LIBRE EXPRESSION
L’exploration de notre complexité s’est imposée comme devant être assurée par l’essor des prouesses technologiques sans cesse plus performantes, du microscope aux scanners et, encore plus finement, aux explorations différenciées de groupements de neurones, voire de neurones isolés et filmés in vivo. En outre, toutes ces prouesses nous ont fait plus ou moins croire que l’avenir de notre santé était ainsi garanti par la médecine et l’hôpital.
Ce courrier examine la question de savoir pourquoi la santé chez l’humain aura été si peu analysée comparativement à l’étude des nombreuses sous spécialités de la sphère du vivant.
Annonçons sans tarder notre définition non définitive de la santé qui serait : 1) désir, 2) plaisir d’agir, 3) sentiment exister, 4) créativité, etc.
Notre première impression se présente comme une « mise à l’index culturelle » de ce terme « santé » au profit de spécialistes, quand nous voudrions le populariser.
L’étude du vivant depuis les premières molécules rassemblées par symbiose et organisant l’émergence des corps végétaux, animaux et humains jusqu’à nous humains le montre. Nous sommes rendus dépendant de spécialistes qui nous auraient persuadés que notre propre rapport à notre santé devrait être considéré comme relevant du domaine subjectif ; qui nous excluent comme sujet ressentant ce qui nous est favorable ou néfaste, et cela dès la conception du bébé.
Par exemple a-t-on vraiment répandu la réalité selon laquelle une naissance désirée est profitable au bébé à naître ? Nous garderons présent à l’esprit la remarque du couple de psychanalyste Varenka et Olivier MARC qui suggérait que « ce serait l’enfant qui se ferait naître », première distinction liée au « DESIR », relevée par notre définition de la santé déjà mentionnée.
La deuxième distinction, « LE PLAIR D’AGIR », nous rappellera les travaux d’Henri LABORIT (1914-1995) selon lesquels : « La seule raison d’être d’un être, c’est d’être, c’est de maintenir sa structure, c’est de se maintenir en vie, sans ça il n’y aurait pas d’être ». Des lors l’action est nécessaire pour s’alimenter, fuir ou lutter en cas d’agression…
Dans ce courrier nous explorons en troisième point le « SENTIMENT D’EXISTER » relevant en grande partie des sensations, et ce, afin de palier à ce qui nous aurait été présenté comme un déficit perceptif de nos cinq sens.
Dans ce contexte, la vision aura été considérée comme le sens le plus propice pour découvrir la réalité du vivant soi-disant « dans ses moindres arcanes ». Se faisant, les études déduites d’approches visuelles ont été considérées comme garantes d’une certaine scientificité à la saint Thomas, soit « je ne crois que ce que je vois », au détriment de l’éprouvé et du RESSENTI déduits des sensations. Dès lors ce savoir « sensible », sensualiste, fut rangé dans le registre du subjectif disjoint des sciences biologiques et médicales.
Dans l’histoire des idées supposées rendre compte de la vie, une multitude de philosophes et de scientifiques pourrait (devrait) être mentionnée. Il nous a semblé utile de citer deux chercheurs. Le premier, l’Autrichien Ernst MACH (1838-1916), est l’auteur d’un ouvrage : L’analyse des sensations, Le rapport du physique au psychique (1).
Ernst MACH aura tenté d’ériger les sensations en « plaques tournantes » à l’origine de ce qui fait sens pour les organismes animaux et humains. Nous pourrions y ajouter de nos jours les plantes, depuis que nous savons ces dernières animées d’une sensibilité organique (voir Stéphano MANCUSO et Alessandra VIOLA, « L’intelligence des plantes », (2013), Didier Van CAUWELAERT, « Les émotions cachées des plantes », (2018), Emmanuelle POUYDEBAT, « Quand les animaux et les végétaux nous inspirent », (2022).
