Livre et littérature

[Littérature] Trop d’infos peut tuer l’info

LIVRE A DOMICILE : PERTE D’AUDIENCE DES MÉDIAS ET OUVRAGES TRADITIONNELS SUR PAPIER

Il y a cinquante ans, les lecteurs réunionnais étaient souvent abonnés aux deux principaux journaux de l’île : celui de Debré, et celui de Vergès. Deux visions engagées, subjectives, voire mensongères parfois, mais qui suscitaient des débats et de la réflexion.

Aujourd’hui les grands médias paraissent de plus en plus ternes, dépourvus d’humour, trop polis, policés, voire policiers, en tout cas politiquement corrects. Paradoxalement, ils semblent aussi privilégier la recherche d’audimat, donc la facilité, les scandales futiles, les faits divers, le sport . Ils doivent aussi flatter leurs gros annonceurs publicitaires, voire parfois des politiciens,  pour survivre.   Il en découle moins de révélations, d’informations réellement importantes et surtout de réflexion franche et objective sur de nombreux sujets.

Les journaux traditionnels sont aux mains de quelques milliardaires, et ont de plus en plus de mal à convaincre leurs lecteurs que leurs rédacteurs sont libres de dévoiler toutes les vérités dont ils auraient connaissance.

Un Témoignages spécial littérature en 1987, et un appel du Quotidien en faillite…en 1977

Comment, par exemple, ne pas douter des paroles du seul repreneur trouvé pour sauver le Quotidien de la Réunion…et qui voulait aussi reprendre les rènes du J.I.R. l’autre quotidien de l’île ? Ce « sauveur » de la presse locale, le patron du Nouvel Economiste, -rien que le titre du magazine donne le ton- promettait pourtant, la main sur le cœur, de maintenir la liberté des journalistes.

Liberté éditoriale, ou seulement diversité éditoriale ?

 Quelques groupes financiers commandent aussi les centaines de programmes des chaines de télé, des stations de radio, liées aussi à des sites d’info sur le Net. A la Réunion, comme ailleurs sans doute, ce sont quelques industriels et publicitaires qui peuvent maintenir à flot un média, ou le couler. Sans oublier les recettes émanant des communiqués officiels, publi-reportages, et subventions de l’Etat ou de la Région.

Mais le pire, c’est peut-être l’évolution dans la forme, qui détourne le public du papier au profit d’internet,   pour les journaux et revues, comme pour les livres. Et n’importe qui peut monter un site d’info ou écrire un bouquin.

Pour la liberté, c’est bien, mais comment choisir ce qui ne contribue pas à abêtir les masses ?

 Les réseaux sorciers

Si l’on va sur Google, on tombe d’abord sur les pages de Discover, un fatras d’infos plus ou moins futiles et distrayantes qui happent le lecteur et le poussent à scroller bêtement durant des heures. Et ne parlons même pas des stories et « réels » des réseaux sociaux, où le nivellement par le bas est encore plus flagrant, augmentant sans cesse le gouffre qui sépare les gens cultivés des autres. En effet, les algorithmes vous envoient des amis ou des infos selon vos goûts. Idem pour la musique et les news sur You tube et autres.

De Facebook, on est passé à Instagram puis Tik Tok, avec à chaque nouvelle application une baisse du texte au profit de l’image, de plus en plus courte elle aussi. Comment exprimer des idées complexes en quelques mots ?

Et le choix finit par se limiter à ce que vous aimez, sans attiser votre curiosité ailleurs, sans avoir le temps de réfléchir, sans sortir de votre zone de confort.

Le livre jetable

Ce terme de « zone de confort »,  on le retrouve souvent dans les comptes rendus des blogueuses littéraires. Il faudrait pourtant en sortir plus souvent, pour avancer. C’est particulièrement vrai en littérature, où la multiplication des auteurices n’aboutit pas à une augmentation des chefs d’oeuvre, et où tout se mélange sur les rayons des libraires et les stands des salons. Et dans les critiques bienveillantes des influenceuses. Car « il en faut pour tous les goûts », y compris le mauvais. Il est vrai que le livre auto-édité, qui zappe l’éditeur classique, constitue un progrès pour la liberté d’expression. Mais comme pour les autres arts devenus accessibles à tous, musique, cinéma, etc.  le meilleur est dilué dans le pire. On peut craindre aussi que les lecteurs deviennent moins nombreux que les auteurs. En conséquence, si l’on n’y prend pas garde, le livre ne sera plus qu’un objet jetable, un « passe-temps », mot qui m’horripile ; car il suppose qu’on fait passer le temps en le gaspillant, que ce soit avec une série télé débile ou un bouquin qui n’apporte rien de concret, à part oublier deux ou trois heures le temps qui passe ; alors qu’il serait dans ce cas plus profitable de s’ennuyer, car souvent quand on s’ennuie, on réfléchit.

Hélas, de plus en plus, la seule réflexion que semblent  apprécier  nos contemporains, c’est celle de leur miroir.

Mais qu’importe, car  l’enrichissement financier de quelques uns, de l’influenceuse botoxée jusqu’au patron de presse milliardaire, ne nécessite pas l’enrichissement intellectuel de la population. Bien au contraire.

                                                                                                             Alain Bled

A propos de l'auteur

Alain Bled | Reporter citoyen

Homme de culture, homme de presse, homme de radio... et écrivain. Amoureux du récit et du commentaire, Alain Bled anime la rubrique « Livres à domicile ».