11 / RETOUR AU ROND-POINT DES ZAZALÉ, ÉPICENTRE DE LA COLÈRE RÉUNIONNAISE
Cette semaine qui précède le second tour des élections législatives précipitées, nous nous retrouvons en un lieu symbolique de la colère réunionnaise : le rond-point du QG des Zazalé. Ranïa, étudiante, Zavyé Rivir, historique des Zazalé, Guillaume Aribaud et Mathieu Raffini, militants décoloniaux, expliquent en quoi les discours anti-coloniaux et anti-fascistes sont inséparables.
Le mouvement des Gilets jaunes, particulièrement puissant à La Réunion, s’est ancré sur le rond-point tamponnais des Zazalés. Ce QG a vu affluer toutes les couleurs de la colère réunionnaise, mais aussi un vaste élan de solidarité. Cinq ans après, qu’exprime-t-il vis-à-vis de la montée des idées d’extrême droite. En tout cas, pas de compromission avec le fascisme et un besoin de clarification du discours décolonial.
Mardi soir, Zavyé Rivir, historique du mouvman Zazalé, a réuni autour de lui Ranïa, étudiante réunionnaise en histoire contemporaine et militante de l’association d’écologie décoloniale, l’Observatoire Terre-monde, Guillaume Aribaud et Mathieu Raffini, deux militants contre le colonialisme.
Guillaume Aribaud, par ailleurs syndicaliste, s’inquiète depuis de longues années de la montée du fascisme. Il est conscient que lui, homme blanc hétérosexuel, « trahit (sa) race » aux yeux de la peste brune. « Le colonialisme est le fascisme appliqué aux non-Européens », pose-t-il en préambule.
Le canal colonial historique
Pour Mathieu Raffini, on assiste aujourd’hui dans les urnes à une « montée du fascisme et de la fascisation » qui n’a rien d’étonnant. « La droite canal colonial historique rejoint le RN depuis un ou deux ans », constate-t-il. Il parle des héritiers des Gabriel Macé ou Alexis de Villeneuve qui faisaient des saluts nazis du temps du pétainisme. De tout temps il y a eu des représentants d’un « socle suprémaciste blanc qui est la base de l’extrême droite ». Et il fait allusion aux « milices fascistes » qui sont à l’oeuvre aujourd’hui en Kanaky.
Zavyé Rivir a participé aux manifestations lycéennes de 2002 contre la qualification de Jean-Marie Le Pen au second tour de l’élection présidentielle. En 2012, il était encore aux premières loges pour protester contre Marine Le Pen : « li té vyin dir dann télé li vé arèt lapèl la prièr bann zarab larényon ». Il accuse alors les agents de la BAC de l’époque d’avoir fait du zèle pour réprimer violemment la protestation d’une vingtaine d’opposants aux idées d’extrême droite.
Alors que les manifestations contre l’extrême droite ont disparu depuis plus de dix ans, Guillaume Aribaud reconnaît que « domoun angajé lé fèb. Nou lé dan le dur . » Il dénonce les discours glissants vers la xénophobie de Jean-Hugues Ratenon, et le « manque de clarté » en général de la classe politique réunionnaise.
Négationnisme décomplexé
Pas besoin d’être blanc pour avoir un « discours de gros blanc », précise le militant décolonial. Ranïa déplore que les propos de Johny Payet, délégué départemental du RN, affirmant qu’il faut arrêter de commémorer l’abolition de l’esclavage, n’aient pas dissuadé les électeurs réunionnais de voter pour le parti de Marine Le Pen : « Ces discours négationnistes sont proférés de manière de plus en plus décomplexée ».
L’extrême droite a-t-elle noyauté le mouvement des Gilets jaunes? Zavyé Rivir, du QG ds Zazalé raconte comment, en effet, un délégué de la mairie du Tampon (« affiché RN ») avait essayé de mettre la main sur le rond-point des azalés… et comment le collectif dont il se réclame est parvenu à déjouer cette manipulation. « Didier Hoarau (candidat RN!) Tillier (PDG éditorialiste du Journal de l’île), l’extrême droite, zot lé afon si nout tèt. Par réaksyon normal ni èm pa banna non pli. »
Comment lutter contre ? La lutte frontale a clairement montré ses limites. Aussi Zavyé Rivir préfère-t-il combattre en défendant la culture et la langue créole dans les écoles, en protégeant le territoire réunionnais ou en luttant contre la pauvreté.
Jeunesse désillusionnée
Le jeu est cependant brouillé lorsque les candidats du Rassemblement national, notamment Joseph Rivière au Tampon, prétendent, eux aussi, défendre « le peuple réunionnais ». Il ne s’agit semble-t-il pas du même peuple que celui que définit Mathieu Raffini qui insiste sur sa géographie et ses origines africaines.
