Le président du Département, Cyrille Melchior, annonce avoir demandé « le retour définitif à La Réunion », des restes humains d’esclaves de Bourbon retrouvés au Musée national d’histoire naturelle à Paris. Le musée de Villèle se positionne pour en assurer la conservation et la protection. Les deux musées ont convenu d’un prêt de 5 ans renouvelable pour « deux bustes et un squelette ».

Le silence n’était plus tenable ! Le musée de Villèle a bien engagé une procédure avec le Musée national d’histoire naturelle de Paris pour récupérer les restes humains d’esclaves réunionnais retrouvés dans les collections du Musée national d’histoire naturelle. Après deux mois de sollicitations suite à la révélation de cette découverte par Parallèle Sud, le président Cyrille Melchior a répondu ce mercredi 7 mai, par écrit, à nos questions.
Ces dernières semaines, un collectif d’une quarantaine d’associations culturelles et mémorielles, boudé par l’ensemble des médias locaux, s’est ému de cette découverte, en a demandé la restitution à La Réunion et a rédigé un appel. On y lit, entre autres demandes, « la création d’un musée public de l’esclavage où seront exposés tous ces masques et ces bustes de nos ancêtres esclavisés et engagés ». Et de préciser : « Ce lieu doit être un lieu public et non pas un lieu d’habitation d’anciens maîtres esclavagistes tel le musée Desbassayns, car ce serait faire preuve d’un manque d’éthique que de faire retourner ces restes humains sur le lieu de leur exploitation inhumaine. »
Par « musée Desbassayns », ce collectif désigne évidemment le musée de Villèle géré par le Département sur le terrain donné par la famille de Villèle et sur lequel est érigé la riche demeure de l’esclavagiste Madame Desbassayns. Voilà qui rend l’affaire particulièrement sensible comme le sont toutes les procédures de restitutions de restes humains pillés, exposés et collectionnés par les musées européens en un temps, pas si lointain, où ceux qui se définissaient de « race blanche » se voulaient supérieure à toutes les autres.
Une convention signée au 1er trimestre 2025
Parallèle Sud mais aussi Mediapart ont relaté la démarche bien actuelle des outre-mer pour réclamer leurs morts de l’époque coloniale et les destiner à des rites funéraires afin d’apaiser les mémoires. Le collectif, amené par Rasin Kaf, ainsi que les députés Frédéric Maillot et Karine Lebon, avec leurs collègues guyanais, guadeloupéens et polynésiens, participent au débat pour écrire le cadre légal de ces restitutions, dans le respect des mémoires des descendants d’esclaves.
Le conseil départemental a quant à lui « temporisé sa communication ». Alors que Ghislaine Bessière, présidente de Rasin Kaf, s’interrogeait sur une mystérieuse convention, Cyrille Melchior confirme aujourd’hui l’existence de cette convention entre le MNHN et le musée de Villèle « officiellement signée au 1er trimestre 2025 ».


Le Département indique avoir appris l’existence de moulages et de restes humains réunionnais conservés à Paris en marge d’un colloque organisé par le professeur Prosper Eve, fin 2023. « Les services du Département ont alors immédiatement contacté la chercheuse (ndlr : Klara Boyer-Rossol) qui a évoqué cette existence ainsi que la direction du musée de l’Homme, qui ont confirmé cette information, précise Cyrille Melchior. J’ai donc adressé, dès le début de l’année 2024, un courrier au président du musée de l’Homme pour l’informer que le Département porte un projet de musée de l’histoire de l’esclavage et qu’il souhaite entamer une discussion sur cette question précise des moulages et des restes humains, en vue de leur retour définitif à La Réunion. »
Deux bustes et un squelette prêtés pour 5 ans
Le Département avance prudemment sur les modalités de ce retour mais il estime avoir la légitimité et l’expertise pour assurer l’étude, la conservation et la protection des moulages et restes humains. « Ces moulages et restes humains sont fragiles. Il est primordial de veiller scrupuleusement à leur sécurité, qu’il s’agisse de conditions climatiques ou de leur intégrité matérielle. Enfin, poursuit le président du Département, quelle que soit l’orientation retenue, une ligne de conduite s’impose : respecter la dignité des personnes concernées par ces bustes. Il ne serait pas cohérent de critiquer les mauvais traitements subis de leur vivant tout en cédant nous-mêmes, à l’improvisation, à l’instrumentalisation ou à des polémiques stériles. »
Le Département annonce qu’un premier programme de recherches historiques, documentaires et généalogiques est en cours. Étonnamment, il n’implique pas (pas encore ?) l’historienne à l’origine de la découverte qui est experte en matière de restitution pour avoir encadré les procédures de restitution de bustes mozambicains à Maurice et de crânes sakalava à Madagascar.
