LIBRE EXPRESSION
Notre réponse est assurément oui ! La recherche fondamentale sur le cancer rejoint les apports qualifiés de « révolutionnaires » de la dimension neuroépigénétique dans les maladies (voir Isabelle Mansuy, 2019), notamment le cancer pouvant interférer dans cette manifestation considérée comme une émergence de cellules « anarchiques ». Nous suggérerons de changer notre regard et d’envisager cette manifestation paradoxalement comme une manifestation de vie d’une cellule — vite rejointe par d’autres cellules — pour proliférer aux caractéristiques immortelles en boite de culture. Elles tentent de fuir un environnement qui ne leur est pas vitalement favorable. Notre interprétation hypothétique serait que ces cellules pour se maintenir en vie adopteraient une codification génétique ancestrale, inscrite dans leur génome, les désolidarisant des organes dans lesquels elles sont incluses. Dans cette nouvelle perspective, le chercheur Frédéric Thomas, biologiste moléculaire et évolutionniste, suggère une perception radicalement novatrice en affirmant que « nous sommes tous au minimum des cancéreux asymptomatiques » (Revue « Pour la science », n° 505, pp. 34 à 39. La Revue rend hommage à Frédéric Thomas (1)). Dès lors nous envisageons dans ce courrier le cancer sous l’angle de la phénoménologie car pour des personnes considérées « à risque » cette « affection » touchera certains, en épargnant d’autres. Ceci devrait entraîner un changement d’attitude dans l’agencement des soins consistant à mener une investigation clinique fine pour comprendre la logique existentielle singulière qui lie ce « syndrome » à la personne touchée. Nous pensons à un accompagnement psychothérapeutique parallèlement à celui d’ordre médical.
D’autre part, du fait des travaux de Jean-Pascal Capp, 2012, (2) — qui conduisent à pouvoir, semble-t-il, exclure la dimension génétique comme facteur direct et explicatif du cancer — cet obstacle épistémologique levé, l’attention se tourne désormais vers la dimension environnementale des cellules. Cela libère ainsi l’imaginaire des chercheurs, les incitant à explorer d’autres voies.
Nous évoquons un début de possible explication avec les travaux du grand biologiste Faustino Cordon (1909-1999), chercheur à l’Institut d’études de biologie évolutionniste à Madrid. Il fait de « l’alimentation » « la base de la biologie évolutionniste », (1977). Il fut mis à contribution par Patrick Tort, directeur du « Dictionnaire du darwinisme et de l’évolution » dans la rédaction de la rubrique consacrée à la « cytologie ». Patrick Tort aura grandement contribué à faire connaître ce grand chercheur hors des milieux hispaniques. Dans cette rubrique, Cordon critique la vision communément véhiculée par les biologistes se référant conventionnellement à Rudolf Virchow, Berlin, (1858) et influençant les cancérologues. « D’une manière quasi exclusive et toujours d’une manière préférentielle, l’investigation cytologique se concentre sur le noyau et la primauté des acides nucléiques, sur la participation de celui-ci à la division cellulaire », p. 754, …, « mais avec l’effet de perdre de vue le problème de l’unité animale », p. 755 ; et non sur les interactions cellulaires avec l’environnement in vivo, (3).
Dans nos sociétés où la famine a quasiment disparu, la recherche alimentaire n’est plus vécue comme fondatrice du vivant, tout associée à l’action dans sa recherche. Cette « biologie évolutionniste » de Cordon s’accorde avec la biologie des comportements de base tels qu’Henri Laborit les présente : boire, manger, copuler, agir et rechercher du plaisir, fuir et lutter en cas d’agression. Leur inhibition, lorsqu’elle s’installe durablement, conduit à une avalanche des perturbations entraînant bon nombre de physiopathologies ou biopathies comme le cancer. Dans un précédant courrier, nous avons émis l’hypothèse que :
— l’alimentation régulière où se retrouvent des adjuvants toxiques ;
— l’affaiblissement éducatif et psychologique de l’élan vital dès la conception du bébé d’homme, — ou et encore diverses agressions regroupées sous la rubrique « stress »
pouvaient générer des tissus rétractés, englués de produits toxiques (telle la nicotine), sous vascularisés ; dans lesquels stases énergétiques, miasmes, infections, affaiblissement immunologique, produiraient un environnement cellulaire plus ou moins morbide susceptible de constituer un « terreau » cancérigène.
