La France a historiquement adopté une philosophie d’autodéfense, profondément ancrée dans la pensée du général de Gaulle. Celui-ci refusait que la France intègre le commandement intégré de l’OTAN, car il considérait que notre souveraineté militaire ne devait pas être soumise à des décisions étrangères, notamment celles des États-Unis. C’est dans cette logique qu’il a doté le pays d’un bouclier nucléaire indépendant, garant de notre autonomie stratégique. Cette doctrine de dissuasion a permis de maintenir la paix en Europe depuis des décennies en évitant une trop grande dépendance aux États-Unis.
Dans le même esprit, la France a longtemps cherché à assurer son autonomie énergétique et militaire, bien que ces indépendances soient aujourd’hui largement compromises par des choix politiques successifs extrêmement douteux car obéissant à une logique mondialiste financière.
De Gaulle n’était d’ailleurs pas particulièrement apprécié des autres vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale. Il refusait de voir la France reléguée au rang de simple satellite des grandes puissances, et cette vision d’une nation souveraine contrastait fortement avec celle des Anglo-Saxons, qui voyaient en lui un acteur trop indépendant et imprévisible.
Un changement de paradigme sous Emmanuel Macron
Aujourd’hui, la philosophie stratégique de la France a profondément changé. Emmanuel Macron considère que l’époque impose une union militaire européenne et plaide pour une « puissance militaire commune ». Il souhaite que l’Europe existe en tant que troisième force géopolitique, enchâssée entre les États-Unis d’un côté et les BRICS de l’autre.
Or, cette ambition se heurte à une réalité implacable. L’idée d’une armée européenne de métier a été envisagée depuis les années 1980, mais elle n’a jamais abouti. Malgré quelques exercices conjoints, des centres de formation et des manœuvres symboliques, l’Europe n’a aucune force militaire réellement opérationnelle. Chaque pays conserve sa propre doctrine, ses propres intérêts stratégiques, et les Européens restent largement dépendants des États-Unis pour leur défense.
Pendant ce temps, les tensions géopolitiques s’accélèrent. La Russie est déjà en guerre en Ukraine, la Chine renforce son influence mondiale, et les BRICS contestent ouvertement l’hégémonie occidentale. Pendant que les autres puissances affûtent leurs armes, l’Europe peine à s’organiser et à définir une stratégie claire. Nous sommes encore en train de nous brosser les dents, alors que notre ennemi désigné est sur le terrain.
Le bouclier nucléaire français : une bombe diplomatique
Là où la situation devient explosive, c’est dans la volonté affichée par le dirigeant français de mutualiser la dissuasion nucléaire française au profit de l’Europe. Autrement dit, la France offrirait son parapluie nucléaire pour protéger l’ensemble du territoire européen.
Cette décision, si elle se concrétise, représenterait une provocation directe envers les BRICS, et en particulier envers la Russie et la Chine. Jusqu’à présent, l’arme nucléaire française était une force de dissuasion strictement nationale, calibrée pour défendre uniquement l’intégrité territoriale de la France. L’étendre à l’ensemble de l’Europe transformerait la France en cible prioritaire en cas de conflit global.
Or, l’Europe n’a pas les moyens militaires conventionnels pour soutenir un tel rapport de force. Avant même d’avoir achevé son réarmement, elle deviendra une menace directe pour les BRICS, accélérant ainsi l’échéance d’un conflit majeur.
La troisième guerre mondiale ne viendra pas d’une agression militaire classique, mais d’un déséquilibre stratégique créé par cette extension du bouclier nucléaire français. Face à une Europe non préparée mais affichant une posture de grande puissance, les adversaires n’attendront pas qu’elle soit armée : ils frapperont avant.
Revenir à la doctrine gaullienne avant qu’il ne soit trop tard
Face à ce scénario catastrophe, il semble plus que jamais pertinent de réviser la stratégie française. Avant de vouloir construire une hypothétique armée européenne, la priorité doit être de réarmer la France elle-même.
La doctrine de Gaulle reposait sur un principe simple : ne pas dépendre des autres et ne pas menacer directement les puissances adverses tant que la France est en position de faiblesse. C’était une stratégie d’équilibre, où l’indépendance militaire garantissait la paix, et où la dissuasion nucléaire n’était pas une menace offensive, mais une protection nationale.
Aujourd’hui, au lieu de nous lancer dans un aventurisme militaire morbide, il serait plus sage de sécuriser nos frontières, de renforcer notre armée et de restaurer notre souveraineté militaire. Sans cela, nous risquons de nous retrouver au cœur d’un conflit majeur avant même d’être prêts à le mener.
L’urgence stratégique n’est pas de créer un empire militaire européen chimérique, mais bien de préserver la France et sa capacité à décider de son propre destin.
Et La Réunion dans tout ça ?
Alors que Macron rêve d’une puissance militaire européenne et d’un bouclier nucléaire étendu à tout le continent, La Réunion, elle, se trouve dans une position bien différente. Au milieu de l’océan Indien, l’île est entourée de pays qui sont soit membres des BRICS (comme l’Afrique du Sud), soit des partenaires économiques et diplomatiques privilégiés de ce bloc (comme l’Inde, la Chine ou Madagascar).
Historiquement, La Réunion a toujours été un point de rencontre entre les cultures, un pont entre l’Europe, l’Afrique et l’Asie. Son avenir ne peut donc pas être dicté par une vision zoreil basée sur la confrontation avec ses voisins. Comment, d’un côté, demander aux Réunionnais de développer des échanges pacifiques avec Madagascar, Maurice, l’Afrique australe et l’Inde, et de l’autre, promouvoir une politique extérieure française de confrontation avec ces mêmes nations ?
La Réunion veut exister durablement et humainement cet espace. Elle cultive une philosophie d’ouverture et de coopération, non pas par naïveté, mais par nécessité vitale et au regard de son histoire.
Emmanuel Vals de passage ici doit entendre que l’île n’a pas vocation à être une tête de pont militaire occidentale dans l’océan Indien, mais bien un acteur du dialogue et de la construction d’une humanité india-océanienne. Cela passe par le partage des savoirs, des ressources intellectuelles et scientifiques, et par une intégration régionale basée sur l’échange et la solidarité plutôt que sur des velléités guerrières dictées depuis Paris.
En clair, la stratégie actuelle de la France ne peut pas être celle de La Réunion. Là où Paris veut imposer sa puissance militaire, La Réunion doit, elle, jouer la carte de la diplomatie et du partenariat avec son environnement régional. L’enjeu est simple : exister en paix et en intelligence, plutôt que disparaître dans un conflit qui ne nous concerne pas et qui pourrait faire de nos voisins, les descendants de nos ancêtres, des ennemis.
Eric Jean-Pierre
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