ondes solitaires qui circulent le long des nerfs d’un point à l’autre du réseau. Concernant l’activité spontanée « intrinsèque » à la cellule nerveuse, le neurobiologiste Jean-Pierre Changeux soulignait en 1983 (5) : « Qu’un neurone tienne seul un tel langage, voilà qui ne va pas sans s’entourer d’un certain mystère. » Ces impulsions nerveuses animent le cerveau et le corps tout entier car les neurones sont reliés aux moto-neurones qui eux-mêmes débouchent sur des plaques motrices, lieux de stimulation des muscles. J-P Changeux, qui utilisait l’expression «esprits frappeurs» (5) pour évoquer ce phénomène des impulsions cérébrales, ré-envisage la question 20 ans plus tard (6), (voir « L’activité spontanée du cerveau » pp. 40 à 43). « Il paraît plausible, dit-il, qu’une telle activité spontanée joue un rôle central dans plusieurs mécanismes propres au développement cérébral et, de manière générale, dans l’acquisition des connaissances ainsi que dans la mise à l’épreuve de leur vérité », (6)p. 43. Ces impulsions spontanées nous intriguent d’autant plus que parfois, sans savoir pourquoi, leur intensité est telle qu’elle provoque des saccades violentes au niveau périphérique : des muscles en mouvements brusques, des palpitations cardiaques, une augmentation considérable de la respiration, des variations des cycles endocriniens… si bien que certains neurobiologistes comme Joëlle Adrien et Danielle Benoît (Inserm, Unité 03 Pitié-Salpétrière) ont voulu qualifier les variations de ces oscillations cérébrales d’«énergies sismiques» observées chez des chatons et ratons nouveau-nés. Joëlle Adrien, consultée en 1985 préalablement à nos travaux sur cette question et à leur présentation à ce colloque de « Naître et Vivre », avait suggéré d’appeler en effet le sommeil agité du bébé : « sommeil sismique du nouveau-né » (1). Cette chercheuse voulait de ce fait insister sur les déflagrations énergétiques violentes qui s’animaient lors du sommeil du nouveau-né et du nourrisson alors que les rythmes circadiens de 24 heures du bébé ne sont pas encore adaptés (accordés) aux variations périodiques de l’environnement marquées par l’alternance du jour et de la nuit. Quand nous savons que le bébé dort 90 % de son temps pour se réguler et s’adapter progressivement, ceci veut dire que pratiquement il est constamment sous l’influence de ce séisme durant ses premiers mois de vie, cérébralement et corporellement. D’ailleurs, on observe que certains bébés peuvent présenter un sommeil extrêmement agité sans souffrir d’anomalie pour autant. La question de fond pour avancer sur le versant de l’inné des biorythmes serait de savoir si ces propriétés oscillantes sont intrinsèques au substrat neuronal ou résultent du contact avec le monde extérieur. D’autres questions intéressent les neurobiologistes : quelles sont les zones du cerveau impliquées dans ces oscillations ? Quelles distinctions doit-on établir entre oscillations et synchronisations ? Nous étayons maintenant notre raisonnement en fonction des travaux de Rodolpho Llinas (USA 22). Ce neurobiologiste a découvert, dans le système thalamique par exemple, des neurones qui, en l’absence de toute stimulation extérieure, oscillent par eux-mêmes. Les fréquences sont très précises : 10 ou 40 Hertz. Or ces oscillateurs neuronaux sont capables d’entraîner leurs voisins.
Selon notre hypothèse cette capacité d’entraînement serait impliquée dans « l’embrasement » neuronal chaotique dont il va être question plus loin. Les notions de chaos, d’ordre et de désordre en biologie sont certainement sous-jacentes à nos considérations et hypothèses. On peut se reporter sur ce point aux travaux de Jacques Demongeot (9), chercheur au C.N.R.S Grenoble, qui propose d’envisager la notion d’homéostasie conciliable avec la notion de chaos. Selon ce chercheur, ces deux notions antinomiques dans les années 1980 pourraient être incorporées de nos jours à une description de l’organisme vivant en général et du système nerveux en particulier. On peut aussi se référer aux travaux portant sur la notion de chaos déterministe (8-9-10-11-12-14-20-30-32). Une idée s’impose actuellement associant ce « désordre » de l’activité spontanée des neurones contribuant à une sorte de « générateur de diversité » de type darwinien (J-P. Changeux 1983 et G.M. Edelman 1987). Si ce désordre n’existait pas, le cerveau humain (et celui des grands singes) serait fonctionnellement comme « bridé » par l’influence exogène des stimuli du monde extérieur puisqu’on sait maintenant que l’influence de la réalité sur le cerveau code considérablement les circuits neuronaux (par apprentissage) par « stabilisation sélective » (5). Le cerveau devrait conserver ainsi flexibilité fonctionnelle et adaptative, propriété de stockage (24) et capacité d’auto-organisation (35) grâce à cette activité spontanée. Cependant, est-il possible qu’un tel « désordre » chimique et électrique (D. Kondepudi et T. Buhse (20)) puisse contribuer à cet « entretien » fonctionnel et être également responsable de « ratés » physiologiques comme les accidents vasculaires, infarctus, arrêts respiratoires, mort subite du nouveau-né (uniquement durant une période « critique » des 6 à 7 premiers mois de vie) ? Autant de faits cliniques qui surviennent pendant le sommeil et constituent de véritables énigmes pour le médecin ou le biologiste. Michel Jouvet confirme que « la respiration devient irrégulière, la tension artérielle subit des variations brusques (qui peuvent expliquer les accidents vasculaires, ramollissements ou infarctus) survenant au cours du sommeil » 1984 (16). Le père du stress, Hans Selye, avait recours à la métaphore d’une chaîne que l’on étire par chacun des deux bouts pour évaluer sa résistance, « C’est le maillon le plus faible qui va céder et non un autre ».
