Conférence des mille au conseil départemental

L’avenir de La Réunion sera démocratique ou ne sera pas

LIBRE EXPRESSION

En politicien chevronné et vieux cacique du PCR, Elie Hoarau nous a récemment parlé de l’avenir de La Réunion lors d’une conférence donnée dans le cadre de l’université. Considérant qu’il ne faut pas renoncer à la moindre lueur d’espoir et sensible au thème de la responsabilité, je suis allé l’écouter mais sans me faire d’illusions. Malgré cela, j’en suis ressorti dépité pour ne pas dire irrité. Les qualités personnelles et/ou intellectuelles de M. Hoarau ne sont absolument pas en cause car je ne suis pas en mesure d’en juger, mais s’il est vrai qu’on a les politiciens qu’on mérite, alors les Réunionnais sont peut-être l’exception qui confirme la règle.

En effet, nous méritons mieux que ces propos séduisants mais convenus et parfaitement rodés, tout en ficelles politiciennes usées, car ils sont ânonnés depuis un demi-siècle au moins et ne sont destinés qu’à obtenir davantage de pouvoir local. L’autonomie et la subsidiarité pour La Réunion doivent bel et bien être recherchées mais à la condition expresse d’avoir des politiciens locaux capables de se remettre en cause et donc de rendre des comptes au bon peuple au lieu de constamment faire de la tutelle étatique la responsable de tous nos maux.

A ma connaissance, des politiciens capables d’une telle posture, on n’en voit plus guère de nos jours. Sous ce rapport, le microcosme politique local est semblable à celui qu’on observe en métropole. Comme ce dernier, il est insubmersible car sauvé à chaque fois par le défaut de conscience politique et de mémoire des électeurs. Ainsi, chacun peut se faire un devoir d’annoncer le changement, le progrès et tout le toutim alors qu’il/elle ne fait que perpétuer le « système » en leurrant les électeurs. Comme dit si bien l’Ecclésiaste : « Rien de nouveau sous le soleil » !

On ne sait s’il faut en rire ou en pleurer mais toujours est-il qu’Elie Hoarau s’est efforcé de nous faire rêver… d’une conférence territoriale qui informerait l’Etat de la volonté des élites locales. La chose est assez comique car même si elle devait être ouverte à d’autres personnalités « légitimes », issues notamment du milieu associatif, dans une conférence territoriale, aux moments décisifs, ce sont avant tout les barons de la politique et de l’économie qui ont voix au chapitre, pas ceux qui sont sur un strapontin et qu’on écoute poliment.

Autrement dit, même si on peut leur reconnaître une incontestable utilité pour la cohérence de l’action publique, les conférences territoriales ne peuvent pas être le lieu où naissent des révolutions, des refondations ou, simplement, de grandes réorientations. Il y a à cela une bonne raison : le bon peuple en est absent. Et même si d’aventure, il se trouvait alors dans la rue pour se faire entendre, tous les politiciens savent qu’une manifestation, même réussie, c’est comme un orage : on attend que ça passe ! En somme, les conférences territoriales sont avant tout des grosses mécaniques étatiques bien huilées qui associent politique et technocratie. Pour paraphraser Coluche, si le bon peuple avait quoi que ce soit à en attendre, ça ferait longtemps que ce dispositif n’existerait plus. Il n’est que de voir l’impact qu’a eu la dernière, début décembre 2022. A part un ou deux journalistes et autant de politiciens qui se sont fait un devoir d’en parler sur le coup, il n’y a eu par la suite aucun écho : zéro commentaire, un bide total. Et Elie Hoarau ose parler d’avenir en proposant une conférence territoriale ?

Avec son projet de « conférence des mille », Paul Hoarau est sur la même voie, mais pense être en mesure de remédier à la surdité de l’élite étatique. Cela, grâce à des « états généraux » qui précéderaient la conférence territoriale et lui communiqueraient ses cahiers de doléances et de projets. Or, même si les conclusions de la conférence territoriale s’en trouvaient changées le moins du monde, l’Etat garderait et la haute main et le dernier mot. Il continuerait tranquillement à serrer la vis afin de rembourser la dette souveraine et nous continuerions à descendre docilement les cercles de l’enfer socio-économico-écologique comme nous le faisons depuis des décennies. Bref, mesdames et messieurs les politiciens, ne nous racontez pas d’histoires, il n’y a aucun renouveau à espérer au bout de ce chemin.

