A Paris, le 3 juin 1981, sous la toute nouvelle présidence de François Mitterrand, le Conseil des Ministres annule le projet d’extension du camp militaire du Larzac (de 3 000 à 17 300 hectares). Dès le lendemain, l’armée quitte ses positions et rentre dans les limites de 1902, celles du camp initial.
Imaginez la fête sur le plateau, dans les vallées alentour et ailleurs !
Sans oublier l’immense joie des Comités Larzac, un peu partout dans l’hexagone : « Champagne ! »
Très vite, le Premier ministre, Pierre Mauroy, demande à son conseiller technique, l’éminent magistrat Louis Joinet, de s’occuper du dossier Larzac, avec comme consigne : « le dialogue et la concertation ». À l’époque, il importe de régler le problème du foncier, à savoir les 6 300 hectares achetés par l’armée, dans le cadre du projet d’extension du camp militaire.
Alternant travail en petit groupe et réunions collectives sur le terrain, pendant plus de trois longues années, Louis Joinet élabore une approche originale et novatrice de la gestion foncière de territoires agricoles : la Société civile des Terres du Larzac (SCTL).
L’État reste propriétaire des 6 300 hectares qui, alors, sont confiés à cet office foncier par un bail emphytéotique de soixante années. À compter du 29 avril 1985, la SCTL, modèle singulier d’autogestion, propose aux agriculteurs un bail de carrière valable jusqu’à l’âge de la retraite. Ce qui, sur le causse, satisfait pleinement les anciens propriétaires revenus sur leurs exploitations comme les nouveaux paysans !
Pendant ce temps, la Société civile Gestion foncière agricole du Larzac (SC GFA Larzac) continue d’acheter des fermes, dès que la possibilité se présente sur le plateau. Depuis le 12 décembre 1973 – au début de la lutte ! – l’objectif de cette société civile est d’acquérir des terres convoitées par l’armée, un peu partout, de façon à miter la future extension du camp militaire. Comment ? En proposant aux militants et sympathisants qui le peuvent des parts sociales à cent francs l’unité. Tout à fait officielle, cette formule, créée dans les années 1970 pour favoriser les transmissions d’exploitations agricoles, a un tel succès sur le causse que les GFA se succèdent au fil des années : 1, 2, 3 et 4 actuellement.
Créé en 1975, le Cun (coin en occitan) est né de la résistance non-violente des paysans du Larzac à l’extension du camp militaire. Pendant longtemps, il a été un lieu d’accueil, un centre de recherche et de formation aux différentes formes de résistance non-violente.
Il a reçu les rassemblements nationaux d’organisations syndicales et de diverses associations, toutes adhérentes à sa propre Charte de fonctionnement.
Depuis 2008, la Société civile immobilière du Cun a signé un bail de quarante ans avec l’association Champs du Monde* en vue de :
- Créer l’Éco-Camping du Larzac (2 étoiles), lors de l’été 2013 ;
- Rénover et d’agrandir les bâtiments existants, tous devant être équipés d’énergies renouvelables. À suivre !
*Objectifs : promouvoir les droits de l’agriculture, de l’urbanisme, de la culture.
Quand son premier numéro parait en juin 1975, Gardarem lo Larzac* (GLL), s’affiche comme le « Journal d’information du Larzac » jusqu’à la victoire de 1981, puis comme « le Journal du Larzac solidaire » ensuite. Dans un premier temps, ce bimestriel militant participe du mouvement occitaniste « Vivre et travailler au pays ! ».
Actuellement, toujours libre, indépendant et sans aucune publicité, ce huit pages (grand format) relate les actualités relatives au plateau, puis celles concernant le national et l’international, avec une attention spéciale pour la Nouvelle Calédonie-Kanaky et la Palestine-Territoires occupés par Israël.
Sans oublier la culture : films, pièces de théâtre, expositions, livres et brochures locales !
*Nous garderons le Larzac, en occitan.