2) Source exogène
Nous avons pensé que ce stress inné, auto-produit intrinsèquement par le cerveau, l’enfant pouvait le ressentir également émotionnellement et en garder l’expérience éprouvante en mémoire (33). Nous avons également pensé que la mémorisation de ces « stress » innés liés à une sorte de « majoration » des énergies neuroniques (innées) lors du sommeil agité (ou sismique) pouvait se conjuguer par transduction et sommation aux énergies (électriques ou chimiques) suscitant des sensations stressantes majorées par la peur du bébé de se retrouver seul, dans le noir, et concourir à une sorte de « chaos » énergétique intérieur endogène du fait d’absence de régulation environnementale (Les enfants dorment majoritairement isolés de leurs parents, ce qui n’est pas le cas en Afrique ou en Inde.) Cette peur acquise devrait être considérée en elle-même comme un état mental doté d’intentionnalité intrinsèquement capable d’engendrer une dissociation chez le bébé, dissociation entre son besoin et sa peur de dormir, et par la suite entre son désir-plaisir de dormir (qui n’arrive pas vraiment à s’établir) et sa contrainte apeurée à dormir. Il faut savoir que dès que vous allumez la chambre du bébé le trop plein d’énergie en phase sismique devrait s’échapper instantanément et l’organisme se réguler immédiatement dissipant la dissociation physiologique. Ceci explique que certains pédiatres préconisent de laisser une petite lumière allumée réduisant la peur du bébé. Sur le plan organique une telle émotion devrait modifier rythmes cardiaque et pulmonaire. Ces ruptures de régularité peuvent être assimilées à ce qu’Albert Goldbeter, spécialiste international des biorythmes nomme par de « l’incertain ». « Des neurotransmetteurs, telle l’adrénaline, dit-il, sécrétés en réponse à des stimulations émotionnelles, altèrent la perméabilité de canaux ioniques impliqués dans la genèse du potentiel d’action cardiaque et, ce faisant, réduisent l’intervalle entre deux potentiels successifs, ce qui a pour effet d’accélérer le rythme ; D’autres neurotransmetteurs, comme l’acétylcholine, sécrétés en réponse à d’autres stimuli, par exemple en situation de peur, ont l’effet inverse et décélèrent le rythme cardiaque, au point parfois de le supprimer (cf. l’expression « mourir de peur »). De manière similaire le rythme de la respiration s’accélère ou se ralentit en fonction des besoins ou sollicitations de l’organisme. Les machines répétitives changent ainsi de fréquences dans la surprise ou dans l’effort… Une intensité accrue des stimuli reçus par les organes sensoriels se traduit ainsi par une augmentation de la fréquence des trains de potentiels d’action transmis vers le cerveau ». (2001, (12), pp 126-127). Citons également J-P Changeux sur ce même thème de la transduction chimique et électrique au niveau cérébral : « Parfois, le neurotransmetteur déborde de la synapse ; il diffuse à des distances plus grandes et atteint de vastes populations de neurones. Voilà qui peut concourir à des processus physiologiques de grande ampleur tels que ceux qui se produisent à l’échelle du cerveau dans les phénomènes d’éveil ou de sommeil, dans l’effort mental ou les émotions », (6, p 33).
Quand les parents dorment avec leur bébé, et que celui-ci est à portée de main de la mère (ou du père ?) dans un lit séparé, il a été montré dans des conditions très codifiées expérimentalement que les parents observés adoptaient des comportements de régulation de leur bébé sans se réveiller eux-mêmes ainsi que l’enfant. Il est intéressant de relever que dormir avec son enfant en bas âge appelé actuellement aux USA le « co-sleeping » devient une pratique de plus en plus répandue (15). On peut penser que cela procède d’une régulation intuitive et spontanée des parents, en quelque sorte liée au « bon sens ». Pratique dont les mères africaines, indiennes ou asiatiques semblent s’être aguerries depuis longtemps (Voir sur ce point les travaux d’Hélène Stork (34). Le co-sleeping deviendrait-il une nouvelle norme ? Co-sleeping but not in the same bed !
La mort surviendrait mettant fin au stress de ces deux sources désorganisantes : le cerveau est embrasé, la demande alimentaire des neurones accélère le cœur et les poumons, la peau dégage de la sueur du fait de l’excès de température crânienne et la mort peut survenir. Notons que la définition du stress est proche de cette description : « toutes demandes faites à l’organisme » avons-nous déjà vu. Et ces demandes seraient excessives par rapport aux possibilités organico-psychologiques du bébé qui présenterait des difficultés pour y faire face. Cette hypothèse ne devrait pas culpabiliser les parents car elle touche plus nos modes de vie qui ne seraient pas pensés consciemment en fonction des besoins des bébés et cela apparaît d’autant plus évident que nous découvrons la richesse des équipements qui fondent la sensorialité du bébé pratiquement opérationnelle dès la naissance, (sur ce point voir les travaux d’Antonio Damasio, Jean Decety et encore ceux de Christian Marendaz (29)).
