N’AYONS PAS PEUR DES MOTS
Parallèle Sud accueille dans ses colonnes les critiques d’un dévoreur de phrases qui peut passer pour un sacré pinailleur.
Petit débat linguistique comme il en surgit parfois à des heures avancées au sein du comité de lecture de Parallèle Sud :
— Hélène (vigilante correctrice) : « On dirait bien que le verbe résonner (2n) a donné le nom résonance (1n). »
— Franck (incorrigible journaliste) : « C’est vrai ça, pourquoi résonance n’a qu’un n ? »
La question mérite en effet d’être posée. Encore faudrait-il qu’il existât une réponse présentable à apporter à l’autrice (ou auteure, voire auteur, c’est vous qui voyez) et à l’auteur (il n’y a rien à voir d’autre) de ces réflexions frappées au coin d’un bon sens qui, c’est un secret d’Immortels, n’est pas la vertu première de la langue de Molière. N’est-ce pas la même langue qui a fait de coordinateur (avec un « n » derrière le « i ») l’inutile faux jumeau de coordonnateur (avec deux « n » derrière le « o »), ce qui pour le coup, vous en conviendrez, dénote un sérieux manque de coordination. Remarquez que je n’ai pas écrit « coordonnation ». Celui-là n’existe pas. Allez savoir pourquoi !
Mais revenons à cette « résonance » de bizarre consonance (tiens, tiens, encore un qui aurait oublié une lettre en route ?). Si je me fie à Alain Rey et à son Dictionnaire historique de la langue française, l’absence de la double consonne dans le mot qui nous occupe ne serait qu’un tardif et soudain retour aux sources décidé sur un coup de tête à la fin du XIXe siècle. Car jusque-là, « résonnance » était tout naturellement habillé de deux « n » à l’instar du verbe « résonner » auquel il est intimement lié. Dans la 6e édition de son dictionnaire (1835), l’Académie évoquait ainsi cette « oreille fine » démêlant « les résonnances ». Mais une édition plus tard (1878), l’un des deux « n » avait disparu et ne me demandez pas lequel. Tout cela, par souci d’harmonisation avec la graphie ancienne « resoner » (apparue au début du XIIe siècle) et le terme latin resonantia dont « résonance » est le descendant. Soit, mais pourquoi, dès lors, ne pas avoir appliqué le même principe au verbe « résonner » et à son adjectif associé « résonnant » ? « Qui a dit que la langue française était un modèle de logique ? » ironise à juste raison Marc Raynal sur son blog « Parler français », que je vous recommande chaudement.
Pour ma part, je serais prêt à parier mon vieux Grevisse de l’enseignant que l’influence de l’anglais resonance, à qui l’usage français a chipé au passage quelques acceptions, n’est pas pour rien dans l’affaire. Les ouvrages de référence ne me le confirment pas, préférant détourner le regard. Thomas se fait simplement l’écho de Girodet, qui se fait l’écho de Larousse, qui se fait lui-même l’écho de Robert et de quelques autres encore pour nous dire laconiquement que… « résonance » ne prend qu’un seul « n » et qu’il n’y a pas lieu d’en faire des caisses.
La langue française a décidément ses raisons que la mienne de « réson » ignorera toujours.
Remarque : d’autres mots en « nance » ont eux aussi perdu leur double consonne au fil des siècles. C’est le cas de « dissonance » (XVIIe s.), d’ « assonance » (milieu XVIIIe) et plus récemment, de « consonance » (1835).
K.Pello
Pour poursuivre le voyage dans le labyrinthe de la langue française, consultez le blog : N’ayons pas peur des mots