Madagascar entre le tourisme et le droit coutumier

Dans le cinquième pays le plus pauvre du monde malgré ses richesses, d’après le dernier rapport de la Banque Mondiale en octobre 2024, le tourisme est une mane qui est captée par des investisseurs de plus en plus important. Des grands projets voient le jour et d’autres se préparent tandis que la population ne bénéficie pas de cet apport économique. Au contraire, elle subit voire même en pâtit.

Paradoxal développement à Madagascar. Tandis que l’État malgache multiplie les projets touristiques de luxe pour attirer les investisseurs étrangers, les voix s’élèvent dans plusieurs régions contre des expropriations arbitraires, un accaparement silencieux des terres, et le mépris des droits des populations locales.

Le président Andry Rajoelina en fait un pilier de sa stratégie : « Cinq hôtels cinq étoiles sortiront de terre dans les prochains mois », a-t-il déclaré lors du Salon international du tourisme de Madagascar en juin 2025. L’objectif ? Atteindre un million de visiteurs internationaux d’ici 2028. Le tourisme représente déjà près de 15 % du PIB et fait vivre 350 000 personnes. Et pour aller plus loin, l’État courtise les fonds du Golfe : en janvier 2025, les Émirats arabes unis annonçaient un investissement de 10 milliards de dollars dans dix secteurs, dont les ports, l’énergie… et l’hôtellerie.

Mais derrière les chiffres, une autre réalité affleure : celle de familles déplacées, de terres gelées, d’accords opaques et de communautés inquiètes.

Nosy Mitsio ou le luxe au prix du silence

Située entre Nosy Be et Diego, l’île de Nosy Mitsio abrite quelque 2 000 habitants. En 2022, l’État y a lancé un appel à investisseurs pour un complexe hôtelier de luxe. Depuis, les terres sont bloquées. Aucun habitant ne peut faire reconnaître sa propriété.
« La délivrance des titres fonciers est gelée depuis 2019. Nous vivons dans l’incertitude totale », alerte Bellarmin Ndrianompoarison, infirmier sur l’île.

Pour Mamy Rakotondrainibe, du collectif Tany, ce projet est emblématique : « Il entraînera des déplacements de population, et comme d’habitude, tout se fait dans l’opacité ». Le ministre du Tourisme, lui, défend une stratégie « gagnant-gagnant », tout en admettant que tant que les contrats ne sont pas signés, « la discrétion » reste la règle.

Nosy Sakatia en sursis

À quelques kilomètres de là, Nosy Sakatia, île paisible peuplée d’un millier d’habitants, fait aussi l’objet de tensions. En 2016, l’État loue une partie de l’île à la société Green Mada Land pour y implanter un hôtel. Aucun titre foncier, aucune consultation. En mars 2025, des topographes débarquent.
« Nos maisons, nos rizières, nos pêches… nous allons tout perdre », s’inquiète Félicia Mevazara.

Le bail, de 50 ans, est toujours valable, bien que son annulation ait un temps été envisagée par un ancien ministre. Et les promesses d’emplois ne convainquent pas : « Regardez à Nosy Be : tous les postes clés ont été confiés à des Européens. Les Malgaches sont guides ou femmes de ménage », souffle une habitante.

L’armée pour chasser les familles

À Mahajanga, en 2016, c’est sous la menace que des dizaines de familles ont été sommées de quitter leurs maisons. Motif : construire un hôtel sur un terrain détenu par la société Madécasse. Huissier, gendarmes, militaires… 300 familles ont dû quitter un quartier pourtant électrifié, doté d’eau courante et habité depuis des décennies.
« On nous a donné deux heures pour partir. Et on nous a dit : que ça vous plaise ou non, c’est un projet d’État », raconte un habitant. Les plus âgés dormaient encore sur place, refusant de céder.

Une route, 2 500 familles menacées

Même scénario en 2018, à Andrianotapahana, près d’Antananarivo. Une route est en construction pour relier une grande entreprise à l’aéroport. Mais aucun tracé officiel, aucune compensation, aucun avis.
« C’est comme aller au marché, voler la marchandise et dire qu’on paiera plus tard », fulmine Père Innocent, directeur d’école dont le terrain est en partie concerné.

L’entreprise Filatex, accusée de profiter de cette opération, se défend : « Nous ne sommes pas à l’origine du projet. Nous-mêmes risquons d’être expropriés ». Mais l’impression d’un pouvoir au service des plus puissants est tenace.

Une constante : l’opacité

Qu’il s’agisse de projets nationaux ou étrangers, le scénario se répète : l’État revendique l’intérêt général, les investisseurs se disent porteurs de développement, mais sur le terrain, les communautés locales sont rarement consultées. Le droit coutumier est ignoré. Les titres fonciers sont inexistants ou bloqués. Et les procédures d’expropriation manquent de transparence, voire de légalité.

« À chaque fois qu’il y a un projet d’investissement, les dirigeants pratiquent une éviction systématique. C’est toujours l’intérêt économique de quelques-uns qui prime », dénonce le collectif Tany.

La promesse du développement

Faire de Madagascar une destination touristique de luxe ? Pourquoi pas. Peut-on parler de développement quand les familles doivent fuir leurs terres et quand les décisions sont prises sans débat ?

Tant que les projets seront conçus sans les habitants, et tant que les terres seront offertes sans reconnaissance des droits coutumiers, la promesse d’un tourisme durable et de développement restera un slogan creux. Le luxe a déjà commencé à s’installer. Le reste du pays, lui, attend.

Jean Fauconnet

  • Crédit photo : RFI/Sarah Tétaud
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A propos de l'auteur

Jean Fauconnet

Journaliste. Engagé depuis de nombreuses années pour le respect des droits, Jean contribue au média Parallèle Sud de diverses façons.

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