Le déni de la mort

LIBRE EXPRESSION

Elle est partout en ce moment. Impersonnelle, omniprésente et pourtant taboue. Cachée derrière des chiffres que médias et politiques essaient d’analyser, commentent. Ses dimensions humaines et spirituelles sont aplanies, disparaissent. Elle nous touche pourtant au plus profond de l’être que nous avons construit avec le temps. Nous interroge. Nous remet en question comme aucun autre événement de la vie n’y parvient.

La Mort. Trois hommes ou femmes (on ne sait pas qui ils sont) ont quitté leur corps cette semaine, emporté nous dit-on par le covid 19. Ce sont les derniers chiffres de la préfecture, tombés mardi 28 septembre. D’autres sont morts sur la route, par la surconsommation d’alcool ou de cigarettes, les maladies variées, les causes inexpliquées à un âge prématuré. Certains sont partis car ils étaient vieux. 

A chaque fois, c’est une épreuve.

On nous a laissé démunis

On sent bien qu’elle nous échappe, on ne parvient pas à la définir, à l’expliquer. On demande des preuves. On nous a laissé démuni face à elle. Avec l’envie d’en parler, de laisser sortir les mots coincés dans la trachée étroite de la gorge.

Je déglutis.

La mort a emporté mon premier proche de cœur, en un instant, sans prévenir. Elle a ouvert la porte et il a franchi le seuil.

Je la connais déjà pourtant. Depuis toujours en réalité. Comme une amie qui m’a toujours accompagnée, conseillée à l’oreille, attirée à elle, laissée croupir parfois. La mort, la transformation. Elle a pris d’autres formes dans ma vie que celle de réduire un corps gaillard en cendres. Déversées sur le pont Alexandre 3, parties vers les confluents de la Seine, rejoindre la mer. Elle est passée car c’était l’heure.

Personne ne peut ressentir ce qu’il se passe en moi, à cet instant. Personne ne le vivrait de la même manière d’ailleurs. Les autres ne comprennent pas. Je suis seule, seule dans ma peine, seule dans mes souvenirs, seule dans mes instants de joie aussi. Pourtant, tout ce dont j’avais besoin s’est présenté à moi. Aide d’inconnus, messages de proches, partages intenses avec la famille. En réalité, je n’ai pas été seule un seul instant.

Que me reste-t-il de lui?

Ses affaires sont restées là, intactes. Il va ouvrir la porte d’un instant à l’autre. Son rire teinté de ce joli accent chaleureux va résonner dans l’appartement. Mais il ne vient pas. On a vu son visage blafard, exsangue à l’hôpital, le corps vide. A sa place, c’est l’absence et le manque.

Si soudain. Que me reste-t-il de lui? Même pas un nom, la forme de mon front peut-être, ses enseignements, son histoire. Quelles étaient ses dernières paroles?

Le corps, cet objet ultime. Celui-là, on croit qu’il nous appartient jusqu’au bout pourtant. Notre chaire, Notre sang. Celui par lequel on se définit. Notre identité. Même celui-là ne nous appartient pas finalement. 

On est obligé d’accepter de tout perdre, d’accepter de continuer d’avancer sans l’autre, sans l’avoir décidé. Contraint d’accepter de ne plus pouvoir lui parler, le toucher, accepter qu’il disparaisse à nos yeux. Accepter de tout lâcher sans savoir ce qu’il se passera ensuite.

L’épreuve de la solitude

Chacun de nous est seul sur son chemin et l’attachement physique n’est qu’une chimère. On a pu l’oublier des années et des décennies. La Mort nous le rappelle. 

La mort nous ramène à notre individualité. Que l’on soit celui qui part comme celui qui reste. C’est l’épreuve de la solitude et de la totalité. De l’incertitude et de la sécurité. De la perte et de l’Amour. De la confiance en la Vie.

Nous n’avons pas le choix.

Sans confiance, pas de passage. Nou res la mem. Bloqué. Pire, on croit que l’on peut l’empêcher, la braver, la tenir éloignée. On aimerait encore contrôler. Impossible. C’est simplement plus lent, peut-être plus douloureux.

Kan nou mort ousa nou sava?

Jéromine Santo-Gammaire

A propos de l'auteur

Jéromine Santo Gammaire | Journaliste

En quête d’un journalisme plus humain et plus inspirant, Jéromine Santo-Gammaire décide en 2020 de créer un média indépendant, Parallèle Sud. Auparavant, elle a travaillé comme journaliste dans différentes publications en ligne puis pendant près de quatre ans au Quotidien de La Réunion. Elle entend désormais mettre en avant les actions de Réunionnais pour un monde résilient, respectueux de tous les écosystèmes. Elle voit le journalisme comme un outil collectif pour aider à construire la société de demain et à trouver des solutions durables.