Pour que les choses changent, il importerait que le bon peuple ait la parole, une parole que les politiciens se devraient d’écouter au lieu de prétendre l’incarner. Pour le moment, même si, devant les micros et les caméras, chacun fait mine d’être à l’écoute, personne ne s’intéresse vraiment à la parole des Réunionnais car elle n’a, tout simplement, aucune légitimité. Ce qui veut dire que nul n’est tenu de l’entendre ou d’en tenir compte. Rappelez-vous : « la dictature c’est ferme ta gueule, la démocratie c’est cause toujours » !

Nos politiciens relaient seulement la parole populaire qui va dans leur sens. Pour le reste, ils aimeraient autant mieux qu’on ne l’entende pas car cela pourrait les mettre en porte-à-faux. J’en veux pour preuve le fait que la seule structure qui donnait à la parole des Réunionnais une « légitimité » — donc la seule structure authentiquement démocratique qui ait existé à La Réunion — a disparu corps et biens sans qu’aucun politicien ne s’en émeuve le moins du monde, sans qu’aucun sourcil ne se lève, sans qu’aucune parole ne vienne questionner et s’indigner de cette catastrophe politique.

Je veux parler, bien sûr, du Conseil Consultatif Citoyen qui, institué par la Région sous la pression du mouvement des Gilets jaunes a, tout juste mis en place, été aussitôt démantelé sans avoir pu prononcer un seul mot et, il faut y insister, dans un silence général et assourdissant de la classe politique. Probablement celle-ci était-elle trop heureuse de se faire retirer cette épine du pied. Car si le peuple peut prendre la parole en toute légitimité, par la voix d’un conseil de cinquante personnes tirées au sort, alors ses représentants officiels se retrouvent, sinon obsolètes, du moins en grand risque d’apparaître dans l’imposture dès lors qu’ils porteraient une autre parole que celle, dorénavant audible, du peuple.

Il me semble que si nous voulons véritablement réfléchir à sortir La Réunion de son ornière pour lui donner un avenir digne de ce nom, la restauration du Conseil Consultatif Citoyen serait le moyen rêvé pour rebattre les cartes et changer complètement la donne. Ce ne serait probablement pas suffisant, mais assurément nécessaire. Imaginez : cinquante citoyens tirés au sort pouvant s’autosaisir, se pencher sur n’importe quel sujet normalement du seul ressort des institutions locales en posant toutes les questions voulues à des autorités mises dans l’obligation de s’expliquer, ce serait du jamais vu et ce serait une authentique révolution même en l’absence de tout pouvoir décisionnaire car, ainsi qu’il est bien connu vox populi, vox dei !

Il ne faut pas se raconter d’histoires : le discrédit des politiciens est maximal. Il n’y a pas, et tout porte à penser qu’il n’y aura plus, d’homme providentiel pour notre île. Les Réunionnais n’auront un avenir digne de ce nom que s’ils le forgent eux-mêmes, ce qui suppose d’accéder à une parole populaire qui soit légitime et qui prépare à l’exercice d’une souveraineté aussi large que possible. Autrement dit, peut-être serait-il temps que La Réunion vienne à une authentique démocratie, avec des élus tirés au sort. La restauration du Conseil Consultatif Citoyen pourrait constituer le tout premier pas dans cette direction. Cette voie « réformiste » serait forcément longue mais les progrès, en redonnant espoir et patience, permettent d’écarter la dangereuse tentation « révolutionnaire ».

Dans cette perspective, puisqu’il faut commencer quelque part, je propose de revenir là où le parcours du Conseil Consultatif Citoyen a été interrompu. J’en appelle donc à la conscience civique et à l’esprit de responsabilité de ceux qui ont été acteurs et/ou témoins de cet épisode et, notamment, les membres tirés au sort. Il serait proprement vital qu’ils viennent dans l’espace public nous en faire le récit. Que s’est-il passé exactement ? Comment ce formidable trésor démocratique obtenu par le combat des Gilets jaunes a-t-il fait ses premiers pas et pourquoi/comment a-t-il été sabordé dans une parfaite indifférence de toute la classe politique ? Voilà les questions auxquelles nous devrons trouver des réponses si nous voulons vraiment faire le choix d’un avenir démocratique qui ne soit pas encore un de ces mirages politiciens avec lesquels l’élite au pouvoir nous mène en bateau depuis trop longtemps.

 Luc-Laurent Salvador

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