Le second chercheur, dont on peut se féliciter qu’il soit français, est Henri PIERON (1881- 1964). En 1923, la chaire de physiologie des sensations au Collège de France est créée spécialement pour lui, il l’occupera jusqu’à sa retraite en 1951. PIERON chercha à rationaliser les sensations selon le modèle des sciences explorées en laboratoire, ce qui n’est pas une méprise compte-tenu du modèle néo-cartésien qui sépare et explore le vivant en pièces détachées. Mais lorsqu’il fallut rassembler ce savoir dans son ouvrage (2) au titre évocateur et attractif, « La sensation guide de vie » (Gallimard, 1945), il fut confronté au dilemme de concéder que son livre n’avait pas été remarqué. Il l’attribua aux conséquences de la seconde guerre mondiale. Pour nous cependant, cet écrit aura mis en évidence un très haut niveau de disjonctions des savoirs d’un bon nombre de sous spécialités impliquées dans les sensations au risque de ne plus être audibles ou explicites pour des vulgarisations populaires scientifiquement acceptables.
A la suite de son œuvre, les psychologues tels le Professeur à Paris 8 Paul FRAISSE s’éloignent des sensations pour éviter les critiques qui tendent à les réduire à la sphère du subjectif. Avec le recul du temps, Alain BERTHOZ, Professeur au Collège de France, note (en 1999) que « Piéron est classé parmi les psychologues bien que beaucoup de ses travaux relèvent de la physiologie et de la physiologie comparée ». BERTHOZ propose cette explication : « Il arrive à un moment où la psychologie commence à acquérir une certaine reconnaissance en tant que science et où il apparaît évident que l’étude des phénomènes psychiques ne peut s’affranchir de celle du fonctionnement du corps ». C’est une évidence.
Pour nous, PIERON aura abordé les sensations indépendamment du sujet ressentant.
BERTHOZ précise qu’« aucune psychologie physiologique n’a réellement vu le jour. L’étude des faits psychologiques se partage toujours entre, d’un côté la philosophie, et d’un autre la psychopathologie ».
Selon nos déductions de clinicien psychothérapeute, la recherche en biologie et même en psychologie en laboratoire ferait fausse route en comparant des organismes comme si le vivant animal et humain pouvait être comparé fondamentalement à un autre organisme animal ou humain.
Avec la découverte de la plasticité de la biologie et particulièrement de notre physiologie neuro-motrice, un organisme ne peut être fondamentalement comparé à un autre. Depuis « la fin du tout génétique », avec l’épigénétique, est maintenant révolu le temps de l’instauration de groupe témoin qui fournirait la preuve de ce qui est scientifique et de ce qui ne l’est pas. Deviennent obsolètes les protocoles fondant leur méthodologie sur cette fausse évidence de pouvoir comparer la réaction d’un organisme face à un stimulus ou face à l’administration d’une molécule, réelle ou absente, avec un autre organisme soumis à ce même protocole considéré comme organisme « témoin ». La recherche d’universaux de cette science ignore (ou nie ou minimise) la singularité des organismes. Le psychanalyste François ANSERMET l’aura bien relevé in « S’inventer au quotidien, Savoir, penser, rêver », Flammarion, 2018. « Longtemps, dit-il, on a cru que tous les savoirs aboutissaient à concevoir l’individu comme déterminé – génétiquement, neuronalement, historiquement, familialement. Même en génétique, la question de la variabilité est devenue centrale. D’où viennent les variations individuelles ? On doit faire face à l’instabilité génétique… ».
Des variables souvent arbitrairement retenues feront que l’organisme sera considéré comme plus ou moins adapté. C’est là que la méprise méthodologique aurait lieu, suivant les critères retenus a priori qui feraient penser à une adaptation « normale » ou « pathologique ».
Le concept d’adaptation est délicat à utiliser aussi bien à la première qu’à la troisième personne. Il s’applique (au moins) à deux phénomènes : un processus dynamique 1) et un état 2).