Nous aurions donc la conjonction de ces deux sources de « stress », compte tenu des capacités sensorielles et discriminatives (28-29) du bébé liées à son équipement sensoriel extrêmement sophistiqué sélectionné par l’évolution, d’une part, et d’autre part l’incapacité adaptative du nouveau-né de faire face à cette forte demande de stimulation cérébrale, majorée par une angoisse acquise liée à la peur du noir et à la remémoration immédiate de sa solitude dans sa chambre ressentie négativement. Une recherche ultérieure pourrait consister à tenter d’objectiver le vécu de ce sentiment compte tenu des travaux récents sur l’empathie. Tout d’abord abordons le thème complexe des oscillations cérébrales, une pierre de touche dans nos considérations.
Le mystère des oscillations cérébrales
Le domaine de l’étude des oscillations et synchronisations cérébrales est effectivement particulièrement complexe. Il est conseillé de tenter de s’en faire une idée globale avant d’entrer dans le détail de l’approche analytique. On peut se reporter à l’article de Christiane Holzhey qui dresse l’état des recherches sur ce thème : « Le mystère des oscillations cérébrales », 1993 (14).
Pour approcher ce mystère, nous allons tenter de nous « décentrer » par rapport à notre sujet d’étude et regarder délibérément « à côté ». J-P Changeux et A Connes dans leur dialogue diraient des chercheurs : « Ils font des incursions dans des territoires étrangers au problème, tournent, contournent et bifurquent… pour parvenir finalement au but » C’est ce que nous espérons.
Des rapprochements peuvent-ils être établis entre « l’embrasement neuronal » déjà postulé, qui pourrait être sous-jacent à plusieurs troubles graves tels que 1) les convulsions néonatales (CNN), et 2) les terreurs nocturnes associées ou non à certains « désordres » dits « épileptiques » dans leurs formes ? Nous limiterons notre incursion à ces deux domaines de recherche pour avancer des questions que nous pensons proches de celles que soulève l’énigme de la mort subite du nourrisson. Nous cherchons à savoir si le principe de cet embrasement neuronal se retrouve dans d’autres manifestations saines ou pathologiques. Autorisons-nous ces incursions uniquement à des fins de questionnement.
1) Les convulsions néonatales (ou CNN)
Conventionnellement définies comme survenant dans les quatre premières semaines de vie, les convulsions néonatales constituent une pathologie neurologique fréquente : de 0,2 à 1,4% avec un taux élevé de mortalité (15%) et de séquelles neurologiques (35%) ou épileptiques (7 à 20%).
Il est connu depuis longtemps que l’immaturité cérébrale (structures hémisphériques non myélinisées, substances profondes immatures, etc.) explique la différence clinique d’expression des CNN par rapport à celle de l’enfant plus âgé. Selon le Dr Abderraouf Chabchoub (Tunisie) : « Les convulsions chez le nouveau-né sont difficiles à reconnaître du fait de leur caractère subtil et anarchique, mais l’utilisation de l’enregistrement EEG polygraphique couplé à des vidéos, les études tomographiques (CT Scann, IRM) et les techniques de l’imagerie fonctionnelle, ainsi que les observations cliniques détaillées, ont conduit à revoir la classification de ces crises et à poser une question essentielle : celle de leur nature épileptique ou non. »
Le terme de convulsion est employé pour désigner tout comportement anormal et paroxystique réalisant des mouvements brusques et involontaires de la musculature striée. Il peut s’agir de convulsions épileptiques ou non épileptiques (souvent occasionnelles).
Une crise épileptique est l’expression clinique d’une décharge hypersynchrone, qu’elle soit convulsive ou non. Si elle se répète, le risque de chronicisation serait à craindre car depuis les travaux du chercheur Yézékiel Ben-Ari et de son équipe (INMED de Marseille-directeur de recherche à l’INSERM Unité 29), une vision circule selon laquelle « la crise engendre la crise ». Et nous rejoignons le versant de la maladie. Une épilepsie pathologique est actuellement définie par la récurrence des crises épileptiques avec des modifications intercritiques, un âge de début et une évolution. Quant à l’étiologie (ou les étiologies ?) des crises d’épilepsie, nous devrions progresser sur ce terrain avec l’apport des travaux de l’équipe de Marseille (voir (2) et (23)). Selon ce chercheur les crises proviendraient d’un déséquilibre entre excitation et inhibition dans un segment-clé du neurone, la dendrite. Un grand pas semble être franchi dans la compréhension d’une forme fréquente et grave d’épilepsie, l’épilepsie temporale qui représente 25 à 30 % des cas d’épilepsie. C’est la forme de la maladie la plus fréquente chez l’adulte – l’épilepsie, dans ses différentes formes, touche 1 % de la population générale. En étudiant un modèle de cette maladie chez le rat, l’équipe de Yézékiel Ben-Ari montre que les crises sont dues à un déficit d’inhibition de certains neurones du cerveau, les neurones pyramidaux de l’hippocampe, la région du cerveau atteinte dans cette épilepsie. Fait important : ce déficit d’inhibition touche sélectivement les dendrites de ces neurones. Les synapses inhibitrices de ces dendrites pourraient représenter, à l’avenir, une cible prioritaire des médicaments anti-épileptiques.
