LIBRE EXPRESSION
Bien sûr, la ville ne s’est pas faite sans elles. Comme dans toute société, le rôle des femmes est capital. Même quand elles sont dans l’ombre de leur mari ! Certaines se sont particulièrement illustrées en 1955. Dans le cadre de leur ville, Savannah. Plus précisément, au niveau du centre-ville.
Un promoteur, aussi ambitieux que cupide, réussit à convaincre la municipalité que, dans le quadrilatère historique, le nombre de parcs et de squares (24) est trop important. Aux quatre coins de quelques espaces verts — deux ou trois, dans un premier temps ! — cet homme d’affaires propose de construire de petits immeubles de 2 ou 3 étages. Dans l’esprit des constructions voisines, évidemment. De très haut standing, ces 4 ou 6 appartements par bloc sont susceptibles de rapporter de belles sommes à la ville, via les impôts fonciers et locaux. Au plus haut niveau, le marché est conclu. (1)
Dans cette ville bourgeoise d’importance moyenne, tout se sait, à plus ou moins long terme. Le secret est une confidence que l’on ne dévoile qu’à une seule personne… Un beau matin, les engins de chantier, étant tout sauf discrets, arrivent à la queue leu leu. Le téléphone sonne. L’alerte est donnée. Comme prévu, des femmes, volontaires et déterminées se rassemblent en un temps record. Se tenant par la main et scandant « Over our dead bodies ! » (2), elles font front aux bulldozers et autres machines maléfiques. Sidérés par cette manifestation féminine, les chauffeurs stoppent net. Le chef des travaux tente une hypothétique négociation : « Ce n’est pas nous ! C’est notre patron ! On ne fait qu’exécuter les ordres ! » En vain ! Ne voulant rien savoir, les femmes improvisent un sit-in. Elles ne bougeront pas d’ici avant que les engins — et le maire — reculent. (3) Ce sera chose faite, en fin de matinée : gagné !
Relayée par les différents médias, locaux et nationaux, l’action des femmes de Savannah est devenue, les jours suivants, le signal d’une gigantesque campagne de restauration urbaine. Peut-être la plus importante du genre aux Etats-Unis ? Plus de 1 000 maisons sont inventoriées, cataloguées, puis restaurées, au cours des années suivantes. Nouvellement créée, la Commission historique de la ville de Savannah orchestre les travaux, sous le regard vigilant des initiatrices. Dans tous les squares, les puits d’antan sont remplacés par des fontaines ou des statues. Onze années plus tard, en 1966, le succès de cette opération de rénovation est à l’origine du classement du centre-ville au rang de « site historique national », promotion attribuée à quelques rares sites étatsuniens méritants.
Bravo, mesdames ! Grâce à vous, non seulement les fameux « squares d’Oglethorpe » sont toujours là — ils participent grandement au charme de votre cité — mais, la mise en valeur de l’ensemble du quadrilatère historique constitue un atout touristique de premier plan. Et, pour vous, au quotidien, un cadre de vie de qualité exceptionnelle. Gageons que 2016 verra le cinquantième anniversaire de votre promotion nationale fêté comme il se doit !
- Une autre version fait allusion au projet de démolition d’un pâté de maisons du 18e siècle. Mais, qu’importe !
- « Nous, vivantes, jamais ! » ou, plus prosaïquement :
« Uniquement, sur nos corps morts (vous passerez) ! »
- Quelques personnes prétendent qu’un conducteur de bull est descendu de sa cabine pour se joindre aux « rebelles ». Succombant sous leur détermination ou sous leur … ?
Remarques :
- Si un certain romantisme transparait dans la relation ci-dessus, il est le fruit des cogitations d’un touriste de base… Le vrai voyageur n’oublie pas que l’origine de la fortune de Savannah vient des énormes profits réalisés dans le cadre de la monoculture du coton. Donc, de l’exploitation honteuse, pendant environ 130 années, du travail des esclaves noirs. Dont les descendants n’habitent pas le centre-ville, en ce début de 21e siècle !
- Une autre femme est à l’honneur dans cette ville portuaire de la côte Est : Florence MARTUS (1869-1943). Son histoire fera l’objet d’un autre document. A suivre !
- Comme dans tous les ports, ou presque, il existe des femmes aux mœurs dites « particulières ». D’après quelques mauvaises langues, elles « travaillent » dans des maisons « spéciales ». A Savannah, on les reconnaît, les maisons, au chat de porcelaine posé près de certaines fenêtres. Un chat blanc, tacheté de petits cœurs rouges, avec des yeux de verre éclairés de l’intérieur par une ampoule de couleur. Verte ou rouge ? A vérifier !!!
Texte élaboré début mars 2016, par Michel Boussard, au Tampon
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