Le cinéma réunit les témoins de l’asile lontan

AGENCE FILM RÉUNION

Dans les années 1960, le traitement des malades mentaux était indigne à La Réunion. La projection du film « L’asile lontan » réconcilie les derniers témoins avec ce passé douloureux.

La rencontre de l’asile moyenâgeux et de l’humaniste. Voilà qui résume le passage de Maurice Jay dans l’hôpital psychiatrique de Saint-Paul de 1960 aux années 1990. Il y a d’abord eu le livre « Entre chiens et fous », que nous vous avons présenté l’an dernier. Puis Réunion 1ere a diffusé le documentaire, « L’asile lontan ».

Ce lundi 28 octobre l’Agence Film Réunion a organisé une projection publique au Ciné Cambaie de Saint-Paul (1). Une salle comble a pris en pleine tronche, sur grand écran, les images du cinéaste amateur qu’était Maurice Jay. Celui qui va diriger et transformer l’hôpital psychiatrique de Saint-Paul était un touche-à-tout, dans la lignée de la tradition humaniste.

Un échange avec la salle a suivi la projection.

Le spectateur découvre ainsi pendant une petite heure, que le psychiatre était un passionné de plongée qui léguera au muséum d’histoire naturelle une colossale collection de coquillages. Il était un père « explorateur » qui faisait partager à toute sa famille sa curiosité pour La Réunion profonde. Un sacré bricoleur aussi, puisqu’il avait construit un petit observatoire astronomique dans son jardin.

Une médecine d’un autre âge

Il était donc également un cinéaste dont les images, longtemps confinées à l’espace privé, ont été numérisées par son épouse Danielle Jay, auteur du livre et du documentaire sur l’asile des fous, selon la dénomination restée dans l’inconscient collectif. Les images sont édifiantes en ce sens qu’elles ne cherchent ni à cacher l’insalubrité des lieux, ni à la dénoncer avec véhémence. Elles témoignent d’une réalité. Tout simplement.

En vrai, elles sont révoltantes. On y voit des patients privés de nourriture, entassés et bouclés dans des dortoirs sans confort, attaqués par les chiens… Quand les portes s’ouvraient le matin, des excréments jonchaient le sol. Les patients eux-mêmes devaient évacuer la m… dans des seaux dégoulinants qu’ils déversaient dans la baie de Saint-Paul. 

On y voit des « cures de Sakel », d’un autre âge. L’infirmière et le médecin bourrent un patient agité d’insuline pour le faire tomber dans le coma. Dix fois, vingt fois… Et si ça ne suffisait pas, il restait l’électrochoc. 

Réconciliation

Le docteur David Mété, qui fut l’héritier de Maurice Jay dans le domaine de l’addictologie, et qui intervient dans le documentaire, prévient qu’il ne faut pas juger une pratique de l’époque avec les yeux d’aujourd’hui. Ces méthodes étaient les seules disponibles… et Maurice Jay s’est employé à les remplacer par des traitements plus humains à chaque avancée de la science et de la modernisation de son hôpital.

On discerne que le psychiatre directeur n’a cessé de pousser les murs. Il harcelait les préfets en les confrontant à des arguments et situations objectives. Il mettait la main à la pâte, tant pour élargir les fenêtres que pour dégager les troncs d’arbres abattus par le cyclone Jenny de 1962. Bref il a fait de son mieux dans le contexte d’une île délaissée par sa mère patrie.

Les anciens collègues du docteur Jay ont décrit la dureté de l’asile.

« C’était quelqu’un, ben dans la période, n’avait point deux », lance l’infirmière qui l’assistait lors des « cures de Sakel ». Elle a aujourd’hui 91 ans et était présente lors de la projection, tout comme certain.e.s de ses anciens collègues. Elles et ils décrivent dans le documentaire la dureté de l’asile et l’humanité qui s’y frayait un passage.

Comme délivrés d’un vilain secret, elles et ils posent avec dignité devant le grand écran, à l’invitation de Christophe Feing, chargé de mission cinéma de l’Agence Film Réunion. La façon dont l’épouse du défunt docteur a raconté leur histoire les réconcilie avec ce passé douloureux.

Franck Cellier

(1) Deux autres réalisations réunionnaises ont également été projetées : l’hilarant « Le Dodo lé la » de Lorris Coulon et « Tord Balle » de Beryl Coutat

Entretien réalisé en octobre 2023 à l’occasion de la sortie du livre « Entre chiens et fous ».

A propos de l'auteur

Franck Cellier | Journaliste

Journaliste d’investigation, Franck Cellier a passé trente ans de sa carrière au Quotidien de la Réunion après un court passage au journal Témoignages à ses débuts. Ses reportages l’ont amené dans l’ensemble des îles de l’océan Indien ainsi que dans tous les recoins de La Réunion. Il porte un regard critique et pointu sur la politique et la société réunionnaise. Très attaché à la liberté d’expression et à l’indépendance, il entend défendre avec force ces valeurs au sein d’un média engagé et solidaire, Parallèle Sud.

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