PREMIERE PARTIE
On l’a constaté lors du récent salon du livre à St-Paul : les écrivains, et par conséquent les livres, sont de plus en plus nombreux. Reste à souhaiter que les lecteurs suivent, et surtout que leur nombre augmente aussi.
Or pour l’instant, les jeunes se désintéressent souvent de la lecture, sauf s’il y a des images : Manga, B.D… D’autre part, le livre papier est concurrencé par le e-book, et pire encore, l’intelligence artificielle peut fabriquer à la chaîne des ouvrages souvent médiocres (voir notre article sur les soucis d’Amazon à ce sujet). Enfin, n’importe qui peut éditer gratuitement sur Internet ou via un imprimeur, sans passer par un éditeur.
A La Réunion, il règne un flou artistique… et commercial, et les auteurs ressentent parfois une incompréhension, voire un sentiment d’injustice, face au peu de droits consentis par leurs éditeurs, au flou des frais d’envoi et de dédouanement, au peu d’engouement de certains libraires à accepter un dépôt-vente de leurs livres, au manque de possibilités pour les stands de salons, seul endroit où ils peuvent espérer faire un peu plus de bénéfices, en vendant leurs œuvres directement au public.
Le besoin d’écrire, avant toute chose
Cependant, la motivation première des auteurs est rarement l’argent. Il faudrait qu’ils soient bien naïfs pour espérer vivre de leur plume en vendant quelques centaines d’ouvrages. La plus grande partie de ceux qui y parviennent obtiennent suffisamment de contrats d’ateliers, conférences scolaires etc. où ils présentent leurs activités, en rapport avec les thèmes de leurs ouvrages. Un peu plus de 300 euros pour deux ou trois heures de présentation dans une médiathèque ou école, selon la charte des artistes-auteurs… Mais ils n’en bénéficient pas tous les jours, et même souvent pas du tout. D’où peut-être la prédominance des livres et albums pour la jeunesse. Ce qui ne signifie pas que créer ou dessiner une histoire pour les enfants soit plus facile que de bâtir un roman pour adultes. La littérature jeunesse a ses propres règles, auquel l’auteur doit se soumettre. Il est alors moins libre que dans d’autres formes de littérature comme les romans, longs à écrire et plus difficiles à vendre ; Sans même parler de la poésie, aimée soit-disant par tout le monde bien que peu de gens la lisent! Mais nous reviendrons sur ces thèmes dans nos prochaines chroniques.
Editeurs et libraires : commerçants avant tout ?
Certains éditeurs, à La Réunion, ne sont plus aussi indispensables qu’autrefois, dans la mesure où ils offrent des droits d’auteur le plus souvent minables… Quand ils en donnent ! Souvent, les conditions du contrat varient selon les auteurs. Certains commencent même à faire du compte d’auteur déguisé en ne payant les droits (6 à 8 %) qu’à partir d’un certain nombre d’ouvrages vendus, ou en obligeant l’auteur à acheter un certain nombre d’exemplaires, voire en demandant une contribution financière de l’auteur avant le tirage.
Tout ceci quand il y a un contrat, bien sûr, ce qui n’est pas toujours le cas.
En conséquence, de plus en plus d’auteurs et autrices, surtout les plus jeunes, préfèrent tout faire eux-mêmes, ce qui leur permet d’avoir un bénéfice bien plus important, mais avec l’inconvénient d’être coupés d’une large diffusion. Ils tentent de compenser cet inconvénient par leur dynamisme sur les réseaux sociaux, et en trouvant des places, encore trop rares, sur certains stands des salons non occupés par les éditeurs et libraires professionnels.
Les éditeurs locaux, comme les auteurs, sont de plus en plus nombreux. Essayons de les classer :
- Ceux qui n’éditent qu’eux-mêmes et leurs proches.
- Ceux qui, associatifs et souvent bénévoles, ne s’embarrassent pas de contrats ni de droits d’auteurs.
- Ceux qui sont trop petits pour diffuser correctement dans toutes les librairies, voire hypermarchés.
- Ceux qui sont assez importants pour diffuser jusqu’à Paris, mais qui ne répondent souvent même pas à une soumission de manuscrit par mail ;
- Les grands éditeurs de métropole, qui assurent une promotion de qualité (plus ou moins courte), mais gardent l’exclusivité de la diffusion : l’auteur ne peut ni acheter des livres à l’éditeur, ni les vendre personnellement sur les salons ou autres dédicaces.
- Les petits éditeurs de métropole (ou d’ailleurs) généralement participatifs (l’auteur achète des exemplaires à l’éditeur), ce qui n’est pas très pratique pour les auteurs outremer, qui doivent se débrouiller tout seuls pour diffuser leurs ouvrages.
- Les flatteurs qui font payer d’avance par l’auteur, l’impression et tous leurs frais annexes. C’est l’édition à compte d’auteur, (souvent à la tête du client si j’en crois les sommes variées que m’ont annoncé certaines victimes.)