Fondation Larzac : créée en 1982, au lendemain de la victoire des paysans du Larzac contre l’extension du camp militaire, cette association est à l’origine de l’édition de deux livres devenus incontournables :
- « Alors la paix viendra », 1984, 104 pages ;
- « les Agriculteurs et la politique », 1990, 594 pages.
À noter que la réédition du premier vient d’avoir lieu sous forme numérique.
L’Association Pour l’Aménagement du Larzac (APAL) a été créée en 1982. Elle succède à l’Association Pour l’Agriculture sur le Larzac qui a participé à la lutte de 1971 à 1981.
La Jasse, Maison du Larzac – ancienne bergerie – est la propriété de l’APAL depuis 1982.
Au bord de la RD 809, c’est la vitrine touristique du Larzac et de ses environs.
Ouverte tout l’été, elle propose, à la vente, de nombreux produits régionaux, de l’artisanat local, un important rayon livres CD/DVD et une salle de pique-nique à la disposition des voyageurs de passage. Que du bonheur !
A Montpellier, au centre-ville, une « annexe », bien achalandée, offre les mêmes produits toute l’année.
Kanaky : en septembre 1985, pour concrétiser la solide amitié élaborée entre leurs deux peuples, les paysans du Larzac offrent, symboliquement, une parcelle de terre et une caselle (habitat kanak) à la communauté représentée, ce jour, par Jean-Marie Tjibaou, leader du Front de Libération national, kanak et socialiste (FLNKS), en Nouvelle Calédonie.
Hiver 1986. La Confédération nationale des Syndicats de Travailleurs paysans (CNSTP) et la Fédération nationale des Syndicats paysans (FNSP) organisent les « Assises paysannes », réunissant ainsi 15 000 paysans sur l’ensemble du territoire national.
Objectif : donner un espace d’expression aux paysans opposés à la politique agricole productiviste de la Fédération nationale des Syndicats d’Exploitants agricoles (FNSEA).
Dans la foulée, la Confédération paysanne voit le jour le 18 avril 1987.
La Conf’, comme on l’appelle couramment, milite pour une agriculture paysanne, respectueuse de l’environnement, de l’emploi agricole et de la qualité des produits.
Elle est membre fondateur de la Coordination paysanne européenne, de Via Campesina et d’ATTAC. Elle se bat pour la souveraineté alimentaire.
Créé en 1989 et premier en Aveyron, le marché paysan de Montredon anime ce « hameau en mouvement », tous les mercredis de juillet et août, à partir de 18h.
Très convivial, chaque semaine, il permet un lien direct entre les paysan-nes et consommateurs-trices.
Sans oublier les animations de l’été et la fameuse librairie « La Brebis qui lit » !
Depuis de nombreuses années, les cultivateurs et les éleveurs du causse observent l’avancée du reboisement naturel et spontané sur leurs terres. L’entretien de celles-ci coûte de plus en plus cher. Suite à différentes études et expériences, les pins sylvestres et les petits chênes apparaissent alors comme du bois-énergie, de la biomasse.
Suite à ce constat, l’association les Bois du Larzac est créée en 2013.
Depuis, les arbres envahissants sont transformés en granulés, plaquettes ou bûches, pour alimenter les chaudières individuelles qui, depuis, fleurissent un peu partout dans les fermes et hameaux. Avec les créations locales d’emploi qui vont bien !
Exemple : à Saint-Martin du Larzac, un mini réseau collectif de chaleur irrigue trois maisons.
Les débouchés étant assurés pour ce type d’énergie renouvelable, le plateau se convertit au sylvopastoralisme. Tout naturellement ! Il suffisait d’y penser.
Dans le cadre du projet gouvernemental « Territoire à énergie positive pour croissance verte » (!), une Société par Actions simplifiée (SAS), Lum del Larzac*, est créée en avril 2015. Son objectif : couvrir toutes les toitures, bâtiments agricoles et maisons d’habitation, de panneaux photovoltaïques et gérer collectivement la production d’électricité.
La région Occitanie encourage cette initiative pionnière de la façon suivante :
quand une personne achète une action à cent euros l’unité,
la région donne cent euros comme aide à l’investissement.
