LIBRE EXPRESSION
Jeudi 27 avril, juste après la publication de la lettre du professeur Prosper Eve au préfet plaidant pour la conservation en l’état de la statue de Mahé de La Bourdonnais, madame la Maire Ericka Bareigts, en tenue de procureure générale et encadrée par deux assesseurs, le préfet et le commandant supérieur des FAZSOI, se livre une nouvelle fois à un violent réquisitoire contre Mahé de La Bourdonnais. Tout le monde a bien compris que la prétendue nécessité de réaménager les lieux n’est qu’un coûteux artifice (2.700.00,00 €) visant au principal à éliminer la statue.
Un procès d’assises 270 ans après la mort de l’accusé
Madame la maire passe en force, fait fi des arguments des historiens qui ont démontré l’aberration de son projet d’un point de vue historique et pédagogique. Elle se lance dans un cours d’histoire tronquée : « Mahé de La Bourdonnais était inhumain et criminel, sa statue doit être soustraite de l’espace public, etc. ». Le déplacement est annoncé comme imminent.
Le préfet, monsieur Jérôme Filippini, qualifie le projet de Madame Bareigts de « solution d’apaisement » obtenue dans la concertation. Mais avec qui y a-t-il eu concertation ? Avec un « comité scientifique » à la botte, érigé en partie civile. Ce comité est constitué de diverses associations et personnalités réunionnaises dont beaucoup sont séduites par le virulent discours antifrançais de Kémi Séba, franco-béninois raciste, hostile aux métis et au métissage, et par ailleurs agent d’influence du régime russe. Parmi ces personnalités, Jean-Matthieu Laude-Persée (ex-chef de cabinet de Gilbert Annette, Réveil Citoyen Réunion, Komité Réyoné Panafrikin), Frédéric Maillot (Réyoné Soubat Kont Profitèr, Croire et Oser, élu à la Région Réunion, Député PLR/NUPES), Ghislaine Mithra-Bessière (anthropologue, Rasine Kaf), Patricia Profil (vice-présidente de la Région Réunion, proche de Gilbert Annette)… et quelques autres.
Pourquoi ne pas avoir sollicité les universitaires réunionnais qui, depuis des décennies, font un travail remarquable sur l’histoire de La Réunion, pour dire les choses sans tomber dans la caricature ? Parce que précisément, ces personnalités compétentes et indépendantes auraient pu avoir une opinion différente de celle de la maire de Saint-Denis ?
Monsieur le Préfet, aligné à l’évidence sur l’avis du ministère de la culture, nous donne une interprétation inattendue de ce qui devrait être, en principe, une protection au titre des monuments historiques : « Protégé, cela ne veut pas dire immobile et indéplaçable », dit-il. Ce faisant, il va à l’encontre de l’engagement du président Macron qui, lors de son discours au Panthéon pour les 150 ans de la République, le vendredi 4 septembre 2020, a déclaré que « la République ne déboulonne pas de statues ». Monsieur le Préfet, La Réunion fait-elle encore partie de la République française ? Ou alors, sans sombrer dans la paranoïa, le gouvernement serait-il en train d’accompagner « en misouk » un projet de profonde « évolution statutaire » dont le déplacement de la statue de Mahé ne serait qu’une préfiguration symbolique ? Autre hypothèse, plus prosaïque, est-ce un soutien de votre part aux ambitions politiques de madame la Maire?
Dans le procès de madame Bareigts, il n’y a pas de jury populaire, la population dionysienne n’est pas consultée. Elle doit accepter une décision autoritaire, non débattue par l’opposition municipale mais validée par Paris, comme aux plus beaux jours de la Compagnie des Indes. Un exploit pour une municipalité qui fait de la concertation son leitmotiv, à condition bien entendu que cette concertation soit correctement orientée et aille dans le sens qu’elle souhaite.
Les Réunionnais doivent refuser cet oukase pour au moins deux raisons. Tout d’abord, Madame Bareigts semble avoir oublié que nombre de Réunionnais descendent à la fois d’un esclave et d’un esclavagiste. Nous sommes à la fois Anchaing et La Bourdonnais… même madame la Maire ! De quel droit s’autorise-t-elle à nous priver de ce qui fait notre identité et notre grandeur ?
Ensuite, parce que cette décision procède du refus obstiné de tenir compte, d’une part, de ce que représente vraiment Mahé de La Bourdonnais lui-même et, d’autre part, du contexte qui prévalait sous nos latitudes sous l’Ancien Régime.
Le plaidoyer de la défense caricaturé
Si le grand gouverneur Henri Hubert Delisle a érigé une statue en l’honneur de Mahé en 1856, c’était pour honorer un autre grand gouverneur qui a déployé toutes ses qualités et son énergie au service des intérêts supérieurs de la France et des Mascareignes. L’éditorialiste du J.I.R., dans son édition du 29/04/2023, écrit que l’intention était, de la part de ce « représentant des ‘’classes dominantes’’, d’avertir la société post-esclavagiste que, malgré l’abolition, le système resterait en place » ; il diabolise en outre les opposants au déboulonnage, qualifiés « d’identitaires de droite qui montent aux rideaux ». Tout ça pour tenter de légitimer son soutien au projet de Madame Bareigts.
