Le 3 avril 2025, le collectif Nous Toutes 974 organisait un atelier sur la question des violences faites aux enfants dans les locaux de Soliker. Une nécessité alors que selon les derniers chiffres de l’ARS, c’est plus de 1700 enfants qui ont été victimes de violences sur l’année 2022.
Une réalité encore trop invisible
« Le violences faites aux enfants sont trop souvent invisibilisées dans les luttes féministes », explique Céline Ngongang, militante bénévole du collectif Nous Toutes 974 lorsqu’elle prend la parole pour parler de l’importance d’une sensibilisation à ces types de violences.
Pourtant, les violences de genre ne s’arrêtent pas aux adultes. Les rapports récents montrent que 60 % des enfants victimes de violence sont des filles — un chiffre qui grimpe à 83 % lorsqu’il s’agit des 160 000 victimes annuelles de violences sexuelles. Dans 80 % des cas, les auteurs sont des hommes. Une représentation similaire aux violences conjugales qui fait de la femme la proie et de l’homme son plus grand prédateur.
Chez les garçons victimes, la violence s’ancre souvent dans des stéréotypes sexistes. « Dans le cas des petits garçons victimes de violence, c’est souvent car ils sont considérés comme non virils donc féminins. Dans l’imaginaire collectif des agresseurs, les petits garçons ne font pas partie du monde masculin », explique Céline. Dans le même rapport de l’Observatoire des violences faites aux femmes, on constate d’ailleurs que parmi les hommes victimes de violences sexuelles, 85% le sont avant l’âge de 15 ans.
Les enfants, victimes collatérales des violences conjugales
Avec l’apparition du mouvement Me Too au début des années 2000, les violences envers les femmes ont progressivement été érigées en problème de société et de nombreuses initiatives et organisations se sont créées pour tenter d’endiguer ce fléau. Concernant celles envers les enfants il a fallu plus de temps pour qu’elles soient regardées autrement que comme des faits isolés.
Pourtant, lorsque l’on se penche sur les chiffres des violences intrafamiliales, on observe que celles envers les enfants au sein du couple ont augmenté de 16% en 2021 et que sur 2022, le 119 a traité les cas de 40 334 enfants en danger ou en risque de danger et qu’on dénombre 12 homicides de mineurs par un parent. Faire le lien entre violences conjugales et violences envers les enfants est d’autant plus important alors que 80% des femmes victimes sont aussi des mères.
La violence peut commencer dès la grossesse
La violence envers les enfants intervient à différents stades et on peut par exemple observer que celle-ci peut arriver dès la période pré-natale, c’est-à-dire durant la grossesse. D’après plusieurs enquêtes menées au cours de la dernière décennie, on peut constater que dans 40% des cas les actes de violence du conjoint débutaient avec la première grossesse.
Bien qu’il soit encore difficile de mesurer précisément l’impact de ces violences sur le fœtus, de nombreux gynécologues reconnaissent qu’elles peuvent entraîner des grossesses à risque, voire des complications à la naissance.
Avancée juridique : reconnaître l’enfant comme victime
Aujourd’hui, le travail autour des violences faites aux enfants élargit l’étude des différents types de violences auxquels ils sont exposés. Dans le cadre familial, les enfants sont les plus touchés car, s’ils ne sont pas toujours les victimes directes des actes de violence, ils sont toujours indirectement touchés.
Odette, co-fondatrice de l’association Femmes solid’air qui accompagne des femmes victimes de violences, reconnait d’ailleurs qu’« on ne peut pas oublier que lorsqu’il y a des violences dans le couple, les enfants sont aussi des victimes, même s’ils ne reçoivent pas directement les coups. Ils assistent, ils entendent, ils vivent dans cette atmosphère de peur. »
En effet, les enfants sont toujours impactés par les violences envers leur parent que ce soit parce qu’ils en sont témoins oculaire ou parce qu’ils perçoivent les signes. Le droit, par son évolution, a d’ailleurs permis une meilleure protection des enfants tout du moins dans les textes.