Ce qui booste considérablement cette belle initiative de production d’énergie solaire !
*Slogan : le soleil brille pour tout le monde !
CHRONIQUE ÉVÉNEMENTIELLE : quelques DATES HISTORIQUES
1999 :
- 12 août : démontage du Mc Do de Millau** par quelques-uns des 300 paysans militants du syndicat agricole Confédération paysanne (la Conf’) et du Syndicat des Producteurs de Lait de Brebis (SPLB) présents sur le chantier de la construction de ce restaurant de malbouffe.
- 19 août : au tribunal de Millau, José Bové rejoint quatre de ses camarades interpellés le 12 août, devant 500 manifestants et presque autant de caméras et d’appareils photographiques. Contrairement aux quatre syndicalistes militants qui ressortent libres, José est mis en examen, car il est sous le coup d’une condamnation précédente pour destruction d’un champ de culture OGM (avec les Faucheurs volontaires d’Organismes génétiquement modifiés (OGM).
Une libération sous caution de 105 000 francs lui est proposée. Il la refuse.
Devant cette affaire devenue très médiatique, une collecte de solidarité est organisée : 160 000 francs sont réunis. José Bové accepte sa libération !
- 7 septembre : il sort de la maison d’arrêt, devant de nombreux journalistes …
**Le démontage du Mc Do de Millau est une action emblématique de désobéissance civile non-violente. a)En collectif, pourquoi a-t-elle été décidée ?
En 1999, l’Union européenne refuse d’importer des États-Unis d’Amérique de la viande de vache élevée aux hormones de croissance. Question de sécurité alimentaire !
L’Organisation mondiale du Commerce (OMC) autorise, en retour, les sanctions étatsuniennes sous forme de taxation punitive des importations d’origine européenne comme, par exemple, le fromage au lait cru de brebis appelé Roquefort (principale production exportée par le causse). Tous les éleveurs de brebis de la région sont concernés !
b)Comment cette action de désobéissance civile non-violente a-t-elle été décidée et réalisée ? En juillet 1999, à Saint-Affrique, José Bové, porte-parole du Syndicat des Producteurs de Lait de Brebis et six de ses camarades agriculteurs syndiqués ont l’idée de contrer les sanctions étatsuniennes en démontant le Mc Do actuellement en construction à Millau. À leurs yeux, l’entreprise McDonald’s, d’origine américaine, représente la cible symbolique idéale, puisqu’y sont associés les termes de malbouffe et de capitalisme apatride. À la faveur d’une conférence de presse, ils précisent et l’objet de leur décision collective et le jour, le 12 août 1999. Tout en précisant qu’il s’agira d’une « manifestation bon enfant, avec dégustation de Roquefort » !
Le jour dit, vers 11 heures, 300 agriculteurs sont réunis autour du chantier de construction. Pendant que certains distribuent des tartines de fromage aux curieux – comme annoncé ! – d’autres démontent la structure de l’établissement, tranquillement, en une heure chrono, sous les yeux impuissants du patron des quatre autres McDo de l’Aveyron.
Et devant les objectifs d’une multitude de journalistes venus spécialement couvrir l’événement ! Cette action de désobéissance civile non-violente a étéparfaitement maitrisée de A à Z : un cas d’école !
2000 :
30 juin : 40 000 manifestants altermondialistes sont réunis autour du tribunal correctionnel de Millau. Ils attendent le verdict relatif au démontage du Mc Do :
1°) José Bové est condamné à une peine de trois mois de prison ferme ;
2°) ses quatre camarades écopent uniquement de prison avec sursis.
2003 :
du 8 au 10 août, rassemblement altermondialiste sur le causse du Larzac, à l’appel de la Confédération paysanne et d’un vaste collectif de syndicats et d’associations. Les 200 000 personnes présentes crient leur slogan : « Un autre monde est possible ! ».
2008 :
Au hameau (historique) de La Blaquière, création du collectif Larzac Solidarités, suite à la rencontre avec une famille de migrants menacée d’expulsion.
Ce groupe de bénévoles et sympathisants travaille avec les mairies et différents organismes ou associations.