Calomnié en son temps par des rivaux jaloux des succès de ce grand commis de l’Etat, Mahé est emprisonné pendant trois ans avant d’être innocenté.
Il était raciste, prétend l’association Laproptaz nout péi. C’est faux ! Renvoyons donc encore une fois ces faux historiens à ce que nous en disent les vrais historiens : sans se soucier du qu’en dira-t-on dans la société raciste de son siècle, Mahé assume ses responsabilités envers sa fille, Marie-Madeleine Mahé, née d’une liaison avec une esclave (voir Bertrand-François Mahé de La Bourdonnais : entre les Indes et les Mascareignes, Jackie Ryckebusch).
D’éminents universitaires, dont Prosper Eve, ont listé toutes les mesures prises par Mahé pour exiger des propriétaires que leurs esclaves soient correctement traités. Mahé a aussi été le premier gouverneur à offrir aux esclaves la possibilité de revêtir l’uniforme afin de se battre sur un pied d’égalité aux côtés de soldats blancs ou libres de couleur.
Un contexte historique et géographique occulté
Certains osent reprocher à Mahé de La Bourdonnais de n’avoir pas aboli l’esclavage. C’est un piètre argument et de mauvaise foi parce qu’abolir n’était évidemment ni dans ses prérogatives ni dans l’air du temps.
Qui aurait aboli l’esclavage dans l’océan Indien avant l’arrivée des Européens ? Grâce notamment à des universitaires comme l’anthropologue Tidiane N’Diaye (Le génocide voilé), personne ne peut ignorer aujourd’hui que lorsque ces Européens arrivent dans l’océan Indien à partir du XVIe siècle, l’esclavage y est déjà largement pratiqué, depuis des millénaires, par des Africains asservissant d’autres Africains, puis par les Arabes qui ont razzié, castré et asservi pendant treize siècles dix-sept millions de Subsahéliens noirs.
Les Européens n’ont eu aucun mal à se procurer des esclaves : il suffisait pour ce faire de s’adresser aux nombreux marchands africains, arabes, chiraziens, malgaches.
Autre illustration de l’esclavagisme pré-européen, celui de Mayotte. Lorsque l’île est vendue à la France par le sultan Andriantsoly, l’esclavage y est installé depuis des siècles. Il y est aboli en 1846, soit deux ans avant les quatre « vieilles colonies », par Louis-Philippe et la Monarchie de Juillet. Les propriétaires d’esclaves, tous Mahorais de souche, sont tous indemnisés par la France.
Refuser ces réalités socio-historiques c’est refuser de comprendre que, malgré la prise de conscience progressive en Europe (qui est à l’origine, en France, de la Société des amis des Noirs), à La Réunion et ailleurs, l’esclavagisme est une tragédie perçue comme aussi inévitable que la guerre ou les cyclones par les Blancs, les Libres de couleur et même les Noirs. Sinon, comment expliquer que de respectables hommes de couleur, ardents défenseurs de l’abolition de l’esclavage, aient pu parallèlement posséder eux-mêmes des esclaves ? Ce fut par exemple le cas de Jean-Baptiste Lislet-Geoffroy, de l’affranchi Furcy, ou encore de Louis Timagène Houat que la ville de Saint-Denis vient de célébrer dans une sorte de devoir de mémoire sélective.
Pour un infléchissement du projet municipal inscrit dans la « voie du milieu »
Puisqu’il faut avancer, admettons que le projet de Madame Bareigts est inspiré par la volonté d’éteindre les réminiscences des souffrances des anciens esclaves que certains de leurs descendants souhaitent légitimement commémorer, certes de façon exclusive. A l’opposé, comprenons aussi l’indignation des citoyens qui refusent qu’un tel symbole de notre histoire locale et nationale soit ainsi sacrifié. Le square La Bourdonnais, ex-place du Gouvernement, a été le théâtre de bien des évènements, heureux et malheureux, qui ont forgé La Réunion d’aujourd’hui. Il pourrait constituer plus complètement un témoignage de l’histoire de notre île par l’adjonction, autour de la statue de Mahé de La Bourdonnais, de statues et plaques commémorant la révolte des esclaves de Saint-Leu de 1811, la proclamation de l’abolition par Sarda-Garriga en 1848, la loi de départementalisation de 1946… avec une indispensable exigence de qualité artistique en harmonie avec le chef-d’œuvre qu’est la statue de Mahé et le style XVIIIe siècle propre à l’Hôtel de Préfecture, monument classé, et ses dépendances : nos ancêtres, tous nos ancêtres, le méritent, et tous nos contemporains y gagneraient.
Christian Jean-Luc CADET, Association Fort Réunion
Voir par ailleurs la pétition TOUCHE PAS À MA STATUE :
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