[Leu Tempo] Un récit concert tendre et douloureux

«DOMOUN» DE SERGIO GRONDIN

Du 8 au 11 mai, Leu Tempo revient. Le fameux festival d’art de rue saint-leusien présente cette année, entre beaucoup d’autres choses, deux nouveautés réunionnaises, deux spectacles en création, l’un de Sergio Grondin, l’autre de Soraya Thomas et la compagnie Morphose. Nous avons rencontré Sergio Grondin pour nous présenter Domoun.

Sergio Grondin auteur comédien conteur Domoun
Sergio Grondin.

« Domoun, avec un D majuscule ! » Sergio Grondin y tient à son D écrit en capitales. « Ça vient d’une citation de Danyel Waro », explique le conteur. « Nou lé pa pupille nasyon, nou lépa zanfan la Kreuz, nou lé Domoun », récite-t-il de mémoire. 

Domoun, avec un D majuscule donc, est au programme du Leu Tempo Festival les 9, 10 et 11 mai. C’est une création que nous propose le Saint-Joséphois. Une création qui, assure Sergio Grondin avec un sourire, ne parle pas des enfants de la Creuse, « comme Maloya ne parlait pas de maloya ». 

– Sergio Grondin, quel est sujet de Domoun ?

– Pas des enfants de la Creuse en particulier. Domoun parle des enfants maltraités – les autres et moi -, du ventre des femmes, celui de Françoise Vergès, celles qui ont été stérilisées de force, celles qui ont été engrossées contre leur volonté, celles qui subissent le poids du patriarcat… Si tu recoupes les enfants de la Creuse, moi enfant qui était enlevé par mon père à chaque séparation pour que ma mère revienne, le zombri planté sous le pied d’bois, la terre d’où l’on a arraché 1600 à 2500 enfants… Ça aurait tout à fait pu être moi.

– Cette histoire des enfants de la Creuse a été révélée par Jean-Jacques Martial en 2002, elle avait laissé des traces dans la mémoire collective bien avant cette date…

– En 1963, il y a 400 000 habitants à La Réunion. La déportation n’est pas massive mais la peur est collective. C’est l’histoire de l’auto rouge (ou blanche) qui enlève les enfants. En France c’est les gitans, ici c’est les services sociaux qui font peur et avec quoi on menace les enfants. Il y a des écrits et beaucoup de témoignages. Comme cette femme qui croyait être orpheline et qui n’avait pas parlé du tout jusqu’à l’âge de 6 ans ; la conséquence d’un choc traumatique. J’ai voulu raconter ça mais en allant au delà de l’aspect dramatique. Il y a des années que je voulais parler de ça, mais pas par le même prisme que mes spectacles précédents. Après un épisode de fragilités dans ma vie personnelle, j’avais besoin de présenter un spectacle plus tendre. Plus tendre, moins violent, il y a toujours une lumière au bout de la NRL.

Sergio Grondin auteur comédien conteur Claire Nativel Domoun
Dans Domoun, Claire Nativel accompagne Sergio Grondin.

Et la tendresse, comment se manifeste-t-elle ?

– C’est un moment où je ne me bats plus contre moi-même, où mon corps a pris une identité de père. Il me fallait un spectacle au plus près de la vérité, la vérité des victimes du rouleau compresseur de l’Etat, de l’enfance maltraitée. J’ai donc changé d’équipe, pour la musique notamment, et écrit un spectacle sous la forme d’un récit concert. Lisa Ducasse, je connais sa musique depuis une dizaine d’années, depuis ses tout premiers morceaux. Je l’ai rencontrée, elle a dit oui tout de suite. C’est une grande nana, et je savais que le temps qu’on termine cette écriture, elle serait déjà sollicitée par ailleurs pour son talent. Ça n’a pas raté. J’ai dû trouver quelqu’un d’autre. Après avoir approché Marie Lanfroy de Saodaj, Ann O’Aro, j’ai trouvé Claire Nativel pour interpréter les chansons de Lisa. Pour autant, ce n’est pas une remplaçante, elle est totalement dans le spectacle.

– Vous avez déjà présenté ce texte à Avignon ?

– Oui, et on a eu un bon accueil. Avec mes autres spectacles, malgré des articles dans la presse nationale, il n’y avait jamais la queue à Avignon. Là ça a pris. Probablement grâce à ce rapport à la Creuse, au territoire hexagonal. Il faut ça pour convaincre le public, un lien avec son territoire.

Propos recueillis
par Philippe Nanpon

A propos de l'auteur

Philippe Nanpon | Journaliste

Déménageur, béqueur d'clé dans le bâtiment, chauffeur de presse, pompiste, clown publicitaire à roller, après avoir suivi des études d’agriculture, puis journaliste depuis un tiers de siècle, Philippe Nanpon est également épris de culture, d’écologie et de bonne humeur. Il a rejoint l’équipe de Parallèle Sud pour partager à la fois son regard sur La Réunion et son engagement pour une société plus juste et équitable.