Les travaux de Cordon en cytologie évolutive à partir des tissus de l’estomac nous font comprendre la genèse des premiers neurones et cellules gliales d’une part. D’autre part, l’on comprend ainsi l’insatisfaction de Laborit d’intervenir chirurgicalement sur le symptôme pour en extraire des ulcères. L’estomac (qui semble avoir été précurseur dans l’émergence neuronale et gliale) est aux premières loges des organes catalysant les conséquences de l’anxiété et de la pénurie de nourriture. On imagine aisément la majoration de stress lorsque la personne se retrouve dans une situation d’angoisse dont Laborit disait qu’elle résulte d’une incapacité à maîtriser une situation.
La question préalable à cette hypothèse que nous posons est : La cellule ressent-elle les variations physico-chimiques de son environnement ? Selon un raisonnement censé être logique, la réponse est oui. La cellule devrait ressentir ce qui est favorable à sa vie ou ce qui lui porte atteinte, ce qui lui est néfaste. Ceci se vérifie suite ainsi aux expériences d’agression d’une amibe qui fuit la source de l’agression selon une direction opposée au stimulus. La cellule devrait ressentir les changements métaboliques dans son « être », ce qu’affirme Faustino Cordon. C’est là que son apport est déterminant ; et cela dès sa recherche de nourriture, selon sa formule consacrée explicitée par sa fille Teresa Cordon (4). Ainsi, concernant l’instant très bref d’une cellule ou d’un groupement de cellules, à l’instant de leur existence : l’attention sera portée sur « la qualité de se constituer en être vivant, c’est-à-dire de devenir un foyer d’action et d’expérience ». Son père qualifie l’expérience de « caractère essentiel des êtres vivants ». Et Teresa Cordon poursuit : « L’affirmation suivant laquelle un champ magnétique éphémère établi par des cellules déterminées et dans des conditions déterminées (à partir de l’interférence instantanée de deux autres champs, celui du stimulus afférent et celui du stimulus efférent) acquiert, dans l’instant très bref de son existence, la qualité de se constituer en être vivant, c’est-à-dire de devenir un foyer d’action et d’expérience, est pour le moment indémontrable ; nous disposons seulement de la donnée empirique générale qui est que tout animal, naissant de son ontogenèse, se constitue en un nouveau foyer d’action et d’expérience, qui disparaît lorsqu’il meurt, et le fait expérimenté de ce que nous nous sentons être comme les animaux que nous sommes. La validité de ce postulat lui sera donnée par la cohérence qu’il apportera ou non à l’interprétation des données empiriques et expérimentales », ouvrage « Pour Darwin », p. 494, (4).
Un autre regard sur la vie et la « conscience » cellulaire
Lors de l’émission animée par Mathieu Vidart, « La tête au carré », du 14 avril 2019, Alexis Gaudreau, directeur de recherche au CNRS (5), reconnaît que la cellule mammaire par exemple, voire n’importe quelle cellule, devrait ressentir les variations physico-chimiques de son environnement proche ; « que ces variations soient purement chimiques, mécaniques ou hormonales ». La visualisation in vivo de cellules à l’aide de technologies microscopiques de très haute performance conduit les chercheurs à cette reconnaissance que l’on aurait qualifiée de « perception subjective » voici peu. La cytologie, intimement liée à la microscopie, n’est plus figée, elle s’anime in vivo sous les yeux du chercheur. Une équipe internationale, dont Alexis Gaudreau fait partie, dans une très récente publication, en convient. « Toutes les cellules possèdent un squelette leur permettant de se déplacer et de conserver leur forme. Mais des chercheurs viennent de montrer qu’une partie de ce cytosquelette, appelée « fibres branchées », est également essentielle à la prolifération des cellules : « Ces fibres informent les cellules sur la place disponible autour d’elles et sur les messagers chimiques dans l’environnement et donc sur l’opportunité de proliférer. » Si les conditions requises ne sont pas réunies, ces fibres ne sont pas synthétisées et la cellule ne se divise pas. « Sauf dans le cas des cellules cancéreuses, (assurent-ils), qui arrivent à s’affranchir de ce mécanisme de contrôle et qui prolifèrent où et quand elles ne devraient pas. » Ces chercheurs pensent que ce « mécanisme » (alors que Cordon évoquerait un « processus ») pourrait offrir une cible thérapeutique pour lutter contre certains cancers. « Bloquer la formation des fibres branchées, dans cette hypothèse, permettrait de stopper la croissance de cellules de mélanome pour lesquelles aucun autre traitement spécifique n’existait à ce jour. » Ces travaux menés par une équipe internationale comptant des chercheurs du laboratoire « Bases moléculaires et régulation de la biosynthèse protéique » du CNRS/École polytechnique sont publiés dans Cell Research le 10 avril 2019, (5).