La question que nous aimerions poser à ce chercheur serait de lui demander si la défaillance de l’inhibition serait d’ordre pathologique ou au contraire liée à une trop grande intensité de stimulation en amont de ces dendrites difficilement régulée par celles-ci ?
Autre question : Des formes d’épilepsie touchent-elles, les tout jeunes enfants ?
Nos connaissances sont très limitées mais il est peut-être intéressant de mettre en parallèle ce point de vue selon lequel « la crise entraîne la crise » avec nos déductions concernant l’enfant en bonne santé et heureux de vivre, lorsque nous disions : « Le développement de l’enfant entraîne son développement » (27)… Est-ce un antidote au chaos entropique ?
2) Les terreurs nocturnes
La fréquence des terreurs nocturnes répétitives se situe entre 1 et 3 % chez l’enfant de moins de 15 ans. Leur fréquence est un peu plus élevée, 6 %, chez les enfants d’âge préscolaire. Selon Marie Josèphe Challamel (France CNRS-Lyon) : « Elles sont en fait probablement beaucoup plus fréquentes chez l’enfant de moins de deux ans, mais passent inaperçues, les parents et les médecins trouvant tout à fait normal qu’un nourrisson se mette à hurler brutalement au cours de son premier sommeil. Les terreurs nocturnes sont plus fréquentes chez les garçons et chez les enfants ayant des difficultés psychologiques. Elles sont favorisées par le stress, la fièvre, les rythmes de sommeil irréguliers » (4). Nous ne pouvons pas nous empêcher d’envisager, encore une fois, l’hypothèse de la présence d’une hyper-excitation cérébrale sous-jacente à ces manifestations chaotiques.
Classiquement, les terreurs nocturnes surviennent une à trois heures après l’endormissement ; elles peuvent survenir au cours d’une sieste longue. L’épisode est généralement unique. L’enfant s’assoit brutalement sur son lit, les yeux grands ouverts, fixes, en mydriase ; il hurle, est très érythrosique, plus rarement pâle ; l’on constate une tachycardie, une pilo-érection, une hyper-sudation, des difficultés respiratoires. L’enfant peut prononcer des paroles incohérentes, on ne peut pas le réveiller, il se débat quand on le touche. Ces épisodes durent de quelques secondes à parfois plus de 20 minutes.
Du côté des parents. Pour calmer un enfant agité par des terreurs nocturnes (ou des cauchemars), la très grande majorité des parents éclairent la chambre de façon que l’enfant ouvre ses yeux. Les parents le prennent dans leurs bras pour qu’il s’y blôtisse et d’une voix calme disent quelques mots apaisants. Généralement, après un bercement, l’enfant se rendort. La plupart des parents agissent ainsi.
A partir de cet empirisme parental, cherchons à explorer rationnellement les bases de leur attitude et de leur intuition. Ne sommes-nous pas dans le registre de l’empathie ? Que se passe-t-il sur le plan théorique ? Notre vision nous amène à analyser cette interaction de cette façon : Relié au parent par l’intermédiaire de ses sens, l’enfant se décharge de ses énergies sismiques ou chaotiques mobilisées pendant les terreurs nocturnes qui se trouvent ainsi drainées à l’extérieur du corps (26). On peut parler d’accordage inconscient entre le parent et l’enfant agité. Nous pourrions parler de « régulation thermodynamique » sur le plan biologique et le parent exercerait sa « fonction contenante » sur le plan psychique selon D. Meltzer ou W.R Bion (voir l’ouvrage « Naissance à la vie psychique » d’Albert Ciccone et Marc Lhopital (7) qui fait le point sur cette question). Ces attitudes parentales inconscientes de régulation et d’accordage ne correspondent-elles pas au savoir intérieur de chacun, fruit de sa propre expérience mémorisée de confrontation avec ses propres rythmes cérébraux chaotiques ?
Ces deux domaines d’étude, les convulsions néonatales et les terreurs nocturnes, nous permettent de relever des signes communs que nous retrouvons avec le « phénomène » de la mort subite du nourrisson, soit : 1) des oscillations chaotiques, 2) des perturbations neurovégétatives se traduisant par une accélération cardiaque et pulmonaire et enfin 3) une hyper sudation profuse, pour ce qui est du ressort de variables observables.
Nous sommes donc amenés à suggérer à la communauté scientifique d’envisager une étude comparative rigoureuse entre ces différents troubles chaotiques (dont la liste n’est pas exhaustive et pourrait s’étendre à certaines parasomnies) sans pour autant nous éloigner du vécu de l’enfant. En d’autres termes, il s’agirait de réévaluer la dimension subjective liée à l’expérience de l’épreuve de ces troubles graves. Il n’est peut-être pas juste de dire que ces enfants ne se souviennent pas de ces moments, le lendemain à leur réveil. Ne pouvant pas mettre de mots pour exprimer leurs ressentis, ils restent muets.