- Et enfin, l’auto-édition, créer son livre sur internet, s’adresser à un imprimeur, ou Amazon. Une solution qui a de l’avenir, si certains éditeurs ne font pas un petit effort pour la reconnaissance de leurs auteurs : aussi bien en matière de commission, d’achats d’exemplaires personnels, et aussi, de respect moral : répondre à un mail est-il si compliqué ?
Les salons et concours, trop ou pas assez nombreux ?
Les salons du livre, organisés par La Réunion des Livres, Komkifo ou d’autres associations ou communes, permettent une promotion de la plupart des auteurs, y compris les auto-édités. On ne peut que se féliciter de telles initiatives. Leur seul inconvénient serait peut-être une concentration très importante d’auteurs pour des événements de ce genre encore trop rares. Ne pourrait-on pas organiser plusieurs petits salons, dans plusieurs communes de l’île ? Ou encore, organiser des salons par thème : poésie, polar, romance etc…
Dans le cas des dédicaces groupées, on a parfois l’impression d’être de bons petits soldats réunis sous le drapeau d’un éditeur, ou en mercenaires libres, avec un temps de présence très limité. L’éditeur invite plusieurs auteurs à la chaîne, pour deux heures chacun, ce qui ne laisse pas vraiment beaucoup de temps pour présenter son livre aux passants. Certains auteurs, heureusement rares, se mettent devant le stand, cachant ainsi leurs collègues, pour présenter longuement, voire lourdement, leur bouquin aux gens. D’autres, trop timides au contraire, souvent novices, restent injustement ignorés des badauds. Passons sur ceux qui, scrollant sur leurs portables, ne regardent même pas les passants, le comble pour un écrivain !
Les éditeurs, selon le nombre de leurs auteurs présents, peuvent y trouver leur compte. Les petits soldats, 150 à 200 parfois, sont tous en concurrence, et le seul vrai bénéfice qu’ils tirent de ces manifestations se situe sur le plan humain : bon nombre de rencontres passionnantes sont faites en ces occasions. Mais les ventes ? Beaucoup d’auteurs restent très vagues sur la question ; sauf ceux qui ont vendu une centaine d’ouvrages en trois jours d’expo : ceux-là le clameront sur leur page Facebook !
Libraires ou marchands de crayons ?
La qualité de la diffusion en librairie, on l’a vu plus haut, demeure très variable selon les éditeurs. Les libraires, parlons-en : certains acceptent les livres à compte d’auteur, en dépôt vente le plus souvent, avec 25 à 35 pour cent de commission pour eux ; ils organisent même des dédicaces, (quand ils prennent le temps de répondre aux nombreuses demandes). Rappelons que pour effectuer lui-même un dépôt-vente, l’auteur doit avoir un numéro de SIRET pour la facturation ultérieure des exemplaires vendus. Et il devra payer les cotisations de l’URSSAF sur la base de son… chiffre d’affaires. En général, il perdra donc de l’argent sur toutes ses ventes à titre individuel en librairie ! De plus, suivre les ventes -quand il y en a- constitue encore pour lui une perte de temps. Enfin, après avoir reçu son stock de livres d’un petit éditeur de métropole, l’auteur constate des frais d’envoi et de dédouanement très variables et souvent obscurs.
Les libraires me diront que leur marge de 25 à 35 pour cent, ce n’est pas ce qu’ils gagnent, mais ce qu’ils touchent. L’auteur, lui, n’a pas de loyer ni d’employés à payer. Reste à savoir si certains libraires ne se contentent pas d’empiler les bouquins sur une étagère, mais en mettant en avant les best-sellers, qui pourtant pourraient, eux, se passer de publicité !
Bref, il n’y a pas de solution idéale. La seule chose à éviter, je le répéterai jusqu’à mon dernier souffle, c’est s’adresser aux « zarnakéditeurs » (voir l’un des premiers articles de cette rubrique).
Enfin, pour qu’on ne m’accuse pas de voir seulement le côté commercial de l’écriture, je conclurai cette modeste chronique en persistant dans le politiquement incorrect : oui, on trouve parfois de mauvais libraires, de mauvais éditeurs… Et de mauvais auteurs. Mais les écrivains sont rarement guidés par l’argent ou la gloire (certains prennent même un pseudonyme). Même si les réseaux sociaux, les influenceurs et les publicitaires font tout pour flatter l’ego des auteurs et des artistes, même si des experts auto-proclamés en pensée positive et en développement personnel expliquent sur des tutos YouTube les secrets pour gagner de l’argent avec sa plume, et une bonne dose d’A.I. et de pub.
L’auteur écrit pour diverses raisons, mais l’essentielle n’est pas financière. Mais alors, pourquoi écrit-il ? Ce sera l’objet de notre prochaine chronique.
Alain Bled