Depuis février, le tournage de la série Enchaînés se déroule sur l'île de La Réunion, autrefois appelée île Bourbon.

La série « Enchaînés » réveille les mémoires enfouies de l’esclavage


Avec Enchaînés, la télévision française braque ses projecteurs sur une page longtemps restée dans l’ombre : celle de l’esclavage dans les colonies françaises. Tournée à La Réunion, cette série historique de six épisodes met en lumière une réalité aussi brutale que méconnue, rarement explorée sur le petit écran.

C’est sur l’île de La Réunion, ancienne île Bourbon, que la série  Enchaînés  prend racine. Rare dans le paysage audiovisuel français, cette fiction historique met en lumière une longue période encore trop peu représentée dans notre histoire collective : l’esclavage dans les colonies françaises au XIXe siècle. Une page sombre, longtemps minimisée, que la série explore avec justesse et humanité à travers six épisodes denses et bouleversants.

Une intrigue au cœur du système esclavagiste

Nous sommes en 1806. L’île tente de se relever d’un cyclone ravageur. Ruiné, un riche propriétaire colonial interprété dans la série par l’acteur Olivier Gourmet s’apprête à vendre sa plantation, et les esclaves qui y vivent. C’est dans ce contexte brutal que Isaac, jeune esclave, découvre un secret destructeur : son maître est en réalité son père biologique.

Chaîne d’esclave en fer forgé, utilisée pour entraver poignets, chevilles ou cou durant la traite transatlantique.
Chaîne d’esclave en fer forgé, utilisée pour entraver poignets, chevilles ou cou durant la traite transatlantique.
Pistolet non rechargé et fouet d’époque, instruments de violence utilisés durant la traite transatlantique.
Pistolet non rechargé et fouet d’époque, instruments de violence utilisés durant la traite transatlantique.

Dans le rôle de monsieur Rolland, Francis Convert interprète un contremaître pris entre deux mondes. « C’est mon tout premier rôle historique. Ce n’était pas évident, car ce personnage ne montre aucune empathie », explique l’acteur, il poursuit : « Il est très différent de moi, mais c’est aussi ce qui rend le rôle intéressant. »

Une œuvre de reconstitution et de conscience

Le scénario, signé Alain Moreau, s’appuie sur des faits historiques solides pour restituer, sans excès ni simplification, les rapports de pouvoir, les violences systémiques, mais aussi les formes de résistance individuelle au sein des plantations. À la réalisation, Anne-Laure de Butler revendique clairement cette intention mémorielle. « Enchaînés n’est pas seulement un projet de fiction. C’est une manière de transmettre l’histoire, de réveiller des mémoires encore trop souvent mises de côté », explique-t-elle. Elle précise : « Je suis convaincue que la fiction a un rôle à jouer dans la transmission du passé». Contrainte par le cadre d’une diffusion à la télévision, la réalisatrice a dû ajuster la manière de représenter la violence. « L’esclavage était un système d’une brutalité extrême. Nous avons choisi de le montrer avec sobriété, sans minimiser, mais sans tomber non plus dans la surenchère. L’idée n’était pas de choquer, mais de faire ressentir l’horreur sans la détourner. »

Francis Convert interprète le rôle de Monsieur Roland, il est le trait d'union entre la famille et les esclaves.
Francis Convert interprète le rôle de Monsieur Roland, il est le trait d’union entre la famille et les esclaves.
Olivier Gourmet incarne le personnage principal de la série.
Olivier Gourmet incarne le personnage principal de la série.

Coproduite par France Télévisions et Tetra Media Fiction, la série s’inscrit dans une démarche de mémoire historique. Elle rappelle qu’entre le XVIIe et le XVIIIe siècle, la France a déporté plus de 1,25 million d’Africains, descendants d’esclaves africains dans les Antilles françaises et Malgaches vers ses colonies d’Amérique et de l’océan Indien. L’esclavage y sera officiellement aboli en 1848, mais ses séquelles demeurent bien vivantes.

Une histoire qui laisse des cicatrices profondes

Si l’esclavage a été aboli depuis plus de 175 ans, ses traces restent visibles dans la société française contemporaine, à travers les discriminations, les inégalités et l’effacement persistant des mémoires coloniales. L’absence de reconnaissance dans l’espace public, la marginalisation des récits ultramarins et l’héritage d’un système fondé sur l’exploitation pèsent encore lourd.

Selon une enquête de l’Ifop publiée en 2023, plus d’un tiers des personnes perçues comme noires déclarent avoir été victimes de discrimination raciale dans l’année écoulée, notamment dans l’accès à l’emploi, au logement ou lors de contrôles policiers. Ces discriminations systémiques s’inscrivent dans un continuum historique dont l’esclavage fut l’un des fondements.

À l’école, cette histoire reste encore trop peu enseignée. Une enquête Ifop menée en 2020 pour la Fondation pour la mémoire de l’esclavage révélait que plus de 60 % des Français se déclaraient mal informés sur l’histoire de l’esclavage, et 87 % estimaient qu’elle n’est pas assez enseignée à l’école.

Avec Enchaînés, la fiction tente de s’imposer comme un outil de mémoire. Elle redonne une voix à celles et ceux qu’on a longtemps maintenus dans le silence de l’histoire officielle.

Nafida Abdillah

A propos de l'auteur

Ajouter un commentaire

⚠︎ Cet espace d'échange mis à disposition de nos lectrices et lecteurs ne reflète pas l'avis du média mais ceux des commentateurs. Les commentaires doivent être respectueux des individus et de la loi. Tout commentaire ne respectant pas ceux-ci ne sera pas publié. Consultez nos conditions générales d'utilisation. Vous souhaitez signaler un commentaire abusif, cliquez ici.

Articles suggérés