Sollicitons de nouveau Teresa Cordon (4). Elle nomme « expérience animale » et, dans un sens plus strict, « conscience animale », enfin « cette prise de notion de l’état du milieu » qui sont implicitement évoqués par cette équipe CNRS/École polytechnique. « Par la prise de notion de l’état de l’environnement, dit-elle, la cellule ou un groupement de cellules, ou l’animal comme champ magnétique unitaire, doit posséder un quantum d’autocorrection réagissant à sa disparition dans le champ magnétique général de la Terre, essayant de coordonner ses vecteurs à travers d’éphémères tentatives d’auto-stabilisation. Nous nommons capacité de liberté de l’animal le quantum d’effort qu’il consacre à corriger son action sur le milieu, en relation avec le caractère (désormais) favorable ou défavorable de l’effet causé par elle. Ainsi, selon nous, l’animal, en tant qu’être vivant, en tant qu’unité d’intégration, a la capacité de percevoir l’effet favorable ou défavorable de son action sur son environnement, et de tenter de la corriger de la manière qui convient. Cette correction est prise comme guide par ses cellules somatiques qui se voient ainsi garantir un milieu cellulaire stable. L’animal (champ physique commun à de nombreuses cellules, mais très ténu) guide ses cellules somatiques sans avoir conscience de leur existence, et les cellules de son « soma » (l’association de cellules) prennent pour guide de leur activité l’animal, sans le percevoir », « Pour Darwin », p. 495, (4). C’est cet aspect de guide (inconscient) que nous voulions mettre en valeur. Nous partageons le même point de vue que Teresa Cordon, semble-t-il. Au lieu de parler de « prise de notion de l’état de l’environnement » nous utilisons l’expression « sensorialité discriminative » qui guide l’organisme. Quelques précieuses précisions sont apportées par Patrick Tort (6), pour qui « l’histoire naturelle de la conscience et de l’autonomie est une histoire animale, et elle exige d’être précédée phylogénétiquement par une histoire cellulaire (d’où l’existence nécessaire d’une conscience cellulaire), qui ne peut elle-même se passer d’un primordium au sein d’un niveau antérieur, etc. Le comportement d’un phagocyte par exemple, qui capte son nutriment dans son milieu trophique, puis règle son deuxième captage en fonction de l’écart ressenti entre ce qui était attendu du premier mouvement et ce qu’il en a effectivement reçu, est l’illustration simple de l’existence d’une conscience cellulaire, à la seule condition que l’on redéfinisse, comme je l’ai fait et comme le rappelle Chomin Cunchillos dans le corps de ce livre, la conscience… ». Il s’agit de l’ouvrage (10). De fait, les travaux « cordonien » et ces allusions à la conscience organique cellulaire (résumées ici) révèlent les limites du réductionnisme et du déterminisme en biologie.
