Le « psychothérapeute de la bulle » sera jugé pour viol

[L’UNE DE SES PATIENTES A RÉUSSI À MENER SA PLAINTE JUSQU’AU BOUT]

Une faille dans le mur du silence. Après dix ans de procédures, de cris et de blessures, dix ans de doutes, de culpabilité et de pesanteur sociale, il est enfin possible de dire les faits : Jean-Francis Blondel, « psychothérapeute » saint-paulois non diplômé, influent dans les milieux d’affaires, sera jugé la semaine prochaine pour des viols répétés sur l’une de ses « patientes » après avoir abusé de ses fonctions pour la placer sous emprise. Pour une qui est allée au bout de sa démarche, combien de victimes se sont tues?

Il n’avait pas besoin de pub. Il n’a laissé aucune trace sur le web. Tout juste trouve-t-on encore son nom parmi les auteurs d’une publication du Bureau transversal des colloques, de la recherche et des publications de l’Université de La Réunion. Jean-Francis Blondel était pourtant réputé au sein de certains cercles, cadres supérieurs, patrons, médecins, universitaires. Depuis une trentaine d’années on faisait appel à lui pour souder des équipes et surtout régler des problèmes de couples.

Il était identifié comme le « psychothérapeute de la bulle », allusion à l’igloo en PVC qu’il avait installé dans son jardin saint-paulois. Il y recevait ses patientes pour leur prodiguer des « massages californiens » qui auraient dérapé vers des attouchements sexuels et des viols.

Une première tache au tableau apparaît le 12 mars 2012. Il se fait agresser au couteau par le compagnon de l’une de ses patientes. L’agresseur l’accuse d’avoir violé sa femme mais sa version n’est pas reconnue par le tribunal et il est condamné. La deuxième tache intervient en 2016 quand Jean-Francis Blondel est condamné à deux ans de prison avec sursis pour avoir filmé l’intimité d’un personne sans son consentement… Fin de l’histoire ?

Non, l’histoire ne s’est jamais terminée, elle avait commencé bien avant et c’est la cour criminelle de la Cour d’appel de Saint-Denis qui y mettra peut-être un terme, les 9 et 10 mars prochains quand elle jugera Jean-Francis Blondel « pour les faits d’atteintes sexuelles et de viols répétés à maintes reprises entre février 2011 et février 2012 en abusant de l’autorité conférée par sa fonction ». L’accusé est désormais âgé de 77 ans.

L’emprise et le consentement

Il aura fallu tout le courage et la persévérance de la victime, pourtant vulnérable, une très longue enquête riche en expertises médicales et psychiatriques et l’audition de plus d’une cinquantaine de personnes pour arriver enfin à un dénouement. Sans doute aussi faut-il évoquer l’évolution du contexte général qui fait que l’on écoute mieux les victimes et que la notion du « consentement » s’est précisée.

Jusqu’alors, l’accusé jouissait d’une bonne réputation. Une réputation qu’il avait soignée. Sans le moindre diplôme, il avait réussi à se faire recruter en 2008 par l’Université de La Réunion en qualité d’intervenant pour la mise en place du DU « écoute, communication et arbitrage de conflit ». De quoi s’interroger sur le sérieux des modes de recrutement de l’institution sachant qu’il a pu trouver des victimes parmi les étudiantes.

Face à lui une dizaine de victimes ont déclaré avoir été abusées par le personnage. Mais une seule est allée jusqu’au bout de sa démarche en déposant et en maintenant sa plainte malgré les pressions. Les autres ont préféré le silence, ou l’anonymat, par « honte », par « peur d’être prise pour une idiote ou une folle ». « Quand vous acceptez de rentrer dans la bulle, que vous acceptez que cet homme soit en tee-shirt et en maillot de bain et qu’il vous caresse au prétexte de vous aider à reconnecter votre corps à votre esprit. Quand, en plus, la prestation est gratuite et que vous y retournez, on va vous dire que vous l’avez bien cherché et que vous étiez consentante », commente, amère, Ludivine. Elle n’a jamais déposé plainte même si elle est bien consciente aujourd’hui d’avoir été placée et maintenue sous emprise.

La patiente obligée de se dénuder

Tout est en effet question d’emprise. S’il n’y a pas eu de violence physique directe, le ministère public et la partie civile s’attacheront à démontrer qu’il y a eu contrainte sous forme d’emprise psychologique. Jean-Francis Blondel, de par la fonction de psychothérapeute qu’il s’attribuait, avait affaire à des femmes particulièrement vulnérables, ayant subi de lourds traumatismes.

Il se proposait alors de les « aider » à reconnecter leur corps à leur esprit, généralement avec l’accord du mari. Il défendait l’option d’offrir cette « aide » gratuitement par soucis d’efficacité. Et cette aide consistait en un massage californien, la patiente était obligée de se dénuder. Sinon le « psychothérapeute » se fâchait.

Jean-Francis Blondel recevait ses patientes dans sa bulle-igloo, vêtu d’un simple tee-shirt et d’un maillot de bain. © Philippe Nanpon

Oscillant entre autorité et douceur, le masseur érotisait son geste et s’égarait progressivement vers les parties intimes de ses patientes. Etaient-elles alors tétanisées ou consentantes ? Les débats le diront. Les témoignages et accusations portent sur des attouchements, des fellations et des pénétrations.

La plaignante décrit quant à elle un processus totalement pervers mêlant chantages et menaces lorsqu’elle se montrait réticente. Les expertises psychiatriques tendent à démontrer qu’elle a été manipulée et fragilisée. Elle se rendait sous « la bulle » tous les mercredis. Elle a participé également à des stages organisés par Jean-Francis Blondel à Maurice et à Madagascar. Ce qui explique pourquoi les faits retenus par la justice se sont également déroulés dans la Grande-Ile.

