LITTÉRATURE
Nicolas Puluhen raconte sa propre histoire mais aussi d’autres récits de vie, dans « Mon p’tit loup », un livre émouvant qui dénonce les violences faites aux enfants. Le fait d’être victime l’a rendu hyperactif : agent de musiciens, il a fait venir entre autres les Ogres de Barback à La Réunion, puis ceux-ci ont montré le livre « Mon p’tit loup » à Pierre Perret, qui a accepté de le préfacer.
Nicolas retrace donc ce viol subi dans l’enfance, qu’il a seulement dévoilé à 43 ans. Après avoir compensé comme souvent par l’alcool, la drogue, et une hyperactivité débordante, sans pouvoir oublier un seul jour son mal-être, avec seulement les paroles de la chanson de Pierre Perret dans la tête, pour le soutenir. Barbara aussi, et son aigle noir.
Il est enfin parvenu à rejeter sa honte infondée de victime, pour avouer l’indicible et dénoncer son agresseur. Il veut que son exemple serve à tout le monde ; les autres récits sont plus ou moins inspirés d’autres enfants tués psychiquement eux aussi. Puissent ces témoignages alerter les jeunes, mais aussi leurs proches. Calmeront-ils les prédateurs, c’est une autre histoire.
L’horreur longtemps banalisée
On retrouve ces violences partout, et particulièrement à La Réunion et à Mayotte , ce qui peut selon Nicolas, venir de la promiscuité familiale. Longtemps les familles n’ont pas compris la gravité du moindre attouchement. Les proches n’ont pas su voir l’alliance malsaine de la perversité de certains hommes et de la lâcheté de leurs conjointes, elles-même souvent victimes.
Nicolas a donc trouvé sa vraie délivrance, non pas dans la drogue ou l’hyperactivité, mais dans l’aveu, puis dans l’écriture. On l’avait déjà noté depuis quelques années dans certains livres locaux, dont ceux d’Isabelle Kichenin ou Tia Ferry. et si l’introspection est à la mode, il ne s’agit pas ici de spleen de poètes mais de blessures profondes, de celles qui peuvent tuer.
Mais si les femmes sont beaucoup plus nombreuses à subir des abus de toutes sortes, des garçons subissent aussi des violences sexuelles. Dans les témoignages dont s’est inspiré Nicolas, on retrouve des chiffres, assez effrayants, sur le nombre d’innocents et d’innocentes concerné par ce drame. Encore ne connait-on que les cas déclarés.
Sortir du fatalisme, et alerter les jeunes
L’association « Mon p’tit loup » est auto-financée par les recettes du livre, et surtout les conférences et rencontres avec des lycéens et collégiens, à qui Nicolas peut présenter son livre avec la collaboration des enseignants en amont, encourageant les questions des jeunes « qui sont captivés » dit-il. Et ça amène à parler du consentement, des problèmes hommes-femmes, durant deux heures environ. Le poids de la religion est également crucial. Déjà, dans les années 70, Anne Cheynet évoquait « la religiosité opressante », et le fatalisme lié au « bon dié la voulu ».
Ces conférences permettent à Nicolas d’aller jusqu’à Mayotte. Il organise aussi des ateliers d’écriture, avec la participation d’une psychologue et d’un professeur. Durant ces séances, les jeunes ayant découvert l’association sur les réseaux sociaux peuvent « cracher leur plaie » comme aurait pu dire Jeanne Brezé, cette poétesse blessée elle aussi depuis l’enfance.
D’ailleurs, « Mon p’tit loup » se fait connaître surtout à l’aide des réseaux sociaux, facebook, instagram et linkedln.
Le scandale de la Ciivise
Nicolas dénonce le laxisme du gouvernement « C’est une honte absolue, les prédateurs ne sont pas assez condamnés ». Et que penser du problème de la Ciivise (commission indépendante contre les violences aux enfants) ? Les autorités ont remplacé à la tête de la commission le juge Edouard Durand, par des personnes dont la compétence est beaucoup plus discutable : le nouveau dirigeant est un businessman, et opposé à l’imprescribilité des crimes sexuels ; il se dresse donc contre une mesure phare de sa propre association ! Quant à sa vice-présidente , elle se prononce contre le signalement de violences aux médecins ! Elle même, impliquée dans des affaires pas très nettes, a dû démissionner, et depuis janvier, la Ciivise est au point mort !
« C’est un vrai scandale et on espère la réintégration du juge des enfants Durand qui donnait satisfaction depuis des années » s’insurge Nicolas.
Pourquoi a-t-on « viré » le juge Durand ? Le gouvernement prétend vouloir « élargir la mission » de la commission. Langue de bois et langage technocratique à l’appui, et un fort soupçon de copinage avec la secrétaire de’Etat à l’Enfance (1).
Voici un extrait du rapport de la Ciivise avant que les nouveaux dirigeants diluent son action sous prétexte de l’élargir :
« La réalité peut être décrite en quelques chiffres : 160 000 enfants sont victimes de violences sexuelles chaque année, 5,4 millions de femmes et d’hommes adultes en ont été victimes dans leur enfance, l’impunité des agresseurs se poursuit »(2)
Paresse gouvernementale ?
Nicolas ne compte pas sur les ministres et encore moins sur leur président pour améliorer les choses, le soutien du gouvernement pour mettre un dirigeant discutable à la tête de la Ciivise, les mots bienveillants d ‘Emmanuel Macron pour Gérard Depardieu… Et à la Réunion, l’auteur de « Mon p’tit loup »est outré par ce qu’il appelle le scandale Rosello ,sur lequel la presse est très timide.(3)
« Paresse gouvernementale », soupire Nicolas. On aurait envie de poser la question « A qui profite cette paresse ? ». Quitte à passer pour un complotiste.
Heureusement, la Ciivise n’est pas seule. Des associations se forment, comme « Mon p’tit loup », avec peu de moyens mais sincérité et pugnacité. Et les paroles se libèrent.
Avec les bénéfices engendrés par les conférences, Nicolas peut aussi enregistrer des chansons sur le thème de l’enfance maltraitée. Ainsi, un livre album est en cours de réalisation, composé de reprises ou de nouvelles chansons d’amis chanteurs et compositeurs : les Wampas, La rue Ketanou, les Ogres de Barback, Olivia Ruiz, Gauvain Sers, et plusieurs artistes locaux dont Ann O’aro. Parution prévue en octobre.
Selon le rapport de la Ciivise de novembre 2023, « l’absence de soutien social donné aux victimes coûtent 9,7 milliards d’euros chaque année en dépenses publiques. Les deux tiers de ce coût faramineux résultent des conséquences à long terme sur la santé des victimes. La réalité c’est d’abord le présent perpétuel de la souffrance. »
Alain Bled
(1) source : le Canard enchaîné, 20 décembre 2023, page 3 : « La commission sur l’inceste perd son indépendance »
- (2) (https://www.francetvinfo.fr/societe/harcelement-sexuel/grand-entretien-inceste-remplace-a-la-tete-de-la-ciivise-le-juge-durand-se-dit-en-colere-et-denonce-une-mission-retrecie-confiee-a-la-commission_6239208.html
- (3) https://parallelesud.com/emprise-au-theatre-luc-rosello-a-joue-avec-mes-peurs/