Sur la bonne voie
Pour conclure (provisoirement), Faustino Cordon avance comme une sorte de paradigme qui souhaite rendre compte du surgissement de l’animal à partir d’une association ancestrale de cellules. Il est selon lui « sans alternative et doit expliquer trois phénomènes, essentiellement identiques, mais que nous percevons comme distincts. C’est-à-dire qu’il doit rendre compte :
a) du surgissement, à chaque instant, de l’unité animale à partir de l’activité de ses cellules somatiques ;
b) du développement de la structure et de la conduite spécifique d’un animal au fil de son ontogenèse ;
c) de l’apparition, par le jeu d’avantages sélectifs concrets, de chaque type d’animal dans la phylogénie », « Pour Darwin », p. 496, (7). Avec l’émergence du cancer, ce serait cette « prise de notion de l’état de l’environnement » cellulaire qui ne serait pas favorable à la vie cellulaire que celle-ci perçoit avant que la conscience cérébrale et cognitive secondaire l’appréhende.
Cet environnement cellulaire dont nous avons évoqué la pathogénie générerait, de proche en proche, selon les niveaux d’unité d’intégration et d’organisation de l’organisme, des difficultés à éliminer les assauts agressifs évoqués précédemment, inciterait la cellule à « sauver sa structure », pourrions-nous dire, en se désolidarisant — le terme biologique approprié serait en adoptant — une « désymbiotisation » de l’organisme hôte par une métamorphose en cellule cancéreuse. Celle-ci renouerait génétiquement avec ses gènes ancestraux, vestiges d’une époque où elle émergeait du cytoplasme bactérien (voir Lynn Margulis et Dorian Saban 8), et des cellules procaryotes conservant leurs gènes. Sont-ce ces derniers qui furent qualifiés de « poubelle » ? Notre interprétation semble soulever une vision paradoxale : le cancer serait une réaction de vie de cellules aux caractéristiques expansives fuyant un environnement pathogène, entraînant l’organisme hôte vers la mort.
Au moment de conclure, il nous est apparu devoir faire preuve de prudence en cherchant d’autres références qui mettraient en question le chemin parcouru, tout en désirant aussi trouver confirmation de nos analyses, montrant ainsi que nous sommes, même provisoirement, sur la bonne voie. Il nous resterait à questionner les cancérologues de l’île de La Réunion pour sonder leur entendement, sans manquer de solliciter le directeur de recherche au CNRS, Frédéric Thomas, biologiste moléculaire et évolutionniste et auteur d’un ouvrage remarqué sur le cancer (9) ; avec qui nous sommes en relation ; et encore Chomin Cunchillos, (10) qui poursuit l’œuvre de Faustino Cordon, pour critiquer, confirmer ou invalider notre hypothèse déductive.
Frédéric Paulus – Directeur scientifique du CEVOI (Centre du Vivant de l’Océan Indien),
Expert extérieur au Haut Conseil de Santé Publique
Ref :
- Frédéric Thomas, « Nous sommes tous au minimum des cancéreux asymptomatiques », Revue « Pour la science », n° 505, pp. 34 à 39, in « Théorie de l’évolution contre cancer », novembre 2019.
- Jean-Pascal Capp, Nouveaux regards sur le cancer, pour une révolution des traitements, Belin, 2012.
- Faustino Cordon, « Cytologie », pp. 748 à 755, in Dictionnaire du darwinisme et de l’évolution, Tome 1, sous la dir de Patrick Tort, Puf, 1996.
- Teresa Cordon, « L’origine de l’animal : une première hypothèse de travail », pp. 75 à 496, in Pour Darwin, sous la direction de P. Tort, Puf, 1997.
- Alexis Gaudreau (CNRS/École polytechnique). Ces travaux menés par une équipe internationale comptant des chercheurs du laboratoire « Bases moléculaires et régulation de la biosynthèse protéique » sont publiés dans Cell Research du 10 avril 2019.
- Patrick Tort, préface : « Faustino Cordon et la naissance de l’unité dans le champ biologique », pp. 7-19 au livre de Chomin Concillos (9) plus bas.
- Faustino Cordon, « Fondements d’une théorie de la conscience », pp. 497 à 508, in Pour Darwin, sous la direction de P. Tort, Puf, 1997.
- Lynn Margulis et Dorian Sagan, L’univers bactériel : les nouveaux rapports de l’Homme avec la nature, « Points sciences », Seuil, 2002.
- Frédéric Thomas, L’abominable secret du cancer, HumenSciences, 2019.
- Chomin Cunchillos, Les voies de l’émergence, introduction à la théorie des unités de niveau d’organisation, Belin, 2014.
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