L’argent du contribuable jeté à la mer : jusqu’à 1,6 milliard de surcoût

NRL : DÉPÔT DE BILAN [ÉPISODE 2]

Le premier épisode faisait l’état des lieux de l’axe Saint-Denis à la Possession « en fin de vie » et des promesses non-tenues d’une NRL qui ne sera plus qu’une demi-NRL accessible par une bretelle de 34M€ de surcoût. Aujourd’hui, ouvrons les yeux sur les centaines de millions d’euros que le contribuable devra payer au-delà du devis initial des multinationales Vinci, Bouygues et Eiffage.
Les réclamations s’élèvent déjà à 689M€ sur le grand viaduc, 23M€ sur le petit viaduc de la Grande Chaloupe et 259M€ (à monter) sur les digues.

Lors de l’assemblée plénière consacrée à la Nouvelle Route du Littoral, le 27 octobre dernier, c’est avec une certaine pudeur que la nouvelle présidente de la Région, Huguette Bello, a évoqué un coût final de la NRL « à plus de deux milliards d’euros ». Puisque les 1,6 milliard annoncés au départ ont déjà été consommés.

Hélas, avec une portion de route en mer de 2,5 kilomètres restant à construire, les surcoûts apparus pendant les sept premières années de chantier, les retards et les réclamations des entreprises, la facture s’annonce beaucoup, beaucoup, plus lourde.

Dans son opération « transparence », la nouvelle majorité régionale a sorti « aux forceps » un rapport de 157 pages édifiant. Les surcoûts y surgissent au fil des pages.

Pour le viaduc de la Grande chaloupe, Eiffage a demandé 23M€ en plus des 36M€ du marché initial. Le comité consultatif interrégional de règlement amiable des différents a fait une première proposition à 5,2 millions. Un recours est en cours devant le tribunal administratif.

Quant au grand viaduc de 5,4 km, en 2019, il a fallu reconnaître que son chantier nécessitait une augmentation importante de quantité de matériaux à draguer et de quantité d’acier à intégrer dans la construction des piles et voussoirs. Il a été validé une augmentation de 33 millions d’euros soit 5 % par rapport au montant initial de 660M€. Le montant du grand viaduc est alors porté à 692 millions d’euros hors-taxes. Mais on est encore loin du prix final…

Il a été livré avec deux ans et demi de retard sur le délai contractuel. La faute à qui ? Les contentieux se sont ouverts. Le groupement Vinci-Bouygues a formulé 28 réclamations représentant un total de 689 millions d’euros supplémentaires et l’annulation de ses pénalités de retard de 33M€. Il appuie notamment ses demandes sur une insuffisante reconnaissance du sous-sol lors des phases préparatoires. C’est de bonne guerre…

Près d’un milliard réclamé, qu’en restera-t-il ?

Une première décision du tribunal administratif est tombée condamnant la Région à payer 1,4 millions d’euros au lieu les 5,3 millions d’euros demandés au titre d’un contentieux sur le contrat d’assurance tous risques chantier. Est-ce que les décisions à suivre seront du même ordre ? Ce qui permettrait d’évaluer la note finale à environ 30 % des réclamations soit environ 230 millions d’euros ?

Le rapport soumis aux élus nous apprend que 34,4 millions d’euros de demande ont déjà été discutées. Sur ce premier package soumis à conciliation, la Région a concédé 1 million d’euros et le groupement a renoncé à 22,5 millions d’euros. Les 12 millions d’euros restants seront traités au tribunal. 

Reste-t-on pour autant dans la proportion d’un petit tiers par rapport aux réclamations initiales ? Il reste en tout cas 650 millions d’euros de réclamation à traiter pour le viaduc et, le moins que l’on puisse dire, c’est que la confiance n’est pas de mise. La Région nouvelle formule a déjà émis des doutes sur l’indépendance du conciliateur vis-à-vis des entreprises.

L’allongement de la facture est tout aussi conséquent sur le marché des digues : les 3,6 kilomètres déjà érigés et les 2,7 restant à construire. La fourniture des matériaux représente 30% du marché et les prix n’ont cessé de grimper. Après des années de cachoteries, il est enfin écrit que, faute d’ouverture des carrières de Bellevue est Lataniers, prévues par le groupement, un protocole signé en juin 2015 et un autre, non daté, permettaient aux contractants d’établir de nouveaux prix, de recaler les délais et de renoncer à tout recours.

Ces deux protocoles ont permis de réajuster le prix des matériaux. Ce prix, qui a toujours été soigneusement caché, n’est toujours pas rendu public. On apprend cependant qu’il a été multiplié par deux sur certaines digues et par 1,2 pour d’autres. La Région avait accepté de multiplier le prix par deux au départ car elle craignait les conséquences juridiques de la mise en retard du chantier global. Puis elle s’était ravisée en multipliant le prix par 1,2 seulement parce qu’elle considérait que le groupement était de plus en plus responsable de la non-ouverture d’une carrière.

+ 65% sur le prix du kilomètre de digue

En tout cas, ces concessions sur les prix des matériaux sont évaluées à 61 millions d’euros de surcoûts. Ce n’est pas assez selon Vinci et Bouygues qui ont transmis 15 mémoires en réclamation. Ils  réclamaient 190 millions d’euros supplémentaires sur le marché des digues. Ça, c’était en 2018. Ces réclamations ont gonflé au fil des discussions et désormais elles s’élèvent à 259 millions d’euros.