« Pour se battre contre le racisme, nou lé malizé paske nout fès lé pa propr », lance Guillaume Aribaud qui pourfend également le clientélisme politique adopté par la droite comme par la gauche. « Nou la fé rant le clientélisme partou. Nou la eksplwat domoun avek bann ti kontra la moukat. Dans la situation actuelle, na dé trin i spas par rapport aux élections municipales i ariv. Et sa i tu Anou. »
Où sont les jeunes à la veille de choix politiques majeurs ? « Je n’ai pas l’impression d’une prise de conscience de la part de la jeunesse. Je vois plus de la désillusion et un sentiment de désespoir chez les jeunes qui n’ont aucune perspective d’avenir », se désole Ranïa. « Chez les vieux, lé pa mieux, ajoute Guillaume Aribaud. Mi wa le mouvman sindikal atèr. » Il en appelle à plus de rigueur et de clarté dans les positionnements et à un mode de lutte « plus sexy ».
Humiliation
Zavyé Rivir relève pour sa part un biais inquiétant quant à l’image que dégage la « gauche mainstream » lorsque ses candidats humilient des adversaires du Rassemblement National lors des débats télévisés. « Domoun lé pli dan largumantèr, zot lé dan la projection affective. I pans boug la ou madam la I fé umili ali, amwin lé paray, mwin lé pou fé umili amwin an tan ke ti travayèr, an tan ke moun na pwin travay. »
Le sentiment d’envahissement de La Réunion, à la fois par la « gentrification des Zoreys » et par l’arrivée de Mahorais, sert aujourd’hui d’argument à l’un des candidats de Reconquête (Claude Moutouallaguin). « Kan nou mèt mèm nivo larivé Zorey é larivé maoré anfas, na in gro zafèr pou défrishé. Zot i joué sir santiman la mé lé konplètman alanvèr », lance l’ancien Gilet jaune.
Pour Mathieu Raffini, on ne peut pas mettre sur un même plan « les plus pauvres et les plus noirs » avec « un moun ke na la suprématie blanche pou li avec le capital économique et le capital culturel ». Et de citer Frantz Fanon : « La dernière ressource du colonisé est de défendre sa personnalité face à son congénère. Les luttes tribales ne font que perpétuer de vieilles rancunes enfoncées dans les mémoires. »
« Le kolonizé i sa plant le kolonizé. Mais ou gagne pa fé ryin kontr le kolon, reprend Guillaume Aribaud. Le pouwar lé avek li. Ou Nora jamé in kontrol polisié dan in kartyé gentrifié de l’Ouest. » Il évoque également le « fascisme » importé de Mayotte, un 101e département qu’il considère à « 100% fasciste ». Si on lui parle de racisme anti-zorey, Guillaume Aribaud répond qu’il s’agit d’un « racisme édenté » parce qu’il ne peut pas faire mal. Il ne veut plus esquiver la question : « Ma pa di aou ki fo jèt domoun dan la mer. Mi lé dan èn kestyon politik : èske nou viv ansanm ? Ou èske na domoun i viv ant zot et na dot moun ke lé komunotarizé ? Avek sa ou retrouv aou avek bann fascistes pou fé la polis o milié. »
Le mouvement social en danger
Ranïa voit dans la gentrification par les zoreys un schéma colonial qui persiste et se renouvelle. « Le Réunionnais moyen se sent forcément lésé par un contexte qui ne lui est en rien favorable, d’où ce choix électoral et ce sentiment d’abandon », analyse-t-elle.
Après avoir pointé le fait que la montée du fascisme n’est pas propre à la France et à l’Europe, mais concerne aussi l’Inde et l’Afrique, Guillaume Aribaud, inquiet quant aux résultats du second tour, en appelle à une mobilisation dès le lendemain du 7 juillet, que ce soit la gauche ou l’extrême droite qui l’emporte. Selon lui la mobilisation sera plus facile dans le premier cas alors que dans le second, avec le RN au pouvoir, il faudra s’attendre à une violence capable d’éteindre le mouvement social. « Nou pé avwar dé milis fasis ke va ékraz anou suffisamment pour ke nou i egzis pi. »
Entretien : Franck Cellier
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Colonialisme à La Réunion
Le colonialisme, au sens actuel du terme a été pratiqué notamment sous la Grèce antique et sous l’Empire romain, puis par les pays européens (à la suite des grandes découvertes), entre le xvie siècle et la Première Guerre mondiale. Il a également été pratiqué dans les pays d’Asie, notamment au xxe siècle (expansionnisme de l’empire du Japon en Mandchourie).
Le mot même de colonialisme fait son apparition au xixe siècle au Royaume-Uni6 et entre dans le dictionnaire français au début du xxe siècle. D’abord assez neutre, l’apparition d’un autre néologisme, « anticolonialisme », contribue à amplifier le débat d’idées autour de ces notions7. Après la Seconde Guerre mondiale, il prend une coloration négative alors que la vague d’émancipation des colonies — ou décolonisation — débute en 1947 en Inde et se poursuit principalement tout au long des années 1950 et 1960.
Divers scénarios seront parfois construits par la suite pour pérenniser une certaine tutelle économique des pays colonisateurs[réf. nécessaire]. Le terme de néocolonialisme est alors forgé vers 1960 pour désigner cette nouvelle phase.
Le colonialisme
Colonialisme et fascisme.