LIBRE EXPRESSION
Nous l’avons vu (voir nos éditions précédentes), l’abattage des requins est inefficace sur le long terme de par la nature hautement migratrice des requins tigres et bouledogues :
https://www.zinfos974.com/Detruire-des-requins-migrateurs-ne-sert-a-rien-_a186023.htm
A moins évidemment de prétendre tuer les requins ad vitam aeternam…..
Niella et al. (2021)(1) soulignent l’inutilité des abattages de requins tigres à la Réunion en termes de sécurité publique :
« [….] sur plusieurs années, il y a eu une augmentation régulière de la proportion de requins tigres juvéniles capturés. [….] la proportion de requins bouledogues mâles a d’abord augmenté dans les captures jusqu’en 2016, après quoi il y a eu un déclin régulier [….]. »
« Même si les requins tigres sont ciblés par le programme de pêche préventive au requin, leur présence a augmenté au large de l’île de la Réunion au cours de la période étudiée, en particulier pour les juvéniles. Le programme hawaïen a observé des tendances similaires, attribuées à l’immigration d’individus de petite taille suite à l’élimination sélective des plus grands requins plutôt qu’à une augmentation de la population (Wetherbee et al. 1994 ; Dudley et Simpfendorfer 2006). »
« Il a été démontré que les requins tigres constituent une seule population indo-pacifique (Pirog et al. 2019b), ce qui suggère que l’élimination de cette espèce d’un seul site côtier, comme l’Ile de la Réunion, n’apportera qu’une protection accrue minimale aux baigneurs, car d’autres individus pourraient occuper les niches vacantes. Cette présence accrue [des requins tigres] dans les habitats littoraux peut, en fait, se renforcer si des concurrents potentiels tels que les requins bouledogues plus philopatriques (Pirog et al. 2019c) ont été éliminés de l’écosystème suite à la pression de la pêche. »
« Depuis 2007, une grande partie des récifs frangeants de la côte ouest de l’île de la Réunion est protégée par une AMP [aire marine protégée]. Nos résultats n’ont pas mis en évidence une plus grande utilisation de l’AMP par les requins ou les autres espèces d’élasmobranches, ce qui corrobore des recherches antérieures par télémétrie indiquant que les requins bouledogues passaient en fait plus de temps à l’extérieur de l’AMP qu’à l’intérieur (Soria et al. 2019). »
« Au large de l’île de la Réunion, un risque plus élevé de morsures a été observé en hiver, probablement en raison de la présence accrue de requins bouledogues dans les eaux littorales (Lagabrielle et al., 2018). Bien que l’augmentation des captures de requins tigres principalement de plus de 200 cm de LT [longueur totale], une taille considérée comme potentiellement dangereuse pour les humains (Dudley, 1995), soit préoccupante et justifie une réflexion future, il faut noter que peu de morsures ont été attribuées aux requins tigres à la Réunion (Ballas et al. 2017) et qu’aucune morsure n’a été attribuée aux requins tigres < 300 cm de LT (Lagabrielle et al. 2018). »
« [….] des réductions similaires [à celles obtenues en Afrique du Sud] dans les interactions avec les requins n’ont pas été évidentes dans des régions comme Hawaii où les requins tigres étaient la principale espèce à mordre les humains, même après l’éradication de 4668 requins autour de l’île d’Oahu (Wetherbee et al. 1994). Cela implique que l’abattage continu des requins tigres n’améliore pas la protection des baigneurs à La Réunion. »
De leur côté, Mourier et al. (2021)(2) affirment leur opposition catégorique au programme d’abattage réunionnais :
« Par rapport à d’autres types d’interactions entre l’homme et la faune, le nombre de morsures de requins est faible, mais elles bénéficient d’une exposition médiatique massive (Muter et al., 2013) et d’une attention politique (Neff, 2012). »