- Le « processus dynamique » correspond aux transformations du substrat vivant déjà vu par LAMARCK et MACH, de surcroît de nos jours du fait des transformations épigénétiques dès la conception de ces organismes in utéro. Ainsi, voir Henri ATLAN, « La fin du tout génétique », (1990), Jean-Jacques KUPIEC et Pierre SONIGO, « Ni Dieu ni gène », (2000), Andréas PALDI, « L’hérédité sans gènes », (2009), Isabelle MANSUY, « Reprenez le contrôle de vos gènes, Améliorez votre vie et celle de vos descendants AVEC L’EPIGENETIQUE », (2019).
- « L’état » représente l’adéquation plus ou moins marquée entre un organisme et son environnement. Cette ambivalence est toujours présente bien que parfois niée du fait de la réalité épigénétique qui s’affirme régulièrement. Et ce, alors que les protocoles classiques que nous dénonçons font croire à la scientificité des recherches « randomisées ». Chaque fois que le terme « adaptation » apparaît dans un écrit, il faudrait se demander à quel champ il s’applique. La première acception s’apparente à une évolution tandis que la seconde se rapporte à un état ; quand nous savons que les organismes se transforment continuellement in utéro, et depuis leur accueil éprouvant sur terre avec la gravitation notamment comme modalité d’accueil. C’est ce que le psychothérapeute constate régulièrement compte tenu du mode de vie et du contexte familial. Les bébés soumis à d’innombrables expériences d’inhibition de l’action ne sont mobiles (mais non autonomes) qu’après leur première année. La conscience collective sociétale aura occulté ou minimisé leur sensibilité que génèrent les neurones miroirs, depuis peu découverts, il faudra urgemment l’intégrer.
Quant à l’unicité « corps-esprit », d’ordinaire on utilise cette expression entre guillemets au risque de véhiculer un dualisme. Il serait préférable d’utiliser le terme de « monisme ». Bravo à HAECKEL qui popularisera ce terme, n’en déplaise à DESCARTES et à son « dualisme corps-esprit » ; et bien que HAECKEL fût tant impressionné par DARWIN qu’il devint un adepte de l’évolutionnisme darwinien, un danger de fourvoiement encore à surveiller.
Ultérieurement, il nous faudra explorer l’apport de Rosine CHANDEBOIS qui n’hésite pas à avancer le risque de mystification de l’ADN dans l’ouvrage : « Le gène et la forme ou la démystification de l’ADN », (1989).
Toujours selon notre méthode de ne pas nous inféoder à une vision parcellaire constamment exigeante, nous explorerons : « Le cerveau qui fait de l’esprit » selon Vilayanur RAMACHANDRAN (2012), dont la vision unitaire corps-esprit devrait nous rapprocher de la notion de PULSION que nous retrouvons continuellement, et de façon semble-t-il évidente, lorsque Sapiens s’est redressé, bravant les forces gravitationnelles.
Des sensations extirpées de l’impasse « subjective », nous devrions proposer un lien entre le ressenti de cette pulsion de vie avec la pulsion individuante de se sentir « entier » et de surcroît « créatif » dont cette dimension dite « onirique », essentielle de notre santé, nous offre les preuves déduites cliniquement par le psychanalyste Carl Gustav JUNG, (1875-1961).
A bientôt chers lecteurs.
Réf :
- Ernst MACH, L’analyse des sensations, Le rapport du physique au psychique, Ed Jacqueline Chambon, Nîmes, 1922 – 1996. Cet ouvrage retrouve une seconde jeunesse grâce à Guillaume GARRETA, Professeur à l’Université Paris – Saclay avec son étude : « Ernst MACH, L’épistémologie comme histoire naturelle de la science », in Les philosophes et la science, sous la dir de Pierre Wagner, Gallimard, 2002.
- Henri PIERON, La sensation guide de l’esprit, Ed Gallimard, 1945.
Frédéric Paulus, Expert Extérieur Haut Conseil de Santé Publique, CEVOI Centre d’Etudes du Vivant de l’Océan Indien
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