CHRONIQUE
Il suffit d’aller sur YouTube pour trouver des centaines de vidéos censées vous aider à publier un livre. Depuis la création de Chat GPT, ces mêmes YouTubeurs vous montrent aussi comment écrire un bouquin de A à Z grâce à l’intelligence artificielle.
Comme tout ce qui est nouveau, la technique connait ses détracteurs. On peut supposer que Gutenberg s’est fait beaucoup d’ennemis en inventant l’imprimerie. Quant aux vieux écrivains du XXème siècle, ils ont craint l’avènement de la télévision, puis d’Internet, puis des livres électroniques. Mais à présent, la technique peut aller plus loin en permettant à l’I.A. de fabriquer entièrement un texte à partir d’éléments de base fournis par l’auteur.
Kindle surprise !
Donc, dans un premier temps, la quantité de livres parus a explosé. Les jeunes en particulier se sont emparés du système et ont pu multiplier les romans à compte d’auteur, en particulier grâce à Amazon et à sa plate-forme Kindle Direct Publishing (KDP). En gros, n’importe qui peut y publier n’importe quoi. Nul besoin d’avoir des talents d’écrivain, il suffit de savoir se servir d’un ordinateur, et d’utiliser l’I.A.
Amazon, le plus demandé en la matière, avec KDP, s’est très vite aperçu qu’il y avait un problème. En juin 2023, ils avaient déjà publié quatre millions d’ouvrages ! Et comme par hasard, dans la catégorie « Best-sellers pour jeunes adultes » de Kindle, seulement 20 pour cent des e-books étaient écrits par de vrais gens. Et le pire, c’est que beaucoup de ces ouvrages n’avaient aucun sens !
Rien à voir avec l’Oulipo de Raymond Queneau et le surréalisme d’André Breton, que ces jeunes auteurs doivent d’ailleurs ignorer autant que Gutenberg, sauf s’ils vont sur Wikipedia.
L’argent avant le talent
Mais me direz-vous, pourquoi publier de tels livres ? Tout simplement pour espérer gagner beaucoup d’argent. C’est d’ailleurs le leitmotiv des influenceurs de YouTube : ils créent des tutoriels pour apprendre aux gens comment écrire avec l’I.A., puis organiser le marketing d’un livre, choisir des sujets à la mode, bref, se faire du blé par tous les moyens. Plusieurs de ces vidéos montrent la photo de l’influenceur devant un gros tas de billets !
Souvent, ces nouveaux vendeurs de vent utilisent aussi des robots, programmés pour lire un maximum de fois les ouvrages. Ce qu’on appelle des « fermes à clics ». On achète des vues sur YouTube, des likes sur les réseaux sociaux, et ainsi des ouvrages d’une nullité absolue font parfois le buzz.
Pour donner une idée du massacre littéraire, un auteur Kindle qui utilise l’I.A. est maintenant limité à…trois parutions de livres par jour. Vous avez bien lu : quel écrivain humain pourrait écrire 300 pages quotidiennes? Ces pseudo-écrivains inondent le marché uniquement pour espérer faire du profit !
Amazon durcit les règles…en douceur !
Mais qu’on se rassure, Amazon a réagi . Début septembre 2023, il a modifié ses règles de parution concernant l’utilisation abusive par les auteurs de Chat GPT et autres I.A.
Et, ironie du sort, Kindle utilise lui-même les dernières avancées en matière d’I.A. pour déceler les contrevenants, détecter les textes« artificiels ». Et aussi pour bloquer les centaines de millions de faux avis, évaluations tordues, faux comptes-clients, etc.
On peut comprendre le succès de Kindle, malgré ses inconvénients ! Le livre ne coûte quasiment rien à l’auteur. Puis vous achetez le nombre d’ exemplaires que vous voulez, par exemple à 5 euros, pour les revendre ensuite à 8 euros… Mais, on l’a vu plus haut : sans publicité, votre livre sera perdu parmi des millions d’autres !
Cependant, l’auteur gardera tous ses droits sur son œuvre, contrairement aux contrats classiques avec un éditeur.
Quant à l’Intelligence Artificielle (ou A.I. Si vous préférez l’anglais), elle va devenir aussi banale que le traitement de textes ou les logiciels de correction. Avec peut-être le danger qu’elle rende le cerveau humain un peu paresseux. Mais les faits sont là : l’I.A. peut faciliter la création d’une œuvre, livre ou illustration, elle permet d’améliorer ses idées de base, couvertures, titres. Elle peut aussi aider dans les descriptions, recherches de mots-clés, et assister dans le travail d’écriture.
Mais dans la mesure où l’auteur se passe d’éditeur et effectue lui-même la promotion, la diffusion, trouvera-t-il encore le temps d’écrire sans penser seulement aux analyses de vente, tendances, comportement des lecteurs, stratégies de marketing ? Le plus important ne sera plus alors d’avoir des talents d’écrivain, mais de savoir maîtriser l’intelligence artificielle sur son écran.
Alain Bled