« La gestion du risque requin varie selon les régions. [….] Les autorités réunionnaises ont opté pour une stratégie d’abattage systématique (Guyomard et al., 2019). Bien que la combinaison d’un abattage intensif des requins représentant l’élimination d’environ 150 requins bouledogues individuels et 300 requins tigres individuels en 8 ans (depuis 2012 ; source Centre Sécurité Requin : http://www.info-requin.re) et un déclin spectaculaire des activités marines récréatives peuvent avoir contribué à réduire le taux de morsures de requins, rien ne permet de dire que le risque a été complètement supprimé, puisque des incidents ont été enregistrés depuis le début du programme d’abattage en 2012 (bien qu’aucune morsure n’ait été signalée en 2020). De même, Hawaii a historiquement abattu des requins tigres pour atténuer la peur du public concernant les morsures de requins, mais cette stratégie était manifestement inefficace, avec plus de morsures de requins survenant après l’abattage qu’avant (Wetherbee, Lowe & Crow, 1994). Meyer et al. (2018) ont recommandé une approche plus pragmatique, permettant au public de faire des choix éclairés en matière de loisirs océaniques en le sensibilisant à la présence naturelle de requins potentiellement dangereux dans des zones à risque spécifiques afin de prévenir le risque d’interactions. Les programmes d’abattage, ou la pêche de grands requins pour réduire le risque de morsures sur l’homme, peuvent entraîner de graves altérations des populations de requins, notamment des déclins en nombre et des changements dans les assemblages d’espèces (Roff et al., 2018 ; Niella et al., 2021). Une étude récente a mis en évidence que le retrait des requins bouledogues des eaux côtières au large de la Réunion peut avoir contribué à une augmentation de la présence de requins tigres juvéniles qui ont utilisé les habitats côtiers libérés (Niella et al., 2021) [….]. La même étude indique également que le programme d’abattage des requins bouledogues ciblés permet de capturer un nombre important d’espèces accessoires, dont deux élasmobranches gravement menacés : le requin-marteau halicorne (Sphyrna lewini) et le poisson-guitare géant (Rhynchobatus australiae). [….] Des recherches supplémentaires sont nécessaires pour déterminer la survie des espèces menacées relâchées. En raison de l’impact potentiel du programme d’abattage sur les espèces et l’écosystème, les approches non létales pour atténuer les morsures de requin à La Réunion devraient être prioritaires pour assurer la conservation des espèces locales d’élasmobranches. »
Nous en sommes à la Réunion, au 12 août 2022, à un total officiel de 638 requins ciblés tués : 175 bouledogues et 463 tigres.
Du 29 mars 2018 au 12 août 2022, le Centre Sécurité Requin (CSR) a capturé (données issues des statistiques officielles de pêche publiées sur le site http://www.info-requin.re) :
- 53 requins bouledogues (6% des prises),
- 310 requins tigres (36%),
- 507 prises accessoires (58%).
Pour la seule année 2021, le CSR a tué 99 tigres contre… 8 bouledogues : plus de 12 fois plus de tigres que de bouledogues !
Et pour l’année 2022, en 8 mois, le CSR a tué 33 tigres contre… æ1 seul bouledogue.
Le 16 février 2021, le sous-préfet de Saint-Paul (président du CSR et président de la Réserve marine) et le directeur du CSR, présentaient en conférence de presse les évolutions à venir pour la gestion de la problématique requins.
A cette occasion, on a pu lire dans les médias (JIR du 17 février 2021) :
« La pêche des requins restera la pierre angulaire de la stratégie. « C’est notre arme fatale » glisse [le sous-préfet] Olivier Tainturier. Celle-ci est d’ailleurs amenée à évoluer. La pêche des requins tigres de moins de 2.50 mètres devrait être abandonnée pour concentrer les moyens sur le requin bouledogue, principal responsable des attaques mortelles ».
Le 17 février 2021, David Guyomard (responsable scientifique du programme de pêche du CSR) rappelait au journal télévisé d’Antenne Réunion : « les requins tigres, dans le contexte réunionnais, sont beaucoup moins dangereux que les requins bouledogues : la crise requin à La Réunion, c’est d’abord une crise bouledogue ».
Assertion confirmée par le directeur du CSR Willy Cail sur RTL Réunion le 18 février 2021: « 99% des attaques ont eu lieu par du bouledogue ».