Présentons également une autre démarche de « décentration » du fait de nos précédents travaux (27). Par une double approche du psychisme, d’une part, clinique au travers des rêves, des cauchemars et certaines bouffées délirantes (non psychiatriques) et, d’autre part, par une approche transversale dans l’articulation du biologique, de l’affect et de la culture, nous avons été amené à envisager l’hypothèse d’une « intelligence » inconsciente du psychisme. Elle se manifesterait, par exemple, lors de rêves considérés comme anticipant une réalité comportementale. Nous avons voulu interpréter ces rêves comme des scénarios d’intentionnalité que le cerveau pré-élaborerait par projection onirique avant que la polarité consciente du sujet (rêvant) ne réalise (éventuellement) le contenu du rêve. Les images véhiculées dans ce type de rêve sont considérées comme des images motrices porteuses de dynamisme et d’orientation du psychisme selon une logique adaptative par tâtonnements. Dans cette même vision, il est maintenant admis que le cerveau serait capable d’élaborer des hypothèses et cela dès la tendre enfance, inconsciemment. Pour Joëlle Proust (directeur de recherche au CNRS) « Les auteurs se distinguent sur la question de savoir quelle part joue l’équipement biologique dans l’apparition de la théorie de l’esprit, c’est-à-dire de la psychologie ordinaire. Certains voient dans l’enfant un «petit savant » qui utilise les données disponibles pour faire des hypothèses théoriques sur le rôle causal des états mentaux inférés, et passe d’une théorie à une autre en utilisant les mécanismes habituels de la réfutation d’une hypothèse par les observations » (31). Le nourrisson possèderait des capacités inconscientes à projeter des intentions durant son éveil et son sommeil, sur des images « externes » des différentes personnes qui l’entourent. Les parents seraient des « supports » d’imitation et d’identification ; mais aussi de projection dans l’interaction bébé-parent(s). Ce qui rendrait le nourrisson d’autant plus dépendant de ces « images ». Les hallucinations, les rêves, s’alimenteraient progressivement d’images mentales, de représentations, de souvenirs fournissant des vecteurs d’expression à l’imaginaire de l’enfant en devenir dynamisant ou non son psychisme avec toutes les nuances que nous pourrions imaginer entre ces deux éventualités (« dynamiser » dans le sens de renforcer les potentialités actives innées de l’organisme). Nous débouchons sur une logique darwinienne du psychisme (27).
Nous suggérons donc à la communauté scientifique des chercheurs en sciences expérimentales de tenir compte de cette éventuelle sensibilité et de ces capacités du nouveau-né et du nourrisson. Sensibilité singulière que les chercheurs cliniciens des sciences humaines ne peuvent pour l’instant que révéler au travers d’études de « cas » étant donné cette dimension « subjective – sensible » difficilement objectivable. Celle-ci est cependant essentielle, à n’en point douter, lorsque l’on cherche à approcher singulièrement les affects des bébés et des nourrissons. Dès lors la question de la mémoire du nourrisson est posée.
La question de la mémoire et de la dynamique de la perception
Avant d’évoquer les spécificités des capacités de la mémoire des bébés et des nourrissons, nous signalons que nous nous référons à une conception dite du « connexionisme radical » qui interviendrait dans l’activation spontanée de la mémoire, dans sa dimension innée et par la suite en intégrant une dynamique perceptive co-déterminée entre l’organisme et l’environnement (ou le contexte), dans sa dimension acquise. « Un connexionisme radical, sans computation ni représentation symbolique, est-il donc possible ? » se demande Guy Tiberghien, spécialiste français de la mémoire (35). Voici sa réponse : « Des réseaux de neurones biologiquement plausibles pourraient avoir cette propriété.» C’est un premier point. « Construire un modèle réaliste de la mémoire sémantique exigerait alors de prendre en compte l’aspect dynamique de l’activité cérébrale et la différenciation de groupes de neurones sur la base de la synchronisation de leur activité », 1997 (34). Avant de suggérer le principe de l’implication du chercheur (à la première personne) par une approche clinique et singulière au niveau d’un enfant et de sa famille précisément, il est nécessaire de rappeler les récentes découvertes concernant la mémoire qui se codifie dès le stade fœtal. On peut se reporter à l’article de synthèse « Les souvenirs des nourrissons » publié dans la revue « La recherche » (33). Nous noterons que les nourrissons dès deux mois sont capables de se souvenir de certains éléments pendant des semaines voire des années en particulier quand ils ont pris une part active (33, p.737) (c’est nous qui soulignons). Maintenant tentons de nous mettre, par empathie, à la place du bébé pour aborder la dimension « sémantique » de sa mémoire autour des rituels du coucher. Lorsque celui-ci s’apprête à être couché sa perception de la nuit et la mémorisation du souvenir stressant et angoissant qui lui serait liée reviendraient à la « conscience » du bébé sans qu’il puisse agir pour mettre un terme à cette angoisse. Il ne serait pas acteur de son désir de dormir. Rappelons la définition que donne Henri Laborit de l’angoisse : « l’incapacité de maîtriser une situation » (21). Ne pouvant ni fuir, ni lutter, le nourrisson subit son angoisse et mémorise le contexte de cette angoisse. La notion de contexte est importante dans le processus de réactivation ou de rappel de la mémoire. Pour certains enfants s’endormir peut être effectivement un véritable drame. En se référant aux récentes recherches sur la mémoire des nourrissons relevons cette conclusion de Carolyn Rovee-Collier et Scott A.Adler : « Si les souvenirs n’ont pas besoin d’être directement réactivés pour être rétablis, on peut penser que dans le cours normal de leurs rapports avec leur environnement, les nourrissons (et les sujets plus âgés) peuvent rencontrer des éléments de rappel qui non seulement déclenchent des souvenirs dans lesquels ces éléments sont directement représentés, mais d’autres souvenirs qui, dans la mémoire, leur sont associés. Bien que la réactivation indirecte augmente le nombre de réponses dont le nourrisson peut disposer pour faire face à des situations apparentées, elle accroît aussi la possibilité que les souvenirs indirectement réactivés se voient modifiés en fonction des circonstances au moment du rappel » (33, p. 738). G. Tiberghien confirme également cette émergence spontanée de souvenirs dans le processus de remémoration : « Un tel réseau ne transformerait pas alors un input en out-put, par un processus représentationnel, mais serait un processus auto-organisateur, contraint par ses propres sorties et soumis à des modulations internes. La cognition se décrit, dans ces conditions, comme un processus holistique d’auto-adaptation, un système dynamique non linéaire évoluant dans un espace multidimensionnel. Le système nerveux n’est plus un système computationnel car il évolue dans un hyperespace d’états qui possède une dimension fractale », (34, pp.158-159). Nous avons l’intime conviction aiguisée par empathie (seulement) que ce processus auto-organisateur pourrait se retourner en son contraire et devenir « auto-désorganisateur » du fait de l’état mental angoissé du bébé doté d’intentionnalité réactionnelle s’opposant à celle, liée à l’homéostasie, ancrée dans la survie du corps qui serait « chargée » de tenter de rétablir l’autopïèse, ce qu’Henri Laborit résumait par cette phrase : « La seule raison d’être d’un être, c’est d’être, c’est de maintenir sa structure.»