La médiation, avant de se tourner vers le tribunal, a du plomb dans l’aile. La nouvelle majorité régionale estime en effet qu’elle n’est nullement liée par les orientations proposées par le médiateur.

Les contestations portent sur la responsabilité des retards pris dans la construction des digues. Les services de la Région évoquent même les insuffisance en terme de compétences et d’encadrement pour la conduite des travaux maritimes. Et ce, dès le début du chantier ce qui serait la cause d’ailleurs du retard de la construction du viaduc.

En juillet 2018 le marché des premières digues est déjà augmenté de 63,7 millions d’euros hors-taxes. On passe de 438 millions à 501 millions. Soit une augmentation de 14,5 %. Les travaux sont finis depuis septembre 2021 avec près de trois ans de retard.

Enfin pour la fameuse digue entre la possession et la Grande chaloupe qui n’a jamais été construite. Il est officiellement annoncé que c’est d’abord le groupement qui a voulu résilier ce marché dès le mois d’août 2019 pour un motif d’intérêt général. Ce à quoi là Région avait répondu qu’elle résiliait  le marché pour faute.

En fait, le groupement avait estimé que la digue « MT5.2» coûterait 490 millions d’euros au lieu de 298 millions d’euros. Soit 65 % d’augmentation faisant passer le prix du kilomètre de 110 millions à 180 millions.

Après intervention du secrétaire d’état au transport Jean-Baptiste Djebbari un nouveau protocole en septembre 2020 prévoit la poursuite des travaux sur seulement 216 m de digue au lieu de 2700 mètres prévu. Et la résiliation de ce marché ne se fait plus « pour faute », mais « à l’amiable ». On sait donc désormais que 93M€ ont été mandatés  pour payer ce petit bout de digue. Soit un tiers du prix initial pour moins de 10% du linéaire sans qu’aucune solution ne soit proposée pour sécuriser cette extrémité d’ouvrage.

Le vertige de l’addition

Faut-il être rassuré par le fait qu’une « clause de renonciation assez ambitieuse »figure dans le protocole d’accord et permettrait à la Région d’éviter des réclamations trop coûteuse sur cette mini-digue « MT5.2 » ? En tout cas, c’est écrit au conditionnel dans le rapport…

N’oublions pas qu’il va également falloir déconstruire l’actuelle route du littoral sur 1,5 km pour la « remaritimisation » de la falaise en face du grand viaduc. Ça va coûter 20 millions d’euros mais c’était prévu c’était la contrepartie de la « dérogation espèces protégées » dont a bénéficié la NRL.

L’allongement de la durée du chantier va mathématiquement provoquer un surcoût de 15 millions d’euros correspondant à la poursuite des mesures de suivi environnemental du chantier (de 85M€ à 100M€) et un autre  surcoût de 15M€ sur les 120M€ prévus initialement pour les études.

Pour finir la route, la Région estime qu’il faudra 500M€ à 700M€ et précise : « aucune trajectoire financière n’est arrêtée pour assurer ce financement ».

Tous ces surcoûts ne prennent pas en compte la construction du dernier tronçon. Même si ils sont invisibles des travaux ont été faits sous la mer pour ériger cette fameuse dernière digue. 35 millions d’euros ont déjà été dépensés pour les fondations, c’est-à-dire la souille là où on été  posés des gros enrochements. En espérant qu’une houle cyclonique ne viennent pas tout perturber entre-temps. 

Dans l’hypothèse où la nouvelle équipe choisirait de poursuivre le projet de Didier Robert, le groupement a évoqué une facture de presque 500 millions d’euros pour finir la dernière digue. La Région table, quant à elle, sur 375 millions d’euros. Mais rien n’est plus incertain puisque désormais, tout est remis en question avec quatre autres options à l’étude : une digue à caisson, un viaduc, un tunnel ou une route couverte en pied de falaise…

Huguette Bello annonce une facture à plus de 2 milliards d’euros mais la note finale s’annonce beaucoup plus lourde.

L’addition de tout ce qu’il reste à payer donne le vertige. 

Dans sa communication officielle, la Région annonce sa capacité à financer la NRL à 1,847 milliard d’euros (1,575Mds€ mandatés et 272M€ pour finir l’opération) et estime entre 500 à 700M€ supplémentaires la facture de l’achèvement du chantier en précisant qu’« aucune trajectoire financière n’est arrêtée pour assurer ce financement ».

En reprenant les chiffres cités dans cet article, les surcoûts avérés s’élèvent déjà à 127M€. Estimons le montant de la finition entre 375 et 500M€ (sans compter de futurs réclamation. Et rappelons que les réclamations en cours d’étude portent sur 971M€. Additionnons et ça donne 1,598 milliard. Ben tiens, c’est le prix de la facture initiale. Qui prendra la responsabilité de le multiplier par deux ?

Franck Cellier

A propos de l'auteur

Franck Cellier | Journaliste

Journaliste d’investigation, Franck Cellier a passé trente ans de sa carrière au Quotidien de la Réunion après un court passage au journal Témoignages à ses débuts. Ses reportages l’ont amené dans l’ensemble des îles de l’océan Indien ainsi que dans tous les recoins de La Réunion. Il porte un regard critique et pointu sur la politique et la société réunionnaise. Très attaché à la liberté d’expression et à l’indépendance, il entend défendre avec force ces valeurs au sein d’un média engagé et solidaire, Parallèle Sud.