La terre : entre le marteau et l’enclume

LIBRE EXPRESSION

« PPRI (plan prévention du risque inondation), PPRL (plan de prévention du risque littoral), zone rouge, zone bleue, zone naturelle, zone à préserver… » autant d’acronymes aujourd’hui pour désigner – administrativement- le foncier réunionnais.
Autant le dire, une batterie de contraintes qui pèsent sur notre terre réunionnaise: celle que nous cultivons, ou avons cultivée, celle que nous habitons, ou du moins, que nous essayons encore d’habiter. Lorsque cela est encore permis !
Pour preuve, le cas de la famille Pounoussamy, à Belle-vue, Sainte Suzanne. Granmoun Francis, 91 ans, ancien ouvrier agricole des bitasyon environnantes, a fait l’objet d’un reportage sur une chaine télé locale ces dernières semaines. Propriétaire de son terrain depuis 2019, il se retrouve, lui et ses garçons, dans une impasse, une absurdité administrative dira-t-on, dont bon nombre de familles réunionnaises – notamment des hauts- sont encore victimes aujourd’hui. En effet, Granmoun Francis vit dans une agrégation de kaz en bois sous tôles, typique de la Réunion d’antan, mais pour le coup précaires, car sujettes aux intempéries. Il voudrait donc sécuriser son habitation, et ce n’est pas le discours sur le réchauffement climatique qui lui donnerait tort. Problème : Granmoun Francis découvre qu’il ne pourrait rien faire, car son terrain serait situé en zone rouge (R1), dans le fameux PPRI. Impossible apparemment, de lui délivrer un permis de construire ou de rénovation. Il se tourne donc vers la Mairie, le Département (pour l’amélioration de l’habitat), mais personne ne peut lui venir en aide, à cause dudit Plan. La sempiternelle réponse faite : « il va falloir penser à vous reloger Monsieur. » Notamment, dans les appartements verticaux des bas de Sainte Suzanne. Imaginez le déracinement, la « déterritorialisation » que subirait un Granmoun comme les nôtres, contraint de quitter ses habitudes, ses pratiques quotidiennes liées à la terre, son empreinte culturelle, pour se retrouver enfermé entre quatre murs, à la verticale. Granmoun Francis, travailleur de la terre depuis plus de 40 ans, se tourne vers cette chère commune « communiste » pour trouver de l’aide, rien n’y fait. Il passe du sabre et de la faucille, outils du travayèr lontan, au marteau et à l’enclume de sa situation ubuesque.

Aux côtés de l’association « Nout tout Ensemb » de Bagatelle, le PCO – au travers de son groupe d’élus Lespri lé ankor la – s’est penché sur l’injustice subie par Granmoun Francis. Et nous découvrons que le terrain de celui-ci ne serait pas complètement en zone rouge. Nous avons dès lors pris contact avec les services concernés de la mairie, qui ne sont pas en mesure de nous rendre une réponse définitive.
Il est donc légitime de s’interroger :

Pourquoi la Mairie a-t-elle cherché à reloger Granmoun Francis, alors qu’il pourrait, selon la réglementation, bénéficier d’autorisations pour petits travaux d’amélioration de sa kaz précaire (notamment contre les aléas climatiques) ? ;

La majorité en place ou ses « dalons » auraient-ils d’autres projets sur le terrain de Granmoun Francis ?;

Quelle légitimité d’application de la réglementation PPRI, lorsque l’on sait que le Maire-Président de la CINOR ne fait RIEN pour lutter contre le risque inondation ?;
Enfin, en soutien à l’association « Nout tout ensemb », nous lançons un appel à la solidarité des habitants, des bénévoles, des militants de la terre, pour sécuriser le quotidien de Granmoun Francis. Parce que la sécurité n’est pas uniquement le
discours dominant que nous entendons dans les médias. La sécurité n’est pas uniquement une affaire de délinquance, mais aussi les conditions de vie, et l’adaptation à notre environnement.
Tous les Granmoun Francis de l’île ne méritent pas de se faire spolier leur terre, après une vie de dur labeur.
Tous les Granmoun Francis de l’île méritent d’avoir un toit digne de ce nom pour abriter leurs jours de retraite.
Et combien de Granmoun Francis dans les hauts de notre île couvent encore ce type d’injustice administrative, d’injustice foncière ? Combien encore de Granmoun Francis se retrouvent entre le marteau et l’enclume des réglementations administratives, dans le silence des kaz en tôle ?

« Lespri lé ankor la », Association « Nout tout Ensemb », Les élus du PCO

Chaque contribution publiée sur le média nous semble répondre aux critères élémentaires de respect des personnes et des communautés. Elle reflète l’opinion de son ou ses signataires, pas forcément celle du comité de lecture de Parallèle Sud.

A propos de l'auteur

Kozé libre

A Parallèle Sud nous nous faisons un devoir de libérer la parole, de la partager, sous quelque forme que ce soit (texte, vidéo, son, BD...). Chaque lecteur peut être acteur et créer l'information. Celle-ci est relue par le comité de lecture de Parallèle Sud avant d'être publiée dans la Libre expression.

Articles suggérés