C’est un tel connexionisme radical que défend depuis plusieurs décennies Francisco Varela quand il suggère de substituer le concept d’ énaction au concept de cognition : « La cognition, loin d’être la représentation d’un monde préformé, est l’avènement conjoint d’un monde et d’un esprit à partir de l’histoire de diverses actions qu’accomplit un être dans le monde.», (c’est nous qui soulignons), (Varela, 1993 (36), p.35). « C’est une toute autre conception de la mémoire, encore largement spéculative, mais qui n’est pas incompatible avec de nombreuses propriétés du cerveau », dit Tiberghien, 1997 (43), p.159.
L’hypothèse de l’autorégulation ou de l’autodérégulation spontanée neuronale prendrait donc appui sur l’aspect dynamique de l’activité cérébrale et la différentiation de groupes de neurones sur la base de la synchronisation – désynchronisation cérébrale et du rétablissement de l’homéostasie. Le mécanisme n’est pas encore connu mais malgré sa connaissance objective, F. Varela postule que ce mécanisme ferait partie des possibilités neuroniques d’énacter une information ou un état mental (voir aussi 27-36). Cet état mental, dans le cas de la mort subite du nourrisson, mobiliserait des ressources adaptatives au-delà du physiologique d’un organisme encore immature. « Quelque chose s’épuise », pourrait dire H. Selyé spécialiste du stress et de rajouter : « Nous lui avons donné un nom sans savoir ce que c’est : l’énergie d’adaptation.»
La question de fond sur le plan clinique, du côté du corps serait celle-ci : une sorte « d’embrasement neuronal » peut-il survenir lors d’un tel sommeil agité et créer une forte transpiration, engendrant une double accélération cardiaque et pulmonaire ? Un pédiatre hospitalier et chercheur belge, le professeur André Kahn (19) présent lors de ce colloque e l’association « Naître et Vivre » (évoqué plus haut), a en quelque sorte renforcé notre hypothèse en apportant une information clinique : « Les enfants hospitalisés d’urgence dans son service après décès (amenés d’urgence par le SAMU ou par police secours) semblent avoir transpiré abondamment et présentent un taux d’hydrométrie spécifique sur la surface de la peau, à la tête et au cou et cela est d’autant plus visible qu’ils sont amenés rapidement au centre de référence hospitalier. » (Communication personnelle au Forum « Naître et Vivre » du 15.10.1988), (37). La constatation empirique de cette transpiration excessive, qui demande à être confirmée statistiquement, ne semble pas incompatible avec l’idée « d’embrasement neuronal » et ses conséquences, selon notre hypothèse. Nous relevons sélectivement des travaux du pédiatre présentés lors de cette rencontre : « Une étude comparative, sur la base d’un questionnaire adressé aux parents d’enfant jumeaux dont l’un est décédé de mort subite et à 42 autres issus de familles sans M.S.N. Très peu de variables, parmi la soixantaine étudiée, différencient les groupes ». Toujours selon A. Kahn, « Une forte sudation profuse est cependant notée chez 9 enfants décédés, jamais chez les témoins. Par sudation profuse, il faut entendre une sudation telle que l’enfant est retrouvé trempé « comme s’il sortait du bain », au point que parfois les parents disent se lever pour le changer », (37). A la suite de ces travaux publiés dans la revue « Pediatrics » (18) la communauté des chercheurs a admis que le bébé pouvait difficilement respirer, couché sur le ventre. Il devait désormais être mis sur le dos ou sur le côté, ce qui a fait diminuer de 50% environ le taux de mortalité (25). Y aurait-il d’autres possibilités d’avancer sur ce terrain qui soulève selon nous une défaillance adaptative du bébé à un stress organique, associée à un état mental angoissé de se retrouver seul, conjuguée à une difficulté perceptive environnementale (parentale) fortement influencée par le contexte culturel ?