La drogue du violeur

Elle a  eu la sensation d’avoir été droguée. Des traces de benzodiazépines ont été retrouvées dans l’analyse de ses cheveux, cette molécule a la faculté d’altérer les résistances morales et physiques et de provoquer des amnésies. Une perquisition au domicile de Jean-Francis Blondel a également mis à jour la présence d’une arme, de munitions, de 8 000 € en liquide et, surtout, de médicaments dont du Rohypnol, la fameuse « drogue du violeur » pour son effet sédatif hypnotique. Là encore, les débats permettront peut-être de comprendre avec quelle complicité, le violeur présumé alimentait sa pharmacie.

Depuis le début de l’enquête, l’accusé nie en bloc reprochant aux témoins à charge de colporter des « ragots » et de s’être entendues entre elles. Il n’empêche que les enquêteurs ont constaté qu’il a lui-même tenté de contacter certaines de ces témoins pour « synchroniser » les versions… Un faisceau d’indices concordants décrit une démarche consciente de sa part pour déceler la fragilité de ses patientes et les mettre en état de dépendance. La plaignante a quant à elle tenté à deux reprises de mettre fin à ses jours pendant l’instruction.

Le témoignage le plus ancien à notre disposition date de 1998. Nul ne sait si la bulle a explosé lorsque l’enquête a démarré en 2012. Combien de femmes fragiles ont-elles été abusées ?

Franck CELLIER

« Je venais pour me soigner et j’ai vacillé davantage »

Ludivine n’est pas son vrai nom. Elle est cadre, estime avoir réussi à se reconstruire tant bien que mal et porte un regard douloureux sur « la bulle » de Jean-Francis Blondel.

Elle a écrit au juge chargé de l’affaire pour dénoncer ce qu’elle a subi en 1998 et 1999. Les faits sont prescrits et elle n’a jamais reçu le moindre signe de la part de la justice. Elle ne se rendra pas au procès : « trop difficile ». Elle n’a pas envie que ses enfants entendent ça…

Verbatim :

« En 1978, j’ai subi un abus sexuel à l’âge de 12 ans. J’ai quitté ma famille à 13 ans… En 1994, mon passé m’a rattrapée et en 1998 mon mari d’alors me propose d’entamer une démarche thérapeutique et me met en relation avec M. Blondel. Dans notre milieu des chefs d’entreprises, impliqués dans la mise en place d’internet à La Réunion, il est décrit comme un homme exceptionnel. Il se présente comme chercheur du CNRS, spécialiste du cerveau…

« Mon mari et moi nous rendons ensemble chez M. Blondel. Il nous reçoit dans son cabinet, sorte d’igloo. Sa tenue me laisse pantoise, tee-shirt et maillot de bain. Il nous explique qu’il ne fait jamais payer ses séances pour la seule raison que cela permet de faire des thérapies bien plus rapides. Il nous explique que le fait d’être redevable accélère la guérison. Très rapidement, au bout de deux séances, il annonce à mon mari que c’est moi qui souffre d’un problème, qu’il doit donc me recevoir seule et que je dois entamer une thérapie. 

« Au fur et à mesure des séances, M. Blondel insiste pour que je me déshabille. Il dit qu’il faut que j’accepte mon corps et que cela passe nécessairement par des massages. Il me met sous emprise. Je suis tétanisée, comme collée à la table alors que ses massages sont de plus en plus envahissants. Il s’attarde sur le haut de mes cuisses et près de mes seins.

« Et c’est moi qui me sens fautive et incapable d’accepter mon corps. Blondel me dit que c’est moi qui dysfonctionne. Je vais de plus en plus mal. La dernière séance est gravée dans ma mémoire. Blondel approche sa bouche de mes seins et commence à me lécher. Je suis sidérée, paniquée. Je vois précisément que Blondel est en érection. Quand je lui dis ma détresse, Blondel s’énerve contre moi et me traite de menteuse.

« C’était une personne que j’allais voir pour me sentir mieux. Jamais je n’aurais pensé tomber dans les griffes d’un pervers comme ça. Je venais pour me soigner et j’ai vacillé davantage. A l’issue de cette thérapie perverse j’ai perdu mes repères, je me suis séparée de mon mari. Je suis rentrée dans une spirale destructrice, je n’avais plus aucune estime de moi-même.

« Je suis ensuite allée voir de vrais professionnels. Ils m’ont dit que jamais un thérapeute n’a le droit de toucher ses clientes. Une psychologue clinicienne pense que Blondel a utilisé des techniques d’hypnose à mon insu pour avoir une telle emprise sur moi. Comme s’il activait un ancien traumatisme pour me paralyser. Il est très fort pour détecter les faiblesses psychologiques et s’en servir à ses fins. 

« Comment voulez-vous déposer plainte après ça ? Vous avez été volontaire. Il était en tee-shirt et en maillot de bain et vous êtes quand même rentrée dans sa bulle. Les gens vous diront que vous êtes folle. Personne ne peut vous comprendre »…

A propos de l'auteur

Franck Cellier | Journaliste

Journaliste d’investigation, Franck Cellier a passé trente ans de sa carrière au Quotidien de la Réunion après un court passage au journal Témoignages à ses débuts. Ses reportages l’ont amené dans l’ensemble des îles de l’océan Indien ainsi que dans tous les recoins de La Réunion. Il porte un regard critique et pointu sur la politique et la société réunionnaise. Très attaché à la liberté d’expression et à l’indépendance, il entend défendre avec force ces valeurs au sein d’un média engagé et solidaire, Parallèle Sud.