Alors que le chemin s’annonce long sur le plan scientifique mais aussi législatif, les services du Département et du MNHN ont déjà convenu un prêt de 5 ans renouvelable concernant une partie des restes issus de la collection Dumoutier, le phrénologue qui avait prélevé plusieurs crânes à l’hôpital colonial de Saint-Denis en 1840 lors de l’escale bourbonnaise de l’Astrolabe et la Zélée. Les deux musées ont déjà identifié pour ce premier prêt « deux bustes et un squelette ».
Cyrille Melchior : « Je fais partie des descendants d’esclaves »
Si la loi concernant les restitutions outre-mer n’est pas adoptée pour permettre ces retours, le Département annonce qu’il s’appuiera sur « une loi de 2002 offrant la possibilité de transfert définitif de musée à musée ». Quant aux protestations des associations culturelles et mémorielles, Cyrille Melchior promet : « Dès le lancement du projet de musée, le Département a affiché sa volonté de dialoguer et aussi de fédérer. Les services inviteront donc prochainement les associations concernées à un échange, à un moment où les premiers éléments d’analyse permettent désormais un dialogue constructif et éclairé. »
Il lie ainsi les projets de retours des restes humains à la « création d’un musée de l’esclavage » à Villèle sur le site de l’actuel musée historique. « Ce projet a été adopté à l’unanimité par les conseillers départementaux dont beaucoup sont eux-mêmes descendants d’esclaves. J’en fais moi-même partie », insiste-t-il. Le chantier doit démarrer en 2026 et va « enserrer les éléments actuels du musée dans un ensemble plus vaste, plus dense, plus moderne aussi ».
« Absurde » de créer un musée de l’esclavage ailleurs qu’à Villèle
Pour répondre au reproche de la localisation sur la demeure d’une esclavagiste, il déclare : « Oui, le nouveau musée va s’ériger sur un domaine qui est très chargé sur le plan historique et mémoriel. Mais, il ne sera ni « coincé » dans ce domaine ni soumis à la figure de Mme Desbassayns. Le discours scientifique du musée replacera l’esclave et l’esclavage au centre du parcours muséographique. Il s’élèvera au-dessus du lieu et prendra ses distances avec les représentations dominantes. »
Le Département assume totalement le parti de Villèle car le site présente les témoignages concrets de l’histoire : une maison de maître, une usine, un hôpital, une chapelle, un chemin pavé menant au kan d’esclaves qui vient d’être mis à jour, des plantations de canne, de coton, de café… « Ce serait absurde de se priver de ces traces pour aller en créer d’autres ailleurs », remarque Cyrille Melchior.
Et il juge « injuste » le reproche selon lequel le musée serait « complaisant » avec le passé esclavagiste de La Réunion. « Le musée de Villèle n’est pas complaisant, pas plus que les autres. En revanche, force est de constater que l’histoire de l’esclavage n’est véritablement traitée dans aucun musée ou lieux de mémoire à La Réunion. Notre ambition est donc de lui donner toute sa place dans ce lieu majeur qu’est le musée de Villèle », conclut-il
Franck Cellier
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