Où se loge le bon sens ? Nous serions tellement peu conscients de la sensorialité discriminante du bébé (28-29-6 notamment) et de ses capacités perceptives qui l’aideraient à appréhender l’aspect agréable ou désagréable de ce qui lui arrive dans sa quotidienneté que nous aurions sous évalué la peur acquise de certains bébés, très excités par ailleurs sur le plan neuronal durant leur nuit. Cette conclusion, en quelque sorte marquée semble-t-il par un certain bon sens et une simplicité déductive, peut paraître improbable pour expliquer le phénomène brutal dans ses modalités expressives de la mort subite du nourrisson.
Les récentes découvertes sur les bases neuronales de l’empathie devraient conduire les chercheurs de métier de réenvisager la question compte tenu des constations cliniques du Professeur Pascal Bousquet (38) qui rajoute au tableau clinique l’activité exagérée du nerf vague. Le nerf vague est un nerf freinateur du cœur qui, lorsqu’il fonctionne exagérément, peut mener à des ralentissements très importants du rythme cardiaque, voire à des arrêts cardiaques.
Les chercheurs ont ainsi détecté une anomalie consistant en une augmentation très significative du nombre de ces récepteurs muscariniques dans les cas de mort subite par rapport à des prélèvements effectués sur des cœurs d’enfants décédés de causes connues non cardiaques, par exemple traumatiques.
L’anomalie découverte permet de suggérer que ces décès pourraient être précisément associés à des activités anormalement élevées de ce nerf freinateur au niveau cardiaque
L’originalité et l’intérêt majeur des ces travaux strasbourgeois résident dans la perspective de l’identification de marqueurs de risque et de la possibilité d’un dépistage très précoce de cette anomalie (dès les premiers jours de vie) à partir d’un simple échantillon sanguin.
L’activité excessive du nerf vague est-elle une cause ou une conséquence de ce syndrome ? Telle est la question que nous aimerions poser au Professeur.
Il semble évident que les chercheurs ont presque unilatéralement envisagé une cause organique pathologique pendant plusieurs décennies. Notre hypothèse qui avançait la notion d’unicité biologique de l’enfant fut mal perçue en 1988. Un enfant est pourtant unique et ses rythmes (cérébraux notamment) devraient être uniques. Les parents qui dorment avec leur bébé apprennent par empathie à le connaître pendant son sommeil dans les cultures où parents et enfants ne sont pas séparés lors des premiers mois du bébé. L’unicité de leur enfant, ils l’abordent de cette manière et cela implique le préjugé de regarder l’enfant singulièrement biologiquement et ensuite singulièrement en fonction des propres expériences de l’enfant, voire même aussi de son expérience intra-utérine car il aurait acquis certaines des habitudes de sa mère ! Pourquoi certains enfants sont-ils angoissés dès que l’idée de se coucher advient alors que d’autres trouveraient, on pourrait dire, un certain plaisir à s’endormir ? Les chercheurs en laboratoire n’envisagent pas facilement de pénétrer l’intimité de la psychologie du bébé à la première personne et donc de la famille. Il faut dire que cette investigation est sérieusement complexe. Elle est même considérée par certains scientifiques comme « subjective » dans un contexte où le courant des « neurosciences affectives » (17) est minoritaire pour ne pas dire marginal.
Frédéric Paulus, Docteur en psychologie, psychothérapeute
C.E.V.O.I. – Centre d’Etudes du Vivant de l’Océan Indien – ÎLe de La Réunion.
Article initialement publié dans : http://www.admiroutes.asso.fr/larevue/2002/27/msn.htm
Article revu le 3 janvier 12 compte tenu des travaux du Professeur Pascal BOUSQUET.
Bibliographie
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(3) Bradley. T., Sleep, sleep position, and the sudden infant death syndrome : To sleep or not to sleep ? That is the question, The Journal of Pediatrics, p. 793-795, June 2001, vol 138, n° 6.
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(16) Jouvet. M., Eveil, sommeil, rêve, Le courrier du CNRS, n° 55, France, Editions du Seuil, 1984.
(17) Karli. P., Le cerveau des affects et des émotions, p. 97-111, Le cerveau, le langage, le sens, Volume 5, in Université de tous les savoirs, France Editions Odile Jacob, 2001.
(18) Kahn. A., MD . Van de Marckt., Dramaix. M., Magrez.P., FNRS Fellow, Blum. D., MD, Rebuffat. E,MD, & Montauk. L., Transepidermal Water Loss During Sleep in Infants at Risk for Sudden Death, « Pediatrics », pp. 245-250, Vol 80 No. 2 august, 1987.
(19) Khan. A., Le sommeil de votre enfant. Santé au quotidien, France, Editions Odile Jacob, 1988.
(20) Kondepudi. D. & Buhse. T., Hasards et réactions chimiques de non-équilibre, pp. 119-139, in L’homme devant l’incertain, sous la dir d’Ilya Prigogine, France, Editions Odile Jacob, 2001.
(21) Laborit.H., L’inhibition de l’action, France, Editions Masson, 1981.
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(23) Lunhmann HJ., Dyhala VI., & Ben-Ari Y., Generation and propagation of 4-AP-induced epileptiform activity in neonatal intact limbic structures in vitro. Eur J Neurosci., 2000, 12(8): p. 2757-68.
(24) Mansuy. I., Des cascades moléculaires pour apprendre et mémoriser, (présentation du Prix Nobel de Médecine Eric Kandel), P. 1296-1297, médecine/sciences n° 11, vol. 16, novembre 2000.
