LIBRE EXPRESSION
Je pense que sur mon île natale , cette résignation et cette démobilisation est à l’œuvre depuis trop longtemps. Je cherche à comprendre comment mes concitoyens se maintiennent dans ce système.
Est-ce dû au poids de la colonisation , de l’absence de fierté identitaire renforcée par l’assimilation offerte par la départementalisation, avec ses rituels d’humiliation et son recours constant au déplacement des populations et son offre d’entrer dans la société de consommation (sans fournir des secteurs d’emplois autres que la fonction publique et les grandes surfaces commerciales) à l’injonction de parler français , voir parler « Speak White » (Rf au poème de Michèle Lalonde) sans vraiment donner les possibilités de prendre en compte et d’expliquer la langue créole dans les apprentissages premiers . On part toujours du même constat : l’enfant qui entre dans le système éducatif est sensé maîtriser le français !
Je cite Dénetem Touam Bona dans un texte publié sur la situation à Mayotte : « La domisation a donc pour effet non seulement de stériliser les initiatives, les productions, l’économie locale mais aussi d’évider le « domisé » qui, au fur et à mesure qu’il perd ses savoir-faire, se voit contraint pour garder un minimum d’estime de soi de se réfugier dans l’apparat et le « folklore ». C’est la phase ultime de l’assimilation, une colonisation parfaite puisque méconnue comme telle et désirée par le « néo-colonisé ». Dans cette mise sous dépendance intégrale – une tutelle aussi insidieuse qu’invisible et confortable –, il devient toujours plus difficile d’exprimer des différends à l’égard de la Métropole et de ses représentants. Se met alors en place un processus d’autocensure permanent alimenté par une peur primale de nourrisson : (….) On ne saurait mordre en effet la main qui nous nourrit : trop peur de perdre ce qui nous a déjà perdu… »
Ici , les gens employés par les municipalités (comme si les mairies étaient devenues des pôles emplois) de n’importe quel bord politique , vivent comme si le chabouk ( ancien fouet des commandeurs sur les plantations ) avait changé de nom Chabouk « contrats aidés », chabouk « titularisation dans les trois mois » ; chabouk « sacs ciment »… .: ce chabouk c’est leur survie économique dans une île où le chômage est élevé , le « commandeur » est alors l’élu qui dispose de cette fameuse « indemnité compensatrice » qu’il utilise pour maintenir les gens dans une incapacité de réflexion sur ce système.
Il faut aussi rappeler que La Réunion est un territoire de fonctionnaires sur-rémunérés : cette sur-rémunération a créé un embourgeoisement des consciences , et une société à double vitesse et à double visage .
Le mouvement des GJ chez nous a duré un mois et a divisé la population , car ceux qui étaient dans la rue étaient des « racailles » (dixit un élu). Quand madame Girardin est arrivée de France pour nous porter la bonne parole ( « Vous aurez des sous ! ») et grâce à son courage à entrer en contact avec les foules, cela a fait l’effet d’un canadair éteignant un incendie .
Lors de la visite de Madame Borne , les sous ont été distribués et aucun élu n’a évoqué la réforme qui a mis tout le monde en colère . Ce sont les seuls qui ont pu l’approcher avec leurs beaux habits et leur sourire « tranche papaye » . Je reviens sur les propos d’une élue qui regrettait l’absence de travaux universitaires sur les causes de la violence à la Réunion. Ne lui en déplaise ! Beaucoup d’ouvrages ont été publiés à l’Université et par d’autres auteurs , mais comme elle le sait sûrement la loi de programmation de la recherche a mis un frein aux recherches .
Penchons- nous sur notre histoire particulière et essayons d’y apporter un espoir dans cette « prison aux barreaux d’eau salée » (Alex Sorrès) qu’est l’île de la Réunion .
Nathalie Ethève-Merlac