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Livre et littérature

[Livres à domicile] Le livre réunionnais : évolution, révolution !

CHRONIQUE

Quand on tente de résumer l’histoire littéraire de la Réunion depuis les origines, on se rend compte à quel point l’influence coloniale a été dominante jusqu’à la seconde moitié du XXème siècle. La Réunion a vu naître de grands poètes, reconnus jusque dans la lointaine métropole, mais ils étaient issus des rares classes sociales leur donnant accès à l’écriture.  La culture du peuple demeurait orale, et négligée des amateurs de « belles lettres ». Nos grands auteurs  s’exprimaient dans la langue de Molière, en respectant les règles de la versification. Dans la forme, ils reprenaient les recettes  occidentales. Quant à leurs thèmes, ils évoquaient rarement des sujets  polémiques ; Cependant, Leconte de Lisle ou Evariste de Parny n’ont pas toujours été politiquement corrects. Ils ont parfois dénoncé l’esclavage, par exemple. Mais la bonne société préférait ne  retenir  de leurs oeuvres que les charmes bucoliques de la nature, ou les états d’âme du poète devant sa dulcinée.

Fables en créole

Dès le 19ème siècle, certains écrivains s’exprimaient déjà en créole, tels Louis Héry, et ses fables inspirées de La Fontaine. Mais les nantis, ceux qui savaient lire et écrire, n’utilisaient le créole que pour amuser la galerie. Par la suite, ce « patois sympathique » sera encore longtemps utilisé pour des pièces de théâtre, chansons, bouffoneries sans grande recherche littéraire, mais cependant populaires.

Cette époque a pu faire illusion, car elle a laissé de grands noms, au niveau national. Mais ces poètes, ces écrivains des siècles passés méritaient-ils pour autant d’être les seuls connus du grand public hors de la Réunion ?

Un début de XXème siècle cuLturellement pauvre

Quand le livre s’est démocratisé, au cours du XXème siècle, l’île est restée figée durant les cinquante première années dans une littérature le plus souvent poétique, pratiquée par ces mêmes notables qui dominaient la culture écrite depuis toujours. Enseignants, médecins, dirigeants de plantations et leurs épouses se détendaient le dimanche en composant de jolis poèmes, le plus souvent pâles copies de leurs prédécesseurs du siècle précédent.

Quand on cherche les noms qui ont marqué l’histoire de la littérature réunionnaise, on constate un vide assez surprenant dans la première moitié du XXème siècle. Peut-être parce que les auteurs d’alors n’avaient pas su évoluer, ni créer de nouveaux courants littéraires. 

Ils considéraient encore la culture locale comme du folklore, le créole comme un patois pour le petit peuple. Mais déjà, on trouvait quelques rebelles : Georges Fourcade, et surtout Jean Albany, qui ouvraient la voie à une nouvelle génération d’écrivains. Et c’est ainsi qu’en quelques années, on passa de l’alexandrin au vers libre, du français au kréol, avec des textes engagés sur des thèmes sociétaux et politiques, auparavant passés sous silence.

Comme un météore sur les dinosaures

Pourquoi un changement si brutal en si peu de temps ? La départementalisation avait remplacé (un peu) le statut de colonie ; l’ouverture vers le monde, les échanges internationaux amélioraient la richesse artistique. Et puis il y avait cette révolte envers certains abus qui subsistaient : le clivage politique très net entre la droite et la gauche, des enseignants exilés car rebelles aux lois de Michel Debré, et si je puis me permettre un avis personnel, ce côté borné si courant chez les politiciens qui refusaient de lâcher du lest, permettant ainsi à Paul Vergès de récupérer tous les mouvements populaires à venir, en particulier dans le domaine culturel. 

Il ne faut pas oublier qu’il y a un demi-siècle, la Réunion n’avait qu’une seule radio, une seule télé, et un seul grand journal, tous trois représentant le pouvoir officiel.  Les artistes et les auteurs dissidents y étaient invisibles. Tout comme les informations et spectacles  censés représenter un danger pour l’Etat. Le seul média d’opposition était Témoignages, qui surenchérissait aussi dans l’autre sens…

Et soudain, en 1976, un autre quotidien voit le jour, et affirme être plus objectif que ses deux confrères politisés ; Il fait rapidement faillite, peut-être pas très naturellement, mais réussit à renaître. Le Quotidien se fait Phoenix.

Deuxième victoire de la pluralité en 1981, alors que l’élection d’un président « gauchiste » fait paniquer les notables de l’île. En fait, « Tonton » se montre plus malin que ses prédécesseurs ; il donne aux artistes et écrivains rebelles des postes de chargés de mission et le calme revient dans le département. Autre coup de canon pour les monopoles : le nouveau gouvernement autorise les radios libres. On constatera plus tard que les grandes radios privées sont souvent des entreprises de décervelage supérieures à la radio-télé officielle, mais c’est le prix de la liberté !

Renversement des valeurs

Ainsi, la vie artistique, et en particulier littéraire, prend une ampleur inégalée à cette époque ; de nouveaux noms se font connaître, qui ne remplacent pas les anciens… puisque les anciens sont morts depuis longtemps !

Ce qui n’évolue pas est condamné à mourir. Pour preuve, la photo jointe nous montre la passation de pouvoir entre les Anciens et les Modernes. Le chant du cygne des premiers, ce fut une revue culturelle préfacée par les autorités officielles,  au milieu des années 70. Son créateur voulait maintenir le flambeau de la poésie traditionnelle. Il dut alors affronter les livres « marrons », les ouvrages réalisés à la main par de jeunes rebelles inconnus, des revues engagées, dégagées du conformisme comme des règles de la métrique. Une littérature dont les auteurs se muaient en imprimeurs et éditeurs, des textes où la population se trouvait enfin au premier plan.

Peu après, naquit la troupe Vollard dont les tentatives initiales de sabotage par certains édiles n’empêcherent pas le  raz de marée populaire. Quant aux groupes de musique jusqu’alors tabous ils envahirent les ondes.

On avait enfin rendu la culture au peuple. Il était temps !

Alain Bled

(à suivre : le grand chambardement littéraire des années 60 à 80).

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