PRESSE ET LITTERATURE
En littérature comme dans la plupart des domaines, la presse préfère les trains qui déraillent à ceux qui arrivent à l’heure. Ainsi, sur des centaines d’ouvrages présentés lors du salon du livre de Saint-Paul, les deux ayant retenu l’attention de la chaîne publique étaient les plus controversés.
Des sujets qui fâchent
Le reportage ne durait que quelques minutes, ce qui constituait cependant un record pour la présentation d’un livre sur Réunion la Première. Mais il s’agissait d’évoquer un sujet polémique, et d’ailleurs on peut se demander si la direction de la chaîne a vraiment apprécié sa diffusion. Bref, le reportage est passé dans le journal télévisé de midi, puis a fini aux oubliettes. Sur le stand : le docteur Philippe De Chazournes et Jean-Michel Jacquemin-Raffestin.
Contrairement au Tangue, notre Charlie local, je resterai nuancé sur la polémique qui oppose, chez ces deux auteurs, les pro et les anti-vax. On nous a tellement gavé de mensonges, que ce soit du côté des complotistes que du gouvernement lui-même, que le seul résultat concret, c’est un doute général de la population vis-à-vis des médias, et même, parfois, des écrivains engagés . On le constate avec les bouleversements politiques de ce mois-ci, qui risquent de faire encore beaucoup plus de dégâts que le coronavirus. Notons quand même que le Tangue avait déjà choisi son camp depuis longtemps sur ce sujet comme sur d’autres.
Par contre, on peut constater que le côté racoleur ou scandaleux attire plus les médias que le côté purement culturel de l’ouvrage ou de l’écrivain. Sur près de deux cents auteurs présents au salon du livre de Saint-Paul, la télé publique a donc mis particulièrement en avant ces deux-là. Certes, les livres de JMJR ont été vendus à des dizaines de milliers d’exemplaires, et les vues de ses interviews sur certaine chaine You Tube dépassent le million. Des chaines et des soutiens politiques le plus souvent très à droite, comme par hasard, dirais-je si j’étais complotiste. D’ailleurs, le Tangue en rajoute une couche, en criant au complot… pardon, en dénonçant le conspirationnisme des auteurs en question.
Lanceurs d’alerte ou complotistes ?
La caricature a la une du Tangue est explicite : on y voit Jean-Michel Jacquemin-Raffestin, devant un stand faisant l’éloge de la terre plate, des aspects positifs de Hitler, et autres extrémismes que l’auteur n’a en fait jamais encouragés. Même pour un magazine piquant et pamphlétaire, ce dessin frise la désinformation. De toute façon, ni Réunion Première ni le Tangue n’ont dû lire les ouvrages de Jacquemin ou du docteur De Chazournes. D’ailleurs la plupart du temps, les journalistes ne lisent pas. Ils commentent. Seuls les bénévoles des petites radios associatives, ou les blogueuses passionnées tentent d’aller plus loin dans les interviews d’auteurs et présentations de livres… et parcourent le bouquin avant d’inviter son auteur.
Il est vrai que dans le cas d’ouvrages de lanceurs d’alerte (ou de complotistes, selon votre opinion,) les livres sont des pavés (dans la mare), truffés de références, pas faciles à digérer. Et cependant ils se vendent. Souvent même très bien. A tort ou à raison. Et en dire du mal, ça ne fait qu’augmenter leur audience.
Que ça plaise à nos amis du Tangue ou pas, il reste des zones d’ombre après cette période où les informations sont devenues tellement virales qu’elles ont contaminé des millions de gens, en leur attaquant encore plus souvent le cerveau que les poumons. Mais contre la connerie ou le mensonge, d’où qu’il viennent, il n’y a pas d’intubation possible. Et encore moins de vaccin.
Du nuage de Tchernobyl aux chemtrails
Cela dit, j’ai lu les deux tomes de « Ne leur pardonnez pas… » l’ouvrage de J.M.J.R. Il avait déjà écrit, quelques années plus tôt, des ouvrages très détaillés sur Tchernobyl et Fukishima. Dans le premier tome de « Ne leur pardonnez pas… » il décrit comment les gouvernements mondiaux auraient menti à leurs concitoyens sur la crise du Covid. Dans le second, en revanche, il va encore plus loin dans le complot mondial mené par Bill Gates, Jeff Bezos et autres grands de ce monde . Quelle est la part de vérité dans tout cela ? Les centaines de liens et références qu’il note sont-ils fiables ? L’auteur a tendance à ne citer que les observations qui vont dans son sens. Par exemple avec ses affirmations anxiogènes sur les « chemtrails », ces traces laissées dans le ciel par les avions, ou encore sur les insectes de plus en plus présents dans notre alimentation. Sans oublier son refus d’admettre que l’Homme est le principal responsable du réchauffement climatique. J’avoue qu’il est souvent difficile de démêler le vrai du faux. Peut-être un écrivain ou journaliste rédigera-t-il à son tour un autre pavé pour dénoncer certaines affirmations de JMJR. On se souvient des livres critiquant « Da Vinci Code » après l’énorme succès de ce qui n’était d’ailleurs qu’un roman.
Les journaux aiment les sujets polémiques. Il faut bien admettre que les écrivains aussi. Et avec les réseaux sociaux c’est pire . On assiste à une perte du sens de la nuance, un manque de débats sereins, un refus du doute… Des intolérances remplacent d’autres intolérances. Complotistes comme gouvernements se servent de la peur pour arriver à leurs fins. Les opinions se radicalisent, la susceptibilité et l’hystérie s’emparent des individus, toute critique est considérée comme une agression. Ne vous étonnez donc plus de voir les extrêmes se réjouir.
Alain Bled
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Salon du livre
Le salon du livre 2024 à Saint-Paul.