(25) Paris. C., Remler. R. & Daling. J., Risk factor sudden infant death syndrome : Changes associated with sleep position recommendations, The Journal of Pediatrics, p. 771-777, December, 2001, vol 139, n° 6.
(26) Paulus.F., La santé et les besoins essentiels des enfants, France, Editions Empirika, 1987, (épuisé).
Cet ouvrage suggérait (autant que faire se peut) de fonder l’éducation de l’enfant, dès son plus jeune âge, sur le corps par le ressenti, l’éprouvé et le recours réflexif que procurent les sensations, en d’autres termes un recours constant à l’intelligence naturelle du corps. L’hypothèse explicative portant sur la MSN telle qu’elle est présentée ici, dans cet article, est développée dans cet ouvrage suivant les mêmes préjugés initiaux compte tenu des connaissances de l’époque.
(27) Paulus. F., Individuation, énaction, émergences et régulations bio-psycho-sociologiques du psychisme, Thèse de Doctorat de psychopathologie fondamentale et psychanalyse de l’université de Paris 7, Denis Diderot, soutenue en juin 2000.
(28) Premack, D. « The infant’s theory of self-propelled objects ». Cognition 36: p. 1-16, USA, 1990. Les capacités discriminatives du bébé basées sur son équipement sensoriel lui permettraient d’évaluer l’aspect agréable ou désagréable des situations où il est impliqué. De très nombreuses recherches convergent depuis ces dix dernières années vers cette nouvelle perception. Le bébé serait comme un « psychologue » doté d’un sens aigu discriminant : ce qui est agréable est synonyme de bon donc de bien pour lui, ce qui est désagréable de mauvais, donc de mal. Ces capacités fonderaient selon les éthologues le sens moral du bébé (selon David Premack par exemple). De nombreux auteurs francophones ont contribué à enrichir nos connaissances dans le domaine des possibilités et capacités sensorielles précoces des bébés fondant la notion de sensorialité discriminative, on peut citer Boris Cyrulnik, Jacques Melher et Emanuel Dupoux, Roger Lécuyer, Hubert Montagner, Vivianne Pouthas et François Jouen… On peut aussi se reporter à l’ouvrage de Paul Churchland, Le cerveau, moteur de la raison, siège de l’âme, particulièrement le chapitre 2 « Représentation sensorielle : « L’incroyable puissance du codage vectoriel », p. 35 à 48, Belgique, Editions De Boeck, 1998.
(29) Decety. J., L’empathie est-elle une simulation mentale de la subjectivité d’autrui ?, in L’Empathie, in Berthoz. A ., et Jorlan. G., Odile Jacob, 2004, p. 53-88. Damasio. A., L’autre moi-même, Les nouvelles cartes du cerveau, de la conscience et des émotions, Paris, Odile Jacob, 2010. Marendaz. C., du regard à l’émotion : la vision, le cerveau, l’affectif, Ed du Pommier, 2009.
(30) Prigogine. I., La fin des certitudes, temps chaos et lois de la nature, France, Editions Odile Jacob, 1996.
(31) Proust. J., La mentalisation comme élaboration ou application d’une « théorie », pp.4-6, in Grivois. H. & Proust. J., Subjectivité et conscience d’agir, France, Editions des Presses Universitaires de France, 1998.
(32) Queiros-Conde. D., Principe de conservation du flux d’entropie pour l’évolution des espèces, pp. 445 à 449, Comptes Rendus de l’Académie des Sciences, France, Paris, Série II. Tome 330, N°6, 30 mars 2000.
( 33) Rovee-Collier. R.,& Adler. Scott A., Les souvenirs des nourrissons, pp 736-741, La recherche, 267, juillet-août, 1994.
(34) Stork. H., Bercements, berceaux et berceuses, Un éclairage transculturel, in Dossier « La nuit » Revue : « Enfance et Psy », n° 10, 2000, Editions Eres, Toulouse, France. L’auteur montre les différentes pratiques autour du coucher et de l’endormissement. Que ce soit en Afrique, en Inde ou en Chine, les pratiques d’endormissement impliquent une forme de promiscuité. Par exemple, au japon « dormir-ensemble », chacun disposant d’un matelas individuel (futon) est la règle… Le berceau en France tendrait à disparaître. La lecture de l’ensemble des articles est recommandée.
(35) Tiberghien. G., La mémoire oubliée, Belgique, Editions Mardaga, 1997. Tiberghien, G. La mémoire humaine: Connaître ou se souvenir ?, pp. 139-152, sous la dir de Gordon, M.B., & Paugam-Moisy. H., Sciences cognitives : Diversité des approches, France, Editions Hermès, 1997.
(36) Varela J. F., Thompson. E, & Rosch. E., L’inscription corporelle de l’esprit, France, Editions Seuil, 1993.
(37) Fédération « Naître et vivre », 5, rue La Pérouse, 75116, Paris. Notes relatives à l’intervention d’André Kahn rédigées par J. Honoré et de G. Kieffer, extraites du compte-rendu du colloque du 15/10/1988.
(38) Bousquet P, Laboratoire de Neurobiologie et Pharmacologie cardiovasculaire / LNPCV
FACULTE DE MEDECINE – 11, rue Humann – 67085 STRASBOURG CEDEX
courriel : Contact presse Recherche Pellon Isabel, Service de la communication, isabel.pellon@unistra.fr .
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