Depuis un décret du 23 novembre 2021, l’enfant dont le parent a été victime de violence par son conjoint a le droit de se porter partie civile alors qu’auparavant, il était souvent présent uniquement en qualité de témoin des faits. Par ce décret, on leur reconnait le statut de victime peut-importe la forme de la violence subie.
Une priorité pour La Réunion
Mais si le cercle familial est un milieu propice aux violences envers les enfants, cette problématique ne doit pas être regardée qu’à travers cet angle car c’est toute la société qui doit être concernée. Le conseil départemental de La Réunion a d’ailleurs fait de la lutte contre les violences intrafamiliales et les violences faites aux enfants une priorité dans son plan 2021-2028.
C’est dans une même dynamique que la Région a soutenu la construction de la Maison des femmes, de la mère et de l’enfant projet porté par l’ARS qui a ouvert ses portes en avril 2024 et propose un soutien et un accompagnement des femmes et de leur(s) enfant(s).
Les acteurs associatifs et collectifs de l’île jouent aussi leur rôle en proposant un accompagnement des femmes victimes et de leurs enfants. Le collectif Nous Toutes 974 organise des ateliers sur les violences intrafamiliales pour déconstruire les comportements qui légitiment ces comportements mais aussi pour mieux appréhender les signes révélateurs.
« On connaît forcément un enfant victime donc ça arrivera forcément un jour, autant être préparé à les écouter et protéger nos enfants — quand je dis nos enfants, c’est nos enfants en tant que société — pour ne pas rajouter de la violence à la violence », explique Céline Ngongang.
D’autres outils existent également avec par exemple de nombreux ouvrages adaptés aux enfants et jeunes adultes pour expliquer ce qu’est une situation de violence.
On peut citer à La Réunion, l’association Yourte la Vanille qui a porté le projet du manga Issue de Secours qui alerte sur la relation d’emprise et la violence au sein d’un jeune couple. Ou encore l’association EPA qui a mis en place le Gayaromètre, outil inspiré du violentomètre mais adapté aux plus petits et surtout avec une version en créole.
Adapter nos supports dans une société qui évolue
La société a évolué ainsi que les comportements violents et notre rapport à la violence. Loin des discours ringards et dangereux qui crient à « l’ensauvagement » de la société, on peut par exemple remarquer un retour en force de certaines idées dévastatrices pour la jeune génération.
Véritable succès mondial, la série Adolescence, qui raconte l’histoire d’un enfant de 13 ans mis en examen pour le meurtre d’une camarade de classe, braque ses projecteurs sur le retour en force des idées masculinistes et le danger des réseaux sociaux.
La mini-série nous plonge dans le monde de l’adolescence d’aujourd’hui où les réseaux sociaux sont devenus un terrain propice à la prolifération des idées masculinistes qui prône la domination du masculin sur le féminin. Au Royaume-Uni, où se déroule l’histoire, la série a créé un véritable débat autour de l’accès au réseaux sociaux pour les plus jeunes. Le Premier ministre britannique, Keir Starmer a même demandé à ce que la série soit diffusée dans les écoles du pays. Une décision remise en cause par certains spécialistes de l’enfance qui souhaitent que cette diffusion soit accompagnée par des explications.
Ce débat rappelle celui autour de l’Education à la vie affective, relationnelle et sexuelle qui agite les sphères réactionnaires sur le sol national. Ce projet EVARS, qui devrait être mis en oeuvre à la rentrée scolaire 2025, est un outil de prévention, d’émancipation et de protection des jeunes.
Un objectif ambitieux mais plus que nécessaire car, comme le dit Céline Ngongang, « Il faut d’abord identifier ce qu’est la violence parce qu’on ne le sait pas toujours parce qu’on vit dans une culture […] où les violences éducatives sont très ancrées dans les schémas familiaux. […] Déjà, de différencier bien ce qui relève de l’éducation et ce qui relève de la violence ». Mieux se connaître c’est apprendre à dire non mais surtout apprendre à respecter l’intimité des autres.
Olivier Ceccaldi
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