2023 :
les Résistantes, du 3 au 6 août, rencontre internationale de luttes locales et globales, sur le causse du Larzac : succès complet, malgré une météo particulièrement désagréable !
À noter que la seconde édition des Résistantes aura lieu, cette année, en Basse-Normandie, du 7 au 10 août 2025. A bon entendeur, salut !
Le LARZAC pour les NULS
Ce causse occupe une surface de 1000 km2., au sud-ouest du Massif central.
D’origine karstique (calcaire), le Larzac est un haut plateau qui s’étend de Millau (Aveyron) à Lodève (Hérault). Son altitude varie de 600 à 900 m. Climat semi-continental.
Diversité faune et flore bien représentée.
Il fait partie du Parc naturel régional des Grands Causses et est inscrit au Patrimoine mondial de l’UNESCO. Certains de ses territoires sont inclus dans le réseau Natura 2000.
Entre le 12ème et le 14ème siècle, deux Ordres, celui du Temple, puis celui des Hospitaliers,
y ont fortifiés cinq bourgs qui, témoins médiévaux de l’Histoire, sont devenus, aujourd’hui, autant de curiosités touristiques.
Sur le causse, précisément, l’exode rural a particulièrement sévi jusqu’en 1968.
Depuis, la population n’a cessé d’augmenter et, surtout, de rajeunir. Quelle chance !
Les paysans du Larzac sont à la fois des cultivateurs de céréales (blé, orge, avoine) et éleveurs de brebis dont le lait est à l’origine de fromages dont le célèbre Roquefort.
Les produits locaux, rivalisant d’originalité et de qualité, se retrouvent sur les marchés alentour, ainsi que dans une boutique dédiée, au centre-ville de Montpellier.
Les éleveurs assurent également une production de veaux et d’agneaux destinés à l’engraissement (pour la viande). La laine et l’alpaga sont filés dans certains hameaux.
Grâce à la fabrication des gants, le travail du cuir a fait la renommée de Millau.
Plus au sud, une entreprise originale fabrique des articles en cuir de très grande qualité.
Le tourisme n’est pas en reste. Depuis la longue lutte (1971-1981), les structures d’accueil se sont multipliées, avec des gîtes, une ferme-auberge, un restaurant et un camping familial à L’Hospitalet-du-Larzac (en plus de l’Éco-Camping du Cun). Sans oublier l’hôtel près de l’aéroport et celui de La Cavalerie ! Le tout étant promu, chaque printemps, par le dynamique office du tourisme « Larzac et Vallées ». Sur Internet, vous saurez tout !
Épilogue
Symbole des luttes populaires, l’histoire récente du Larzac a inspiré de nombreuses manifestations non-violentes à l’intérieur de l’hexagone (Notre-Dame des Landes, par exemple) et, également, en Europe, voire sur d’autres continents !
Son rayonnement international tient aussi au fait qu’il a intégré l’altermondialisme dès le départ, avec la Fête de la Moisson au profit du Tiers-monde (août 1974) et, plus récemment, avec le rassemblement altermondialiste de 200 000 personnes sur le causse (août 2003) et les quatre jours des Résistantes, rencontre de luttes locales et globales (août 2023). Au final, toujours résistant, le Larzac demeure créatif : « Ça n’existe pas ! Et alors … ? Inventons-le ! »
Michel Boussard, militant
POST-SCRIPTUM
1°) A une exception près, je n’ai pas utilisé l’écriture inclusive, dans le texte de cinq pages ci-dessus.
Tout simplement, par paresse ! Ou, alors, pour en faciliter la lecture ? Comme vous voudrez.
Car, il est bien évident que j’ai pensé ce que j’ai écrit au féminin comme au masculin.
Ne sommes-nous pas en 2025 et, qui plus est, en France ?
2°) Indifféremment, j’ai écrit paysans et agriculteurs, comme si ces mots étaient d’exacts synonymes.
Ce qui n’est pas le cas dans certains discours d’aujourd’hui, chose que je comprends parfaitement !
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