Enfin, dans le JIR du 25 mars 2021, le même David Guyomard précisait : « [les tigres] sont beaucoup moins dangereux que les bouledogues. Il s’agit également de juvéniles qui n’ont jamais provoqué d’attaques à la Réunion. Donc, ces requins ne sont pas de nature à soulever une inquiétude particulière. Je le rappelle, c’est essentiellement le requin bouledogue qui a été au cœur de la crise requin. Les tigres restent peu de temps à proximité des côtes. Ils viennent, ils se nourrissent, et repartent rapidement au large ».
Le 3 juin 2021, les membres du Conseil scientifique de la Réserve marine rappelaient à Mme la sous-préfète de Saint-Paul que « la quasi-majorité de la communauté scientifique de La Réunion s’oppose à la capture des requins tigres dans le contexte de cette « crise bouledogue » à la Réunion en raison de l’incohérence de cette pêche sur une espèce qui n’est pas incriminée dans les accidents et à la vue des données et études scientifiques ».
Pourtant le CSR continue à éliminer systématiquement tous les requins tigres dans nos eaux.
Et la promesse du sous-préfet n’a évidemment jamais eu de suites…..
Or l’abattage des requins est devenu d’autant plus inutile et absurde que :
- Depuis 2013, un arrêté préfectoral systématiquement reconduit interdit la baignade et le surf – principale activité exposée aux accidents – en dehors des zones protégées. Le dernier en date est l’arrêté n°256 du 10 février 2022. Il appartient au préfet de le faire respecter….
- De plus des solutions non létales efficaces existent déjà et ont été mises en œuvre (dispositif Vigie Requin Renforcé et équipements de protection individuels EPI pour le surf ; filets de protection pour la baignade).
https://www.facebook.com/people/Vrr-Vigies-Requins-Renforc%C3%A9es/100010711321306/
- Le requin tigre, désormais la seule espèce pêchée, n’est quasiment jamais impliqué dans les accidents : un seul accident répertorié ces 12 dernières années (le 14 février 2015),
- Le CSR ne pêche quasiment plus de requins bouledogues,
- Le dernier accident avec un requin remonte à 3 ans en arrière : le 9 mai 2019.
Il n’y a donc aucune justification sécuritaire valable à continuer de massacrer des requins à la Réunion ! Bien au contraire, il y a urgence à protéger ces deux espèces sachant qu’elles sont déjà inscrites sur la liste rouge de l’UICN des espèces menacées d’extinction.
De ce point de vue, on ne peut que souligner l’attitude consternante de l’Etat français dans ce dossier où la dignité et la modération font profil bas : cf. les propos du sous-préfet de Saint-Paul en conférence de presse le 16 février 2021 :
« La pêche des requins restera la pierre angulaire de la stratégie. « C’est notre arme fatale » glisse [le sous-préfet] Olivier Tainturier. [….] ».
Au final le contribuable devrait se poser la question suivante : pourquoi cet acharnement à vouloir détruire des requins tigres – pratique que toute la communauté scientifique réprouve – alors même que cette espèce n’est pas impliquée dans les accidents ?
La réponse est simple :
- Si vous arrêtez de tuer des requins tigres, le Centre Sécurité Requin n’a plus de raison d’être. Adieu veau, vache, cochon, couvée ! Adieu les gros salaires et les confortables plans de carrière.
- Si vous arrêtez de tuer des requins tigres, le Comité des pêches de la Réunion, qui vient d’hériter de la poule aux œufs d’or, peut dire adieu aux rentrées d’argent conséquentes issues de la pêche aux requins.
Tout cela, évidemment, sur le dos du contribuable ! Lamentable…..
Didier Dérand
Collectif « Requins en Danger à la Réunion »
(1) Niella, Y., Wiefels, A., Almeida, U. et al. (2021) – Dynamics of marine predators off an oceanic island and implications for management of a preventative shark fishing program. Marine Biology, 168 (42). https://doi.org/10.1007/s00227-021-03852-9
(2) Mourier J., Soria M., Blaison A., Simier M., Certain G., Demichelis A. et al. (2021) – Dynamic use of coastal areas by bull sharks and the conciliation of conservation and management of negative human–wildlife interactions. Aquatic Conservation: Marine and Freshwater Ecosystems, 1–12. https://doi.org/10.1002/aqc.3674
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