INCESTE, DERRIERE LES MURS – EPISODE 1
« Inceste, derrière les murs », c’est la nouvelle série que nous lançons aujourd’hui. Une série composée uniquement de témoignages de femmes et d’hommes qui ont connu l’inceste ou la pédocriminalité de près : des mères, des pères, des enfants, des associations, des auteurs de violences. Ils nous raconteront les rouages psychologiques qui se mettent en place, l’emprise, la violence et l’amour abusif, la culpabilité, l’autodestruction. Les ravages que ça engendre, à l’intérieur, à l’extérieur.
Quand on parle d’inceste, la mort n’est jamais loin. Elle est dans les ruines sur lesquelles nous sommes assises pour réaliser une interview, présente dans les chansons ou les journaux intimes, les scarifications sur la peau, l’éclatement de la famille. C’est le père qui s’est donné la mort, le beau-père qu’on aurait voulu tuer, l’enfant qu’on était, avant.
La mort. Elle est aussi dans le silence. Le silence des institutions, le silence de professeurs, ou de voisins, d’amis, le silence de ceux qui savent et de ceux qui ne savent pas.
Recueillir la parole et la montrer
Ça a commencé dans le secret, l’interdit. Autour du viol subi par l’enfant se dresse le mur d’autorité des adultes qui tentent de contenir la diffusion de l’information à chacun des cercles qu’elle atteint. On évoque parfois le viol ou l’inceste par « ladilafé » au sein de la famille, ou « affaire de mœurs » pour des représentants du milieu judiciaire.
Aujourd’hui, nous ouvrons cet espace pour recueillir la parole et la montrer, nue, vulnérable, et en même temps tellement courageuse et forte d’impact. Qu’elle soit anonyme ou affirmée, qu’elle provienne de victimes, leurs proches, ou d’auteurs. Chaque personne concernée est invitée à partager son vécu, ses compréhensions, ses prises de conscience pour qu’elles puissent en aider d’autres, pour qu’elles soutiennent une évolution de fond sur notre considération de l’enfant, de pulsions sexuelles maladives, du désir, sur le rapport à notre corps et sur notre rapport à l’amour, de manière sociétale.
La réalité humaine a plusieurs facettes et l’idée n’est pas de gommer la complexité ni de simplifier dans un sens ou dans l’autre, mais de remettre de l’émotionnel, des sentiments, de l’humain là où il y a eu déshumanisation, objetisation.
JSG
Inès, 10 ans, et sa maman, Désirée – Le Tampon
« C’est une enfant fragile, elle est multidys, elle a des troubles d’apprentissage, elle se fait harceler à l’école. Elle est manipulable, il le savait, il a profité de sa vulnérabilité », réalise aujourd’hui Désirée.
Il y a un an et demi, Désirée ne se doute de rien. C’est le directeur de l’école qui lui rapporte que sa fille Inès*, 10 ans, s’est confiée à une copine. « Elle voulait juste savoir si c’était normal d’avoir mal quand quelqu’un nous aime ». A cet âge, tout enfant n’a pas forcément été sensibilisé par ses parents ou d’autres adultes au viol, à l’intégrité du corps, au consentement. C’est le cas de la petite camarade qui conseille à Inès d’en parler à un professeur.
Désirée tombe des nues, son premier réflexe est de croire que ce n’est pas possible tant elle a confiance en son voisin, le mari de sa sœur, également propriétaire de son logement. « A mwin mi krwa ael é mi koné kisa la fé sa », lâche la plus âgée de ses filles en apprenant la nouvelle. Elle a elle aussi subi des attouchements. Deuxième claque pour Désirée.
« Dan la famiy na toujour eu de l’inceste »
Elle interroge sa plus jeune, « pourquoi tu m’as rien dit ? » « j’avais peur de ta réaction », répond Inès. Lui reviennent en mémoire des attouchements qu’il lui a fait quelques années plus tôt mais dont elle n’avait pas pris la mesure, étant adulte. Une culpabilité de ne pas avoir mis davantage de distance. Les filles allaient chez lui tout le temps jouer aux patins à roulettes, faire du vélo ou de la trottinette. « Mi wa in tati, li di amwin lé pa posib, a krwar nou trèn in schéma familial pask dan la famiy koté momon na toujour eu de l’inceste. Mi té koné pa ! »
Désirée porte plainte rapidement. Elle et ses filles enchaînent les rendez-vous en victimologie, avec des assistantes sociales, officiers de police judiciaire, psychologues. « Ils entendent aussi la plus jeune, Mariana*, (qui a un an et demi de moins qu’Inès, ndlr). Elle allait aussi là bas, elle le considérait beaucoup, elle l’appelait papa. » A cette époque, Désirée rencontre pas mal de difficultés avec sa dernière fille, assez tranchante, dure avec l’autorité. « Il s’est avéré avec les analyses que Mariana n’a pas été violée mais elle a vu ce qu’il se passait sur sa sœur et elle était en état de sidération », raconte Désirée. « Tant qu’on ne lui avait pas expliqué, elle croyait que c’était Inès qui faisait n’importe quoi avec son papa. »
« Koman mi sa finir èk li«
L’examen médical d’Inès confirme que l’hymen est rompu, elle a aussi des lésions au niveau de l’anus. « Ils voulaient l’envoyer faire des examens complémentaires pour voir si elle a des lésions internes et externes. Ils m’ont donné des ordonnances pour les maladies transmissibles, des tests de grossesse… Navé telman d’analyses pou fé ke mi koné pu lé noms… »
Après avoir déposé la plainte, la mère de famille et ses filles doivent faire semblant de rien pour que le beau-frère de Désirée ne se doute de rien, pour éviter toutes représailles ou dissimulation de preuves. Les mois passent, Désirée doit trouver un logement pour partir et protéger sa famille mais rien ne bouge. La situation devient insoutenable. « A un moment, mon dossier lété oublié. Mi té komans à avoir des idées de meurtre. A un moment, mi té en trin d‘pansé koman mi sa finir èk li, ça me rongeait. Mi té met bordel esprè dan la chambre mes filles en disant qu’elles ne pouvaient pas aller chez eux tant qu’elles n’avaient pas rangé. Mi té kontan giny kovid pou èt sur nou krwaz pa. »
Tétanie
En décembre 2022, enfin, les gendarmes indiquent qu’ils vont procéder à l’interpellation. Désirée a trouvé un logement, elle part rapidement avec ses filles alors que l’auteur de viol est placé en garde à vue pendant 48 heures. Dans la foulée, il passe devant le juge d’instruction et est placé en détention provisoire. Plus la procédure avance et plus la mère de famille découvre des détails sur les viols subis par sa fille, des insertions d’objets alors que d’autres personnes sont dans la pièce, la tétanie d’Inès qui ne peut pas réagir. Désirée ne veut pas en savoir plus, c’est trop douloureux. Elle se prépare psychologiquement à ce qu’elle apprendra lors du procès aux Assises dans quelques mois.
La famille apprend l’affaire au moment de la garde à vue et c’est le rejet général. Ses sœurs avec qui elle est très proche ne répondent plus, pareil pour sa tante. Mais les semaines passent et une partie de la famille fait machine arrière et décide de lui parler à nouveau.
Casser la chaîne familiale
« Ma maman el i soutyin son gendre », rapporte Désirée avec peine. Son père aimerait la voir mais « li na pu drwa d’parol. Dopi sa, li la arkomans bwar… Li mank amwin… »
En plus des difficultés familiales qu’elle rencontre, la mère de famille regrette le manque de suivi psychologique pour ses filles qui ont vécu un traumatisme. « Astèr Mariana li surprotège sa sœur. El i ripost, i rand ael insolente. On est 4 à être reconnues en tant que psycho trauma. La plus grande sœur culpabilise de ne pas avoir dit qu’elle avait subi des attouchements. Elle a arrêté l’école parce qu’elle est tombée malade. »
Désirée se reconstruit avec ses filles. Elle veut parler, à visage découvert, pour ses enfants et pour les autres. Avec la volonté de casser la chaîne familiale, pour que ça ne se reproduise plus. A travers la parole qu’elle porte désormais, sans sourciller, c’est une page de sa vie qu’elle tourne. Tout cela, elle, elle ne l’aurait pas souhaité, mais « ma fille de 10 ans a osé parler, comment j’aurais pu me taire ? » fait-elle remarquer.
Jéromine Santo-Gammaire
*Prénoms d’emprunt
Et concrètement ?
Plusieurs associations à La Réunion soutiennent et accompagnent les victimes et leurs proches comme :
- La page facebook metooinceste974
- L’association Ecoute moi, protège moi, aide moi. Jessy est joignable au 06 92 13 72 66.
- Le collectif Stop vif, protégeons nos enfants
- L’association Colosse aux pieds d’argile. Jean Fauconnet peut être contacté au 06 92 96 97 66.
- Nicolas Puluhen, l’auteur de Mon P’tit Loup, qui organise des ateliers d